Une occasion manquée de changementLa gouvernement suisse renouvelait aujourd'hui le poste de chef du département de l'intérieur (DI). Parallèlement, le pays vit une crise institutionnelle sans précédent. Les impaires libyens du président de la Confédération, la
guerre de cloché entre départements, le manque de cohésion du Conseil Fédéral et le manque de visibilité internationale ont illustré le besoin de changement qu'il faut à la tête de la Confédération.
A 10h05, le résultat est tombé. Didier Burkhalter, député Libéral-Radical (PLR) a été élu à la succession de M. Couchepin. Cette élection a été le fruit d'une volonté de la droite dure (mais aussi d'une partie des socialistes) de maintenir la concordance, c'est-à-dire un nombre de sièges
"proportionnel" au nombre de parlementaires des partis gouvernementaux (et non des groupes...) en question au Conseil National. Bien sûr, au-delà des convictions personnelles, il est clair que le radical Didier Burkhalter a les compétences nécessaires au poste, et qu'il sera techniquement apte à assurer la succession de M. Couchepin, très controversé mais véritable homme d'état.
Un manque total de programme et d'idée, mais une vitrine pour la bêtise
Mais ce vote laisse quand même un goût très désagréable en bouche ; il n'est que le point final d'une campagne où les débats d'idées ont été absents... et même refusés. Le poste de chef du DI implique des positions claires dans les domaines du social (santé, etc.) et de la culture. Le principe de "Green Deal", touchant l'ensemble de la politique d'un pays, devait aussi être mentionné explicitement. Et là, rien, le néant en terme d'idée! Uniquement une autre "guerre de cloché", celle de l'origine linguistique et cantonale. Cela a amené, ce matin, à de curieuses démarches. Par exemple, je trouve pathétique qu'un socialiste neuchâtelois, Didier Berberat, puisse voter pour un PLR "uniquement" parce qu'il vient du même canton. Au-delà des compétences de M. Burkhalter, un politicien n'est pas bon et défendable uniquement parce qu'il vient de sa propre région! Du reste, dans l'ensemble de ce "faux débat", il en est ressorti que la "notion" de latinité n'a de sens que lorsqu'elle est en faveur des Romands ; les italophones (et pas seulement les Tessinois) ont apprécié.
En fait, qu'a-t-on vu, nous, "populace" pour qui le PLR, fidèle à son idéologie "pro-castes", ne jugeait pas utile de faire des débats d'idées publics avec leurs adversaires (parce qu'en Suisse, pour les lecteurs qui ne le savent pas, le peuple n'élit pas les sept conseillers fédéraux - chose justifiable pour maintes raisons, allant du financement opaque de certains partis jusqu'aux impératifs du fédéralisme)? Ce que l'on a vu, c'est uniquement un cortège de "coqs", comme en phase de rut tellement ils "bombaient" le torse devant les médias, tout en s'auto-congratulant. On aura aussi entendu les habituelles âneries de quelques démagogues néo-libéraux qui, si elles n'étaient pas tant relayées, prêteraient à sourire ; ce matin même, l'habituel "moulin à parole genevois vice-président du PLR" Pierre Weiss, pour qui le parti libéral est "le parti de la raison", prouve une nouvelle fois qu'une carrière en tant qu'humoriste de bas étage lui siéra plus que celle d'un représentant d'une démocratie (je dis de bas étage, car il n'est pas sûr que l'humour de M. Weiss fasse beaucoup rire les victimes de plus en plus nombreuses de la soit-disant "raison néo-libérale"...). Quant à dire que l'avocat genevois Lüscher, clone d'un autre avocat du bout du lac à l'intelligence inversement proportionnelle à sa médiatisation, ressortira grandi de cette expérience... De tels propos, dans la bouche de journalistes sensés être compétents, sont tout bonnement incompréhensibles, car je ne vois pas ce qu'une candidature soutenue aujourd'hui essentiellement par l'Union Démocratique du Centre (UDC) prouve d'une quelconque manière la capacité du libéral genevois à relever la tâche d'un conseiller fédéral! Je crois que certains, dans l'hémicycle fédérale comme dans le monde des journalistes, devraient relire la définition de "compétence" dans le dictionnaire! Enfin, la bêtise, politique ou médiatique, ne tue pas...
A côté, Monsieur Urs Schwaler s'est très vite retrouvé englué dans, passez-moi l'expression, sa "germanité". Pourtant représentant d'une minorité au sein de son canton de Fribourg, les médias lui ont vite retiré tout crédit, prétendant que le candidat du Parti Démocrate Chrétien (PDC) serait incapable de représenter le "monde latin" à Berne. Pourtant, qui aurait pu mieux comprendre les problèmes liés au multiculturalisme qu'une personne alliant à la fois la connaissance de ce qu'est "être en minorité" et celle des caractéristiques de la culture suisse-allemande. Débat sans fin qui ne se résoudra pas aujourd'hui, c'est certain!
Bien sûr, selon les points de vue politique, le PDC ne méritait pas ce siège (nombre de sièges au Conseil National insuffisant). Et c'est là que la politique suisse a montré sa principale faiblesse et son manque de courage, en ayant négligé (ou oublié) la personne de Dick Marty. Le radical tessinois avait pourtant tout pour plaire aux vrais progressistes : ses compétences ne sont plus à démontrer, il bénéficie d'une certaine notoriété même au-delà de nos frontières et il connaît les dossiers européens et internationaux ainsi que leurs difficultés, tout en sachant l'importance d'une position forte sur la scène internationale (ce que M. Merz semble avoir ignoré) ; il est membre du PLR (ce qui aurait coupé l'herbe sous les pieds des partisans farouches de la concordance) mais il ose aussi la critique, même envers son propre parti (trop souvent de connivence avec le lobby à œillères qu'est économiesuisse), qualité trop rare en politique mais, à mon sens, indispensable pour travailler de manière efficace dans un collège gouvernemental tel que le Conseil Fédéral ; il est représentant de la minorité italophone.
Une mobilisation plus franche et plus précoce envers Monsieur Marty aurait, peut-être, aux vues du score honorable que le radical a eu ce matin, conduit à une autre issue. Les propos du socialiste Andreas Gross et du vert Luc Recordon n'ont pas été suffisamment écoutés ou n'ont pas suffisamment convaincu. Il n'empêche, la voix de Dick Marty a pu être au moins entendue. Cela pourra-t-il mieux préparer le terrain pour le remplacement prochain de l'envoyé spécial d'économiesuisse en Lybie, M. Merz? Espérons...
Une victoire du conservatisme
Faisons donc quelques constats, après des semaines de gesticulations journalistiques. La campagne que la Suisse a vécu autour de la succession de Pascal Couchepin a bien montré un "changement" : la politique, aidée des médias, fait bonne place aux notions d'origines culturelles (c'est compréhensible dans le contexte fédéral et multiculturel de la Suisse), mais aussi aux postures flamboyantes, au charisme et à la pipolisation, ceci au détriment des idées, de la prise en compte des vrais enjeux politiques du pays et, finalement, du courage nécessaire pour créer un vrai changement. Bien sûr, Didier Burkhalter n'est pas un démagogue. Sa discrétion, et son tempérament qui, me semble-t-il (mais je peux me tromper), sont l'apanage d'un homme réfléchi et intelligent, le rendent certainement compétent dans la tâche qui l'attend. Mais c'est aussi un conservateur, qui, ne l'oublions pas, a voté pour le maintien de Christoph Blocher au Conseil Fédéral.
De plus, le bruit et l'écho politique et médiatique autour de la personne de M. Lüscher, où son simple franc-parler, sa jeunesse et son style ont "suffit" à le rendre crédible en tant que conseiller fédéral, ne sont pas de bonne augure pour une réforme durable de la politique suisse ; la réflexion (scientifique, philosophique) autour de la société et de l'environnement, l'opposition aux jugements à l'emporte-pièce, le courage de la critique de l'idéologie dominante, la prise en compte des plus faibles de la population et la remise en cause de certains lobbys économiques et politiques sont les premiers pas vers une véritable réforme. Il ne faudrait pas que le Conseil Fédéral ne se transforme en simple agence de publicité, où l'aspect et le verbe comptent plus que le contenu.
Cette élection, finalement sans surprise, ne change rien au final. Santésuisse, lobby des assureurs maladie, peut être rassuré ; le successeur de Pascal Couchepin suivra bien, en bon conservateur, les pas de ce dernier. Rien, je le crains, n'est donc à attendre de nouveau de la part du futur conseillé fédéral Burkhalter, surtout au niveau de son département. Bon, soyons bon joueur, l'avenir nous le dira... Et puis, cela aurait pu être pire, si un certain genevois incompétent avait été élu!
Enfin, dernier constat, et ce malgré le candidat final retenu, ces élections ont marqué le rapprochement et la réconciliation entre le PLR et l'UDC. Cela semble aller à l'encontre des propos de certains observateurs qui, il y a peu, parlaient d'une "dépolarisation" du système suisse. Comme l'a dit le président du PDC, Christophe Darbelet, le PLR s'est rapproché de la droite ; du reste, n'en déplaise à M. Weiss, la candidature de Christian Lüscher était bien une candidature-alibi, afin de s'assurer les voix UDC. En outre, n'était-ce pas ce même Weiss qui, tout heureux du succès du PLR, a déclaré à un député agrarien ce matin à la radio que l'UDC devait être contente de voir la droite se renforcer?
Point positif : le PLR ne peut plus se prétendre du centre
Je trouve là l'unique point positif de toute cette affaire, somme toute banale puisque rien de nouveau ne s'est produit : le PLR ne peut honnêtement plus se prétendre un parti du centre! Pendant longtemps - mais particulièrement ces temps-ci, comme à Genève où une campagne électorale vient de commencer - le PLR s'est gaussé de représenter la classe moyenne. La classe moyenne, terme galvaudé à l'instar de celui du développement durable ou encore de la solidarité, et qui a perdu toute signification, toute substance ; jusqu'ici, le PLR semblait réussir à séduire la dite classe moyenne, en l'englobant artificiellement dans des plages de salaires annuels allant de 60'000 à 200'000 francs (amusant, sachant qu'à Genève, le salaire médian est autour des 67'000 francs...). Son copinage avec l'extrême-droite, coutumier à Genève et affiché une nouvelle fois au niveau fédéral, pourra, je l'espère, faire enfin réfléchir les tenants bourgeois de l'aile humaniste du radicalisme. Cela a eu de toute manière le mérite de clarifier la véritable position du Parti Radical-(néo)Libéral suisse : celle d'un parti de droite, ni plus ni moins, loin des réalités du terrain (local et international), mais très proche de l'économie!
Bien à vous
Sandro