jeudi 21 janvier 2010

"Les communautés du Pacifique sous la menace d’un génocide culturel"

Voici une interview de l'écologiste néozélandais Sandy Gauntlett effectuée par l'ONG Grain (http://www.grain.org) en octobre 2009, avant la conférence de Copenhague. Cette interview est également disponible ici et a été publiée dans le Courrier du vendredi 15 janvier 2010. Comme vous le verrez, il y a parfois un peu de prémonition dans ses propos. Malheureusement...

Bien à vous.


Sandro


Sandy Gauntlett est un activiste écologiste d’origine Maori. Il donne des cours de gestion des ressources indigènes à l’Université indigène de Te Wanaga O Aotearoa en Nouvelle-Zélande. Il est aussi président de la Coalition environnementale des peuples autochtones du Pacifique (Pacific Indigenous Peoples’ Environment Coalition) et du point focal régional du Pacifique (Pacific Regional Focal Point) pour la Coalition mondiale des forêts.

Les communautés du Pacifique sous la menace d’un génocide culturel

Entretien avec Sandy Gauntlett

Comment la crise climatique affecte-t-elle la vie dans votre région du monde ?

Dans la région Pacifique, les effets du dérèglement climatique varient selon les pays, mais les îles basses sont particulièrement touchées. Dans certaines des communautés les plus affectées, l’eau douce devient de plus en plus rare, au fur et à mesure de la salinisation des ressources locales suite aux infiltration d’eau de mer dans les systèmes aquifères. Sur les îles de Kiribas [Kiribati] et Tuvalu, les marées de printemps envahissent désormais les maisons et les terres de la population et il est assez courant à cette période de voir les routes ou même la piste d’atterrissage de l’aéroport complètement inondés. Il faut se rappeler qu’il s’agit d’îles allongées et extrêmement étroites, et dont l’altitude maximale n’est que de deux ou trois mètres au-dessus du niveau de la mer. Elles n’ont pas de protection naturelle contre les ravages de la nature, si ce n’est les récifs de corail qui les entourent, et ces derniers sont en train de se dégrader sous la pression du changement climatique. Dans d’autres endroits (comme en Nouvelle-Zélande), l’impact du changement climatique est nettement moins évident, mais ce qu’est en train de vivre notre région dans son ensemble est désastreux.

Comment les communautés indigènes du Pacifique réagissent-elles à la crise climatique ?

Les gouvernements de Kiribas et Tuvalu ont tous deux réclamé des réductions des émissions de gaz à effet de serre bien plus radicales que celles qui sont envisagées dans la convention sur le climat. Ces réductions sont absolument indispensables si nous voulons éviter l’équivalent d’un génocide culturel. Suggérer aux gens d’abandonner leurs terres, leur territoire, leur culture et leur pays, afin que les pays riches puissent continuer à bénéficier d’un style de vie fondé sur l’exploitation de la planète, est une violation inacceptable des droits humains. Et pourtant, c’est exactement ce que nous suggérons quand nous acceptons le principe que les nations développées peuvent continuer à échapper à leurs responsabilités vis-à-vis du reste du monde en achetant des droits à polluer.

Beaucoup de petites communautés isolées ne comprennent pas pourquoi les tempêtes augmentent en sévérité ou en fréquence, et il va falloir investir pour ces nations dans des programmes de renforcement des capacités, si l’on veut que les décisions puissent reposer sur une complète compréhension. Je voudrais préciser que ceci n’est pas une critique des gouvernants des petites îles. Leurs représentants à la convention sur le climat ont fait preuve d’héroïsme par moments quand ils essayaient de parler de justice climatique. Ce n’est qu’une simple constatation qu’on dépense plus d’argent à garantir la place du marché qu’à réduire en termes réels et à la source les émissions qui créent le problème.

Quelle est l’opinion des Maori sur cette question ?

On ne peut pas dire qu’il y ait un point de vue maori unique sur le changement climatique, mais les Maori qui sont engagés au niveau international sont extrêmement préoccupés par ce qui se passe dans notre région. Pour l’instant, il est encore difficile de comprendre vraiment ce qui se passe : ceci est dû, d’une part, au fait qu’en tant que pays, nous ne sommes pas encore si sévèrement affectés. D’autre part, la réalité de ce qui se passe dans notre région est tout simplement trop horrible à envisager. Certains Maori s’efforcent de convaincre les nations développées d’accepter leur part de responsabilité en termes d’émissions climatiques ; d’autres de faire admettre que nous partageons des ancêtres communs avec les communautés du Pacifique et que nous devons donc coopérer étroitement avec elles.

Actuellement les discussions sur la conférence de Copenhague prévue en décembre vont bon train. A votre avis, quelle importance peuvent avoir ses conséquences et ses débats pour les groupes de terrain ?

Je peux difficilement répondre à cette question tant que j’ignore quelles seront les conséquences. Si, comme beaucoup d’entre nous le craignent, la conférence n’est pas suivie d’un engagement réel pour réduire massivement les émissions, cela constituera littéralement une sentence de mort pour certains peuples, et nous serons amenés à considérer les nations consuméristes comme responsables. Si, comme nous l’espérons tous, on parvient à un accord sur des réductions d’émissions substantielles et à grande échelle, alors il sera peut-être possible de sauvegarder l’avenir des communautés les plus affectées. Copenhague est bien sûr d’une importance cruciale pour obtenir un engagement de changement réel de la part de tous, mais pour ces communautés qui vivent sur des petites îles vulnérables, le temps est compté et elles n’ont pas d’échappatoire en cas de désastre.

Quelles véritables solutions peut-on envisager pour résoudre le problème ?

Il faut mettre fin, de façon généralisée, à l’exploitation des forêts indigènes. Il faut, dans toutes les grandes villes du monde, s’engager à interdire tout parking au centre-ville et introduire des systèmes de transport efficaces d’un point de vue énergétique et respectueux de l’environnement. Il faut annuler la dette du tiers-monde de façon à ce que les nations en développement soient en mesure de financer de véritables réductions de leurs propres émissions. Il faut réduire le gaspillage et l’exploitation dans les projets de développement, surtout dans les nations consuméristes du Nord. Quant aux hommes politiques, ils doivent absolument rendre des comptes sur toutes les décisions qu’ils prennent ; ces décisions pourraient en effet provoquer des désastres climatiques qui résulteraient en un nombre de morts considérable.

Pour ceux de nos lecteurs qui ne connaissent peut-être pas très bien votre région du monde, avez-vous quelques exemples d’adaptation dans les communautés que vous aimeriez partager avec nous ?

Pour les petites nations insulaires, l’adaptation n’est pas une chose facile à réaliser, car leurs émissions ne contribuent pas de façon majeure à la crise climatique. Il s’agit plutôt pour ces nations de s’adapter à la cupidité des autres pays. Mais parmi les nations plus importantes, on observe que ce sont quelquefois les peuples qui mènent leur gouvernement. En Nouvelle-Zélande, nous sommes dans une certaine mesure en train d’adapter notre style de vie : nous encourageons ainsi la marche et les pistes cyclables pour offrir une alternative à l’automobile. La Nouvelle-Zélande possède en effet plus de voitures par tête d’habitant que la Californie et il y a fort à faire en termes de transport et de politique énergétique pour réduire nos émissions. Mais, répétons-le, si nous voulons que ces améliorations aient un impact notable, nos gouvernements doivent montrer le chemin, en augmentant véritablement le degré et la nature de la participation et de la prise de décision publiques ; ils doivent aussi investir largement pour faire comprendre la situation aux gens. Un incident récent illustre parfaitement ce que je viens de dire : Une de nos célébrités demande au premier ministre de s’engager à réduire nos émissions de 40 % . On lui répond qu’elle ferait mieux de continuer à faire du cinéma. Ce genre d’arrogance n’est vraiment plus acceptable de la part de nos politiques et s’il existe un grand manque de compréhension du changement climatique – et c’est un fait – notre gouvernement a la responsabilité d’améliorer les programmes de renforcement de capacités dans le pays, comme il s’y était d’ailleurs engagé dans la Convention sur la diversité biologique. Les ONG doivent être assurées d’un soutien financier suffisant, pour que l’information sur le dérèglement climatique destinée au public soit assurée de provenir d’une grande diversité de sources.

mercredi 13 janvier 2010

Les caprices de la terre...

Bonsoir à toutes et à tous,

Haïti vient d'être frappé par un terrible séisme. A l'heure actuelle, le bilan des victimes semble être encore difficile à arrêter, mais tout semble indiquer que l'on se dirige vers une tragédie! Voici quelques liens (liste non exhaustive) si vous désirez aider les haïtiens ainsi que les ONG sur place :

- La Chaîne du Bonheur
- Médecins sans Frontières (Suisse)
- Croix Rouge (Suisse)
- etc.

Nous le savons tous, Haïti, c'est le pays le plus pauvre du continent américain, à la politique tourmentée où les dictateurs se sont succédés. C'est un pays qui a été frappé en 2008 par plusieurs ouragans meurtriers en près de trois semaines, puis qui a été vécu des inondations en 2009.

Mais n'oublions pas non plus que Haïti a été, il y a près de 200 ans, la première république noire, que ce pays brille dans les Caraïbes par son côté culturel et sa population, à la soif de vie intarissable.

Un pays et un peuple plus complexe que la seule image négative que nous en avons d'habitude le laisserait penser. Un pays meurtri qui mérite notre aide.

Bien à vous.

Sandro

vendredi 1 janvier 2010

Une très heureuse année 2010 à toute notre biodiversité

Happy New Year!!!

2009 n'est plus, bienvenu 2010!

Derrière cette "banalité locale" (tout le monde ne suit pas le même calendrier que le nôtre), je souhaitais tout de même vous souhaiter une bonne et heureuse année 2010. Et bien oui, cette nouvelle année est, fondamentalement, notre année à tous, car l'UNESCO a décrété 2010 année de la biodiversité. C'est aussi l'occasion, en parallèle, de tirer un bilan de ma première année de bloggeur. 2009 n'a pas manqué de m'inspirer, que ce soit au sujet de la nature, de nos rapports avec elle, mais aussi par rapport à notre société. Car, comme toujours, le passé est riche en enseignements. La question est : sommes-nous suffisamment intelligents pour nous en rendre compte?

L'humanité victime de l'humanité.

Les rétrospectives de l'année écoulée repassent sans arrêt le même sujet : la crise. 2007, 2008 et 2009 resteront dans les annales financières pour avoir été le théâtre d'une des crises bancaires les plus graves de ses 7 dernières décennies. Mais, si elle a été largement médiatisée, celle-ci n'a été que l'une des composantes d'une crise autrement plus grave, touchant un nombre de gens incomparablement plus élevé d'êtres humains : une crise globale, englobant la crise écologique et alimentaire! Une crise bien plus complexe que celle entraînée par des fous de la spéculation, dont Maddof ne représente qu'une goutte hyper-médiatisée dans l'océan de bêtise financière que nous avons connu. Cette complexité, de part ses composantes géopolitiques, écologiques, climatiques, économiques et politiques, rend la "recherche de coupables" particulièrement fastidieux : les prétendus coupables ont tout loisir de rejeter la faute "aux autres". Il n'empêche, il va leur devenir de plus en plus difficile de cacher leurs responsabilités aux yeux du monde. Par exemple, le monde de la finance qui, lorsqu'il souffre et a besoin urgent de liquidité, appelle à la rescousse les états, a repris très vite ses bonnes vieilles habitudes : bonus, parachutes dorés, spéculation, etc. (lire notamment les articles dans l'Humanité du 29 août au sujet des "déclarations" de Nicolas Sarkozy par rapport aux bonus, et dans le Journal des Finances du 19 octobre sur des rumeurs chez... Goldman Sachs).

Inutile d'être un nostalgique du communisme pour remarquer que les adeptes du néolibéralisme font preuve, au mieux, de naïveté lorsqu'ils prétendent que le capitalisme que nous connaissons peut être rendu plus éthique. Naïveté, incompétence ou malhonnêteté? Pour certains de nos dirigeants, ce sont bien ces trois choses combinées, malheureusement (voir mon billet "Une bonne résolution pour 2010 : mettre le néolibéralisme à la poubelle!!!" à venir prochainement).

2009 conclue, pour l'instant, une série d'événements où l'on met, à nouveau, l'économie avant l'être humain. Car, même si Madoff a été condamné, combien de gens de la trempe d'Ospel s'en sortent sans aucune égratignure? Sans minimiser la culpabilité de Madoff, il me semble que le monde financier a été très content de faire de lui LE responsable, comme un bouc-émissaire, aussi nauséabond soit-il. Cela permet de passer pour crédible l'idée de "rendre le monde de la finance et l'économie mondiale plus vertueux", puisque les dérives observées ne sont le fait que d'une minorité de personnes... D'accord! Mais est-ce Madoff le responsable de la campagne américaine mensongère en Irak (motivée par des enjeux économiques liés au pétrole)? Est-ce que Madoff est aussi derrière les initiatives du monde politique suisse, plus locales, de réduire les indemnités des jeunes chômeurs, ou encore de faire payer plus de primes maladie aux gens en mauvaise santé (écoutez la réaction de Jean-Charles Rielle sur la RSR, et lisez l'excellent billet sur le blog Genevoiseries)? Est-ce encore ce même Madoff qui régit le duel hautement amoral que ce livre la France et la Suisse en matière de politique fiscale? Et... je ne savais pas que Madoff pilotait la politique de l'OPEP, était responsable des problèmes liés aux cultures intensives et OGM et était un vendeur d'armes et de mines antipersonnelles... Oui, on le voit, les maux liés de près ou de loin à l'économie ne sont pas imputables à une seule personne. Loin de là, n'en déplaise à certain! Mais il est tellement plus simple aux puissants de "réduire" et de "simplifier" les problèmes, trouver un bouc-émissaire, pour pouvoir continuer en toute discrétion leur petit business.

Soyons honnête! La crise qui, pour les économistes seulement, semblerait toucher à sa fin au crépuscule de 2009, n'est pas le simple fait d'un ou deux financiers fous. C'est bien une politique économique globale centré UNIQUEMENT sur le profit (OGM (voir d'ailleurs les résultats de l'étude des Université de Caen et de Rouen sur le blé OGM de Monsanto), monocultures, surexploitation halieutique, etc.) et sur sa quête effrénée (chômeurs, cas de burn-out, suicide au travail, etc.), ceci sur fond de déséquilibre des répartitions des richesses, qui sont, tout du moins en partie, responsables des troubles sociaux que nous vivons, que ce soit à Genève comme au fin fond de la forêt amazonienne. Prétendre que le capitalisme va être plus "vertueux" et "éthique", dès cette année, n'est que pure illusion dogmatique, les adeptes de ce capitalisme s'étant focalisé uniquement sur l'aspect financier, mais ayant oublié (ou occulté) les autres aspects de la crise. On apprend de ses erreurs ; les ignorer, c'est le reproduire. Il n'y a, chez nos dirigeants, aucune motivation à tenir compte de ces erreurs - la réunion de Copenhague en a été un triste exemple, ou les notions libérales l'ont emporté face aux exigences environnementales - ; dès lors, il faut s'attendre à ce que, en 2010 déjà, le dicton populaire "chasser le naturel, il revient au galop" prenne tout son sens. Au détriment des plus faibles d'entre nous. Comme d'habitude, le pire ennemi de l'Homme, c'est l'Homme lui-même...

L'environnement, parent pauvre de la politique internationale ; en Suisse aussi!

2009 restera, comme je l'ai dit dans un précédent billet, comme la consécration de l'immobilisme politique en terme environnemental. L'opinion publique, une nouvelle fois, semble précéder les préoccupations politiques du moment : Earth Hour a mobilisé les habitants de très nombreuses villes autours du monde. Cette mobilisation a, de plus, attiré l'attention sur une donnée encore mal comprise du grand public : la biodiversité. Avec Copenhague et, plus localement, les discours creux des politiques en terme d'environnement, les gens se rendent compte de plus en plus qu'il ne s'agit pas de rouler en voiture à gaz naturel ou à faire du vélo électrique pour agir concrètement en faveur de l'écologie. Le CO2 n'est qu'une part du problème ; la biodiversité doit être également préservée, ici (voir la motion déposée au Grand Conseil genevois par les Verts en décembre 2009). Les efforts énergétiques aussi doivent être bien plus favorisés, tout comme le commerce équitable.

Mais les lobbys industriels et les pouvoirs politiques ne donnent que trop rarement un écho positif à cette mobilisation sans cesse croissante. L'année 2009 n'a pas dérogé à la règle. "Au mieux" limitent-ils leurs discours (et leurs éventuelles actions) au CO2 ; au pire, ils dissimulent leur conservatisme et leur immobilisme par des annonces flamboyantes mais à côté de la plaque. En témoigne le trafic de viande de baleine effectué en toute impunité par la flotte de pêche japonaise, ceci en dépit du moratoire international sur la chasse à la baleine (trafic dénoncé par Greenpeace en mars 2009). En témoigne aussi le gouvernement français qui, dans le cadre du Grand emprunt, s'il investira 1 milliard d'euro pour les sciences du vivant, les limitera aux seuls biotechnologies - "recherche pour des variétés végétales innovantes" - au détriment de la recherche générale (traduction : investissement dans les études sur la biodiversité = 0). La simple rentabilité économique passe, encore une fois, avant les investissements à long terme et le développement du savoir humain. Et chez nous, nous avons l'échec de la loi sur l'Energie à Neuchâtel, échec dû aux diatribes verbales passéistes de politiciens à l'idéologie vieillissante mais aux liens d'intérêts certains et un volte-face lamentable d'un Conseil d'État incapable de faire son travail, mais aussi au fait que cette loi était vraiment progressiste : elle imposait, dans la mesure du possible et si cela était économiquement viable, l'installation de panneaux solaires, thermiques ou photovoltaïques sur tous les nouveaux bâtiments, l'interdiction des chauffages électriques fixes et la mise en place de mesures d'économie sur l'éclairage public (cette loi faisait office de test national). Et que dire des consultations populaires concernant l'arrêt de la centrale nucléaire de Mühleberg, joyeusement ignorées par les autorités fédérales : le peuple, clairement, avait pourtant demandé de ne pas autoriser une exploitation illimitée de cette ferraille énergétique défaillante... En matière d'idées idiotes concernant l'environnement, Genève et sa classe politique n'est pas en reste non plus ; dans ce domaine, Monsieur Weiss, député au Grand Conseil genevois, a fait fort en proposant, à grand renfort de pirouettes linguistiques, ce qui n'est ni plus ni moins que la réintroduction de la chasse à Genève, ceci alors que cette dernière est constitutionnellement interdite.

Il y a certes des exemples de part le monde où les autorités prennent conscience de l'importance de l'environnement, et pas seulement au niveau économique. Reste que ceux qui en ont le plus les moyens ne se bougent pas trop. Héritage, sans doute, d'une abondance qui flétrit la conscience. Une abondance qui donne l'illusion que la Terre est une source inépuisable de biens et de matières premières, donnant ainsi un crédit à l'idéologie néolibérale et rendant les gens et les pouvoirs publics... parfois irresponsables!

Biodiversité, l'enjeu écologique de 2010... et d'après.

Donc, considérant la léthargie intellectuelle de nos élites dirigeantes, il est important de prendre le débat écologique dans toute son ampleur. Il ne faut plus laisser ce débat se simplifier à quelques points pris, sans cesse, séparément : exemple de simplification du débat, la lutte contre les émissions de CO2 justifie à elle seule l'énergie nucléaire, alors que l'impact de l'extraction, du raffinement et du soi-disant recyclage sur l'environnement et sur les populations locales est systématiquement nié. Comme souvent, notre société globalisée simplifie le problème.

Mais le débat écologique ne se limite pas aux réductions, certes nécessaires, des taux d'émission de CO2 ; il doit obligatoirement comprendre "l'état de santé" de l'ensemble du vivant sur Terre. Amener dans les discussions publiques la notion de biodiversité, tout en l'expliquant, est dès lors indispensable, puisqu'il permet de parler à la fois de la nature ET de l'ensemble des populations humaines. Car, hormis peut-être les formes de vie habitant les sources hydrothermales des fonds abyssaux ou d'autres lieux aux conditions extrêmes et très isolés, aucun être vivant ne vie indépendamment du reste de l'environnement. La prospérité des grands prédateurs marins tels que l'orque dépend de la vigueur du plancton, même si ce dernier n'est pas ingéré directement par le grand cétacé (chaîne liant la succession de proies-prédateurs, appelée réseau trophique - voire figure 1) ; l'éradication de certains prédateurs ont permis la prolifération incontrôlée d'autres espèces, entrainant des problèmes pour l'environnement (grande pression sur les alvins de nombreuses espèces de poissons méditerranéens, lors de fortes proliférations de méduses, dues entre autre à la disparition du thon et de la tortue marine, grands amateurs de ces cnidaires, disparition causée notamment par la surpêche et la pollution) et pour les êtres humains (baisse des prises de pêche due à la forte prédation des alvins par les méduses en surnombre).


Figure 1. Illustration d'une chaîne trophique typique d'un écosystème de mangrove (source : FAO ; http://www.fao.org/forestry/mangrove/3648/fr/).

Ce lien entre les différentes espèces vivantes a été mis en lumière par de nombreux scientifiques depuis déjà longtemps. Certaines relations, notamment entre proie et prédateur directement, ont été relevées, comme la relation cyclique liant les population de lynx et de lièvres dans le nord du Canada (Mac Lulich 1937 ; Précis d'écologie, Roger Dajoz, éditions Dunod). Mais, la biodiversité est très complexe et certaines interactions peuvent entraîner des résultats inattendus. Si la disparition d'une espèce de plante peut n'avoir qu'un effet limité sur un même écosystème, la disparition de cette même plante dans un contexte écologique différent peut avoir de toutes autres conséquences. Comme évolution inattendue, citons le cas célèbre de l'étoile de mer Acanthaster, dont la population a explosé depuis 1966 et qui dévore le polype corallien : si l'existence d'un cycle naturel n'a pas été écartée, la disparition de ses prédateurs (comme le mollusque gastéropode Charonia tritonis, pêché pour son coquillage) ou encore la prolifération d'algues modifiant le réseau trophique local sont autant de théories vraisemblables avancées, démontrant par la même occasion les effets difficilement prévisibles et quantifiables d'une perturbation écologique sur telle ou telle espèce vivante.

Bien sûr, de difficiles recherches sur l'évolution des populations de thons ont permis d'établir des quotas relativement fiables pour éviter la sur-pêche. Mais d'autres études seront nécessaires pour comprendre à quel point la disparition de certaines espèces (ou l'introduction d'autres espèces) est problématique. De toute façon, du point de vue scientifique comme du point de vue moral, toute espèce éteinte directement ou indirectement sous l'effet de l'Homme est une perte inestimable. Et la difficulté de la tâche, proportionnelle à notre ignorance face à la variété du vivant et des écosystèmes de notre planète (entre 5 et 30 millions d'espèces estimées (incertitudes élevées), moins de 2 millions d'espèces décrites), sont autant de choses plaidant pour une prise en compte plus sérieuse et plus forte de la notion de biodiversité. Car il est bien là, l'enjeu central de la lutte écologique avec le réchauffement climatique et la crise énergétique. Pour 2010 et après...

Transformer l'économie libérale en économie du savoir, du respect et de la solidarité.

Le monde a besoin de changements sur le long terme. 2010, année de la biodiversité, symbolise bien cet impératif : lutter pour le long terme. Or, 2009 a confirmé que, notamment par rapport à la crise financière, le court terme reste la tendance principale, les erreurs du passé étant minimisées, voire ignorées, et le dogmatisme libérale restant inchangé. Cette rigidité dans les habitudes et les idées, normale jusqu'à un certain point mais dommageable tout de même, doivent nous inciter à nous pencher sur le projet de société que nous voulons faire pour l'avenir, en 2010 et au-delà.

La première chose est, et c'est important, de prendre le courage de s'affranchir des idées reçues que nous cultivons tous face à notre civilisation. Si des progrès incontestables ont été effectués depuis l'aube de l'humanité, il n'en demeure pas moins que nous ne sommes toujours pas parfaits (le serons-nous un jour). Ceci n'est pas une critique, mais un état de fait.

Notre société économique doit donc évoluer ; c'est l'ordre des choses. L'économie néolibérale a montré ses innombrables limites, surtout dans son incompatibilité avec les questions à long terme. Il est temps, en cette année "symbolique" du point de vue de la nature, d'oser remettre en question les dogmes qui, par ci, justifient une déforestation sans limite au profit de multinationales agro-alimentaires, par là, encouragent les sauvetages dispendieux du système financier en économisant sur le dos des plus faibles membres de nos communautés.

D'un côté, la biodiversité donne des indices pour la transformation de notre société de profit. Changeons-là en une société du savoir. Aujourd'hui, et les chercheurs ne le savent que trop bien, les études sont conditionnées par l'argent. Si, dans certains domaines, cela ne pose pas trop de problème, des champs entiers de l'investigation scientifique, comme celles liées à la biodiversité, doivent se contenter de miettes pour progresser. La recherche scientifique n'est parfois motivée que par les retombées économiques qu'elles peuvent entraîner, et c'est bien dommage. Changer de paradigme, et mettre, comme but prioritaire, non pas le profit économique, mais le profit de connaissance, serait un pas dans la bonne direction. En plus de mettre cette connaissance dans la main de tous, elle permettrait d'éclaircir de nombreux mystères de la science... comme la biodiversité.

Changeons la société néolibérale en une société du respect. La biodiversité nous apprend que chaque être sur Terre fait partie d'un ensemble d'interactions, biologiques comme physiques ou spatiales, et que la menace portée sur tout ou partie de cet ensemble peut avoir des conséquences fâcheuses. La déforestation détruit sans doute des ressources médicales qui pourraient nous aider à vaincre certaines maladies comme le cancer. De plus, le réchauffement climatique et les déséquilibres de richesse Nord-Sud stimule l'immigration, une immigration que la politique de l'autruche jouée par certains pays occidentaux ne pourra juguler. Biodiversité végétale, biodiversité animale, biodiversité humaine : tout est, à plus ou moins grande échelle, inter-connecté. Le respect de la Vie - respect des animaux et des plantes, respect des conditions de vie des travailleurs agricoles immigrés exploités dans le sud de l'Europe, respect des handicapés, des homosexuels, etc. - doit être une autre priorité d'une civilisation où le mot "biodiversité" est compris dans toute son ampleur.

Changeons nos politiques axés sur le profit immédiat, en y introduisant la notion de solidarité, avec ses proches comme avec les autres cultures. Les idéologues néolibéraux, peut-être qualifiés en sciences économiques mais complètement ignares en sciences naturelles, ont souvent pris la compétition dans le monde animal ou végétal comme une justification "naturelle" de leurs idées. La science a, depuis quelques temps déjà, balayé cette vision simpliste qui voyait un accroissement de la complexité du vivant au fil des âges ainsi qu'un accroissement de la perfection. La chose est bien plus complexe. La diversité des genres, notamment dans le monde des arthropodes, a été plus forte dans le passé qu'aujourd'hui. Concernant la compétition, rien ne prouve que "le plus fort" gagne le droit à la survie ; l'exemple de l'extinction des dinosaures et la survie des tortues, par exemple, le montre ; dans la nature, et contrairement à ce que laisseraient croire certains documentaires, la plupart des prédateurs échouent souvent dans la capture de leurs proies, peu importe la "puissance brute" de ces dernières. Par contre, l'aide mutuelle, directe ou indirecte, existe dans la nature, de la polinisation des plantes jusqu'à notre propre corps, fonctionnant en symbiose avec nombre d'organismes microscopiques (flore et faune intestinale, etc.). Un exemple de solidarité...

Bien sûr, il serait vain de chercher une justification idéologique dans la nature. Le but n'est pas là, et je ne répéterai dès lors pas les erreurs des idéologies marxistes ou libérales. Mais je voulais juste souligner que la prise en compte de la notion de biodiversité, dans son ensemble, pouvait aider à la mise en place d'une nouvelle société, plus axé sur le respect de la vie et la soif de connaissance que sur l'appât du gain.

Parce que nous faisons parti, nous tous, de la biodiversité de notre planète!

Car, contrairement à ce que dit le dicton, ce n'est pas l'argent qui fait tourner le monde. La Terre tourne grace à des phénomènes régis par la physique. De même, la vie sur Terre survivra à l'Homme, si celui-ci venait à disparaître ; il y aura toujours des micro-organismes vivant dans les lacs acides volcaniques ou les sources hydrothermales des fonds océaniques ; certains insectes comme les cafards risquent fort de prospérer sur les éventuelles cendres d'une civilisation humaine autrefois inconsciente. En revanche, nous souffrons déjà maintenant de la crise alimentaire, de la déforestation et des effets de la sur-pêche.

Au final, nous sommes une espèce vivante dans notre maison qu'est la Terre, maison que nous partageons avec des millions d'autres formes de vie ; l'Homme n'est pas capable de maintenir l'atmosphère, de se nourrir soi-même (car ce n'est pas une plante) ou encore de se soigner sans recourir à la Nature. Ne l'oublions pas : quelque soit notre degré d'évolution technologique, nous dépendrons toujours de la Nature.

Je poursuivrai donc, durant cette année 2010, ma série sur la biodiversité. Aujourd'hui plus que jamais, il est nécessaire de transmettre toute information relative à ce sujet, pour que celui-ci ne reste pas nébuleux pour le grand public.

Bonne année à tous, membres de notre biodiversité.


PS : pour plus d'information sur la biodiversité, Pro Natura Suisse a lancé une campagne nationale sur le sujet ; retrouvez celle-ci sur http://www.pronatura.ch/