lundi 12 décembre 2011

Nouvelles lignes des Transports Publics Genevois : accès de grogne chronique d’une société qui se cache de ses responsabilités.

Genève grincheuse quand il s’agit de transports publics ?

Genève est connue pour être la capitale mondiale du trading des matières premières. C’est aussi une place forte au niveau des banques, mais également des grandes institutions internationales comme l’ONU ou l’OMC. Mais la « ville du bout du lac » est aussi connue en Suisse pour être la capitale des râleurs (en tout cas il paraît). Vu comme arrogant, le genevois aurait la propension de se croire mieux que tout le monde, et se plaindrait d’événements qui, pour le commun des mortels, reviendraient à des broutilles. Certes, le genevois râle aussi contre des choses concrètes, comme le manque de logements ou encore les primes maladies trop élevées.

Mais, dans la ville du « tout-voiture » qu’est depuis longtemps Genève, le moindre remous en termes de transports publics y va de son lot de mécontents, allégrement relayés sans aucun contrôle par une presse très peu diversifiée – gratuits (20 Minutes, le très populiste GHI et le journal de droite « Tout l’immobilier »), les clones Tribune de Genève et le Matin – plus en quête de sensationnalisme que d’information de fond. Et quand il s’agit d’un des plus grands « chambardements » de ces dernières années à Genève qu’ont connu les TPG (Transports Publics Genevois), les commentaires acides y vont bon train…

« Mécontentement à la place Bel-Air », pouvait-on lire dans la Tribune de Genève ce matin. Le nouveau réseau vient à peine de démarrer que déjà, ça grogne sec à Genève. On n’a même pas attendu le jour J pour cela ; depuis quelques semaines déjà, le mot « chaos » est souvent revenu dans les médias. C’est que les TPG, en plus d’inaugurer une nouvelle ligne de tram (Bernex-Onex-Gare Cornavin), ont simplifié les réseaux. Des lignes de bus ont changé de numéro, quelques trajets ont été réajustés et, plus fondamental, le réseau de tram a été simplifié, passant de six lignes à trois. Plus de cadence, mais plus de transbordements, ont annoncé les TPG dans leur tout-ménage et dans la presse. A la même occasion, les TPG ont procédé à une hausse du prix du billet : la course d’une heure passe de 3 CHF à 3.50 CHF par exemple. Ajouté à cela le temps pluvieux de ce lundi matin 12 décembre, et le cocktail propice à la grimace calviniste était prêt.

Avec un tel tableau, le lecteur extérieur peut avoir, à raison, une certaine sympathie à l’égard des usagers genevois. Loin les idées de Genferei ! Mais ce serait aller trop vite dans la simplification. Car le genevois, rapide quand il s’agit de râler, se voit nettement plus mou à la réflexion lorsqu’il s’agit de prendre ses responsabilités, tant citoyennes que personnelles, rejoignant de façon presque hypnotique le dogme libérale du « c’est la faute aux autres, c’est la faute à l’Etat ». Constat d’autant plus facile à faire que je suis genevois de naissance, usager régulier des transports publics et de prime abord sceptique sur les modifications opérées par les TPG, père d’une fille qu’il faut aller chercher à l’école à moins d’une heure de mon lieu de travail, et que j’essaie de suivre un tantinet la politique locale.

Prix du billet trop cher, mais impôts en baisse : faut prendre ses responsabilités !

Ainsi, selon les médias locaux, le genevois se plaint du prix trop élevé du billet de bus. Celui-ci, à l’instar des prix des titres de transports publics au niveau national comme ceux du train, ne cesse de s’élever. Et ce n’est qu’un début, selon l’ATE. Autant dire que le genevois n’a pas fini de se plaindre du prix du ticket. Mais, lorsqu’il y a quelques années, le peuple genevois a pu se prononcer sur la gratuité des TPG, celui-ci a voté « non ».

Bien sûr, certains pourraient rétorquer que la gratuité n’est pas la panacée et présente des risques qualitatifs – on voit le résultat sur la presse gratuite, où l’on est à des années-lumière de l’information de qualité. Mais à voir tout le bruit que fait cette hausse du prix, justifiant à elle seule l’usage de la voiture, « moins chère » (mais bon, selon PISA, statistique érigée comme vérité ultime pour classer les écoles, les genevois sont des cancres en math ; cela explique cette vision des choses, sans doute), on aurait pu attendre autre chose de l’issue de ce vote.

Ensuite, le genevois grincheux ne doit pas oublier que le transport public est un service… public. Celui-ci se finance, d’une part, par la billetterie et, d’autre part, par les subventions étatiques. Faisons un petit exercice de math (non les genevois, ne partez pas…). Prenons un volume, que nous qualifierons au départ d’incompressible et d’inextensible, et que nous appellerons « offre transports publics » ; subdivisons ce volume en deux sous-volumes égaux que nous nommerons « billetterie » et « subventions » (50/50, je n’ai pas les chiffres exacts pour les proportions, mais c’est pour illustrer). Aucun « vide » n’est permis. En gardant à l’esprit l’idée de départ que le volume « offre TP » reste constant, que devient le volume « billetterie » si le volume « subventions » diminue ? Ben « billetterie » augmente ! Augmente d’autant plus conséquente si, en plus, le volume « offre TP » n’est plus constant mais augmente lui aussi.

Certes, c’est une vision un peu simpliste. Les revenus publicitaires comblent sans doute un peu les augmentations (mais voir comme solution la transformation des véhicules en simples pancartes publicitaires n’a rien de réjouissant). Et des sources d’économies, sans pressions supplémentaires sur les employés, peuvent sans doute être trouvées. Mais les baisses d’impôts tout azimut, prônées et votées par la droite majoritaire depuis des décennies à Genève, trouvent bien un corollaire quelque part. Ici des places en crèches qui manquent, là-bas des classes d’écoles en sur-effectif… et, dans une société prônant l’économie avant l’être humain, des infrastructures de transports publics en constant développement, mais en manque de moyens autres que ceux de la billetterie. Car c’est bien connu, ce ne sont pas ces députés et élus, chaudement logés à Cologny ou au septième étage d’un immeuble à Plainpalais qui, d’une part, utilisent les transports publics et, d’autre part, souffrent du prix du titre de transport.

Au niveau suisse, nous verrons si l’initiative fédérale de l’Association Transport et Environnement (ATE) « Pour les transports publics », permettant entre autres une meilleure répartition des coûts entre la route et le rail, sera acceptée par le peuple. Ce serait déjà plus cohérent, et, en ce sens, je serai curieux du résultat à Genève. Mais au niveau du canton, quand la question du prix des transports publics (on pense par exemple à la gratuité pour les jeunes et les seniors, à mon avis largement jouable au niveau politique si le financement est bien chiffré) OU des investissements publics (baisses d’impôts non réfléchies) seront à nouveau sur le tapis des votations, il faudra voir si le genevois râleur sera cohérent, ou bien, ce que je pense être le cas en partie, que ce mécontentement n’est qu’une façon de masquer sa « paresse » et de maintenir sa soumission à la voiture. Je me questionne... La Fédération des Entreprises Romandes et le TCS ne s’étaient pas montrés favorables à la gratuité des transports publics…

L’Homo geneveticus est très frileux du changement… quand il s’applique à lui-même.

Autre grogne, le « changement ». Dans un monde où flexibilité, concurrence et progrès techniques sont érigés au rang vérité suprême, je m’étonne du bruit que peut faire ces changements de lignes de transports publics, sensés augmentés les cadences. Je pense qu’un habitant de Paris, New-York ou Bruxelles (ville que je connais bien) doit bien rigoler en apprenant que les genevois râlent parce qu’ils ne peuvent pas rester d’un bout à l’autre de leur déplacement dans le même véhicule. Ma foi, on désire « croître », « s’étendre »… Cela exige de s’adapter, non ? Une petite incohérence ? Bon, au vu de l’état de notre société libérale, ce ne serait pas la première…

Ben oui, les caissières peuvent bien s’adapter pour gérer leurs familles et travailler pour des horaires d’ouverture de magasins étendus. Mais lorsqu’il s’agit de Monsieur Tout-le-monde (forcément représentatif d’un plus grand public), l’adaptation n’est plus de mise.

Attendons pour juger du nouveau réseau, et jugeons de manière correcte et avec responsabilité.

A mes yeux donc, que les coûts ou les adaptations des infrastructures soient justifiés ou non, les genevois ont une grande part de responsabilité, par exemple sur le coût du billet, notamment par leur choix politique. On ne peut pas penser que la croissance économique que nous prônons à grands frais ne puisse pas nous impacter dans notre vie courante, notamment en se passant d’une infrastructure de transports publics qui puisse « suivre le rythme ». Et dans ces conditions, on ne peut pas imaginer que les baisses d’impôts, profitant surtout à ceux qui ont les moyens de se passer des services de l’Etat, puissent bénéficier automatiquement à la classe faible et moyenne, dépendante de ces services qu’il faut bien financer. Le transport public en Suisse en est un exemple symptomatique. Se plaindre que la vie est chère, puis voter comme des moutons libéraux, c’est une sorte d’oxymore politique !

Ce que j’aurais aimé entendre, comme plaintes (et c’est là que je salue la veille de l’ATE à ce sujet), c’est notamment ce qu’en pensent les personnes à mobilité réduite de ces transbordements apparemment plus nombreux. Si les simulations des TPG se révéleront inexactes, et si la situation s’est péjorée pour les seniors et les personnes à mobilité réduite, alors là oui, il y aura de quoi critiquer (de manière constructive) la politique de « standardisation » du réseau des TPG. C’est cela, entre autres, qui me paraît le plus important. Que M. Truc-muche mette cinq minutes de plus à se rendre à son boulot parce que, ô catastrophe, il doit changer de tram (dès aujourd’hui, c’est également mon cas en passant), que M. Machin soit perdu parce qu’il n’a pas pris la peine de lire les indications ni poser la question au personnel présent sur place pour aider le public, ou que les joints d’étanchéité des abris-bus place Bel-Air n’ont d’étanche que le nom… passez-moi l’expression, mais on s’en fout ! Combien de gens, qui ont pris la peine de se renseigner, de lire tout-ménage et autre affiche aux arrêts, ont pu prendre en compte les modifications, anticiper et s’affranchir facilement des « désagréments » inévitables en cas de modifications de réseau ?

Société individualiste, peuple qui pense que tout lui est dû, que tout doit être à portée de la main (comme un arrêt de tram devant SA porte) sans effort et surtout sans solidarité, la liberté sans la responsabilité : l’exemple des transports publics, à chaque fois, illustre peut-être cet état de fait. Aux adeptes du mécontentement chronique passifs et qui ne prennent de toute manière pas le bus (ceux que je connais ont d’ailleurs un porte-monnaie bien garni), je préfère la voix des laissés-pour-compte qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois et pour qui le prix des titres de transport pèse réellement (pendant près de deux ans, j’ai dû me passer d’abonnement et faire du vélo, pour le plus grand bien de mes mollets – le véloTAF, c’est le pied –, mais tout le monde n’a pas la possibilité pour le faire), aux personnes à mobilité réduite, aux séniors et aux pères et mères de famille, et à tout ceux qui se battent, chacun à leur façon et parfois de manière contradictoire, pour une mobilité plus respectueuse de l’être humain et de l’environnement.

Mais ce souci de parole n’est pas trop vendeur pour les médias à sensation et les partis politiques de la pensée unique et du populisme. Ben oui, imaginez : il faudrait briser le dogme et, pire, réfléchir !!!

Sandro Loi

mercredi 23 novembre 2011

Science : l’Espagne va-t-elle s’agrandir ?

Un monde en perpétuel changement.

Il n’y a pas si longtemps que cela, le dogme d’un monde immuable prévalait. Sur fond de principes religieux, les habitants de nos contrées croyaient en un univers fixe, où, depuis la création divine, les étoiles sont toujours restées à leur place, inchangées, les montagnes ont pris leurs formes actuelles, les mers ont toujours baigné les mêmes côtes, etc. Puis, la science, péniblement, a revu ces dogmes, bien que ceux-ci soit encore bien implantés dans l’inconscient collectif. A l’instar de l’univers, qui semble avoir un début et peut-être une fin, notre Terre (plus ou moins ronde) a eu une évolution, qui continue actuellement. Ainsi, depuis sa naissance il y a 4,6 milliards d’années, la Terre a vu des océans se créer, des continents se déplacer, des montagnes se former puis disparaître sous l’effet de l’érosion.

Cette dynamique de la surface de notre planète, loin de la rendre figée comme le croyaient nos ancêtres, trouve son origine dans la chaleur régnant en son centre : une espèce de réacteur nucléaire naturel – pas les bidules branlants et dépassés fabriqués par les humains, dont certains fossiles idéologiques semblent s’y attacher corps et âme – où la désintégration d’éléments comme le thorium, l’uranium et le potassium, produit une énergie qui met en mouvement de convexion d’énormes masses de matières. Pour visualiser ce phénomène, regardez les mouvements de l’eau d’un bouillon que l’on chauffe à ébullition dans une casserole : ces mouvements sont illustrés par ceux des fines herbes qui montent, entraînées par l’eau chaude, arrivent en surface où elles se déplacent horizontalement (comme le mouvement des continents à la surface de la Terre), puis redescendent avec l’eau refroidie.

Ces mouvements dans le manteau terrestre ont donc des répercutions en surface. Les continents bougent, se rencontrent et forment des chaînes de montagnes (les Alpes, l’Himalaya), ou se séparent et forment de nouveaux océans (Rift Valley en Afrique orientale). Et la chaleur du cœur de la Terre en profite pour s’échapper. Celle-ci rayonne au travers des nombreuses régions volcaniques de la planète.

On recense environ 500 volcans actifs de part le monde ; ce chiffre pourrait être bien plus élevé si l’on tient compte des rides océaniques, ces immenses chaînes montagneuses en forme de rift (vallées en gradins en leurs sommets) qui court au fond des océans. Mais ce chiffre bouge sans cesse. En 1947, un paysan mexicain a expérimenté en direct cela ; alors qu’il travaillait son champ, il remarqua une faille fumante dans celui-ci. Quelques jours plus tard, un cône de plusieurs centaines de mètres de haut avait remplacé son champ ; le Paricutín était né, et avec lui l'ensevelissement de la région environnante et les villages voisins sous une épaisse couche de lave. D’autres montagnes, que l’on croyait sans danger, endormi à jamais, se sont brutalement éveillées ; le Chaiten, au Chili, en est un exemple récent dramatique et spectaculaire.

En Europe, les régions volcaniques du sud de l’Italie et de la Grèce sont bien connues. En revanche, un fait d’actualité a fait pencher l’attention sur un groupe d’îles, autre centre volcanique de grand intérêt : les îles Canaries. Cet archipel d’îles volcaniques éteintes (volcan-bouclier de la Grande Canarie) ou actifs (Pic de Teide sur l’île du même nom, île de La Palma, etc.) est le théâtre d’un événement géologique relativement peu fréquent à l’échelle humaine : la naissance possible d’une île.

Petites bu-bulles avant gros boom ?

Il y a quelques mois en arrière, un nombre impressionnant de petits séismes (tremors) ont été détectés en-dessous de l’île d’El Hierro, la plus occidentale de l’archipel des Canaries, et le reste d’un volcan-bouclier dont la dernière éruption certaine remontait à 500 ans avant J.-C. La crainte des autorités était portée sur le risque d’un réveil du volcan, car le type de tremblements de terre enregistré correspondait bien à une origine volcanique (remontée de magma). Quelques semaines ont passé, et une grande tâche jaunâtre est apparue en mer, quelques kilomètres au sud de l’île, preuve qu’une éruption sous-marine se déroulait bien sur les flancs de l’édifice, projetant des gaz et des matériaux volcaniques dans l’océan.

Les choses semblent se préciser. Il y a quelques semaines, de grosses bulles de gaz ont fait leur apparition en mer. La température de celle-ci a d’ailleurs considérablement augmenté, atteignant 35 °C mardi 8 novembre, et continuant de croître, tout comme le pH de l’eau (acidité). Les poissons morts se ramassent à la pelle… Le sommet du mont sous-marin n’est probablement plus qu’à quelques mètres de la surface.






Naissance d’une île, un combat entre l’eau et le minéral.

La suite dépendra naturellement de l’évolution éruptive du volcan sous-marin. Si l’activité se poursuit de manière suffisamment intensive, on pourra bientôt assister à la phase dite surtseyenne de l’éruption (du nom de l’île islandaise de Surtsey, apparue entre 1963 et 1965, ou ce type d’éruption a été pour la première fois décrite) ; des panaches grisâtres en forme de cyprès (panaches cyprésoïdes) éclateront au sommet du volcan, lorsque celui-ci effleurera la surface de l’océan, résultat d’un contact explosif entre l’eau (des dizaines de degrés) et le magma (environ 1000 °C). Un tel phénomène, très spectaculaire, se voit notamment dans les îles Solomon, dans le Pacifique Sud, au volcan Kavachi.

Reste que l’existence de l’île dépendra de la constance de l’éruption, la sape exercée par les courants et vagues océaniques étant d’une force suffisante pour détruire l’édifice nouvellement sorti des eaux. Pour actif qu’il soit, Karachi n’a jamais franchement émergé des eaux ; l’île née en 1867 dans les Champs Phlégréens du canal de Sicile, en Méditerranée (entre la Sicile et la Tunisie), n’a « vécu » que quelques jours avant d’être détruite par la houle (mettant fin, du même coup, à une pathétique dispute internationale).

L’avenir nous le dira si la superficie de l’Espagne politique va augmenter ces prochaines semaines. Cela dépendra du résultat du combat des éléments : qui, de Vulcain ou de Neptune, triomphera ? Une belle démonstration, en tout cas, d’une planète « vivante » auprès de laquelle l’être humain est bien petit. Mais, ce n’est pas grave, loin de là, d’être petit face à la Nature, surtout si on la respecte !


Sandro Loi


PS : l’exaltation du passionné de géologie que je suis à l’occasion de cette éruption ne doit pas masquer la crainte des habitants d’El Hierro, dont visiblement certains font leurs valises. Une pensée à eux !


Sources :


Bientôt une nouvelle île dans l'archipel des Canaries?, RTBF, 11 novembre 2011, http://www.rtbf.be/info/etcetera/detail_bientot-une-nouvelle-ile-dans-l-archipel-des-canaries?id=7050753


France-Espagne, l’alternance politique « bidon » sous la bénédiction du dieu « marché ».

La crise politique que nous vivons a quelques effets très étranges.

La Suisse a connue cet automne ses élections au Conseil national et au Conseil des Etats, les deux chambres parlementaires où, dans la Confédération, les grandes décisions se prennent. Si, assez logiquement, les partis ultralibéraux comme le Parti Libéral Radical (PLR) et l’Union démocratique du Centre (UDC) ont heureusement perdu quelques « belles » plumes, sanctionnés notamment par leurs liens très serrés avec les milieux de la finance, et si le parti traditionnel du centre-droit (Parti Démocrate-Chrétien PDC) continue sa chute électorale, c’est en revanche un centre-droit « élargi », à tendance libérale, qui est sorti vainqueur de ces élections, au détriment aussi de la gauche. Quand bien même les vertus de la croissance s’en sont prises littéralement plein la figure avec Crédit Suisse et récemment Novartis [1], croire en la « main invisible » semble être nettement plus apaisant pour l’électorat en ces périodes de doutes. En d’autres termes, c’est comme si un malade d’un cancer des poumons provoqué par le tabagisme se verrait, à sa demande et celle du lobby du tabac, traité uniquement par des cigarettes, parce que celles-ci sont justes plus « agréables » à supporter que le traitement médical qui pourrait peut-être le sauver. Quand bien même l’issu en serait fatale et plus douloureuse… Notre société malade n’est donc visiblement pas prête de sortir de son coma intellectuel.

Mais bon, à notre décharge, c’est une tendance générale en Europe, que ce soit lorsque la « démocratie s’exerce », ou comme lorsque cette tendance est imposée « de l’extérieur », hors du contrôle démocratique. En Grèce, le socialiste George Papendreou, vaincu par son incohérence et sa politique de démantèlement social, est remplacé par Loukás Papadímos, ancien vice-président de la Banque Centrale Européenne (BCE) et économiste ayant les faveurs des marchés, à la tête d’un gouvernement de coalition où, une première depuis la fin de la dictature des colonels en 1974 [2], l’extrême-droite y est représentée (Alerte populaire orthodoxe – LAOS). Les tout-puissants armateurs grecs, grands acteurs des marchés et dont les rentrées d’impôts ont cruellement fait défaut, ne risquent pas d’être inquiétés [3].

L’Italie suit le même chemin. Après l’heureuse et trop tardive démission de Silvio Berlusconi (ce libéral-conservateur (non, ce n’est pas un oxymore) qui, sur fond d’humiliation nationale et de hausses d’impôts des moins riches, n’a eu de cesse de ruiner les infrastructures italiennes, éducation en tête), le président Giorgio Napolitano a nommé l’économiste (encore un !) Mario Monti [4] a la tête d’un gouvernement de transition chargé de redresser le navire italien… et de faire plaisir aux marchés. Car, malgré la médiocrité avérée de Silvio Berlusconi, ce sont bien les marchés, et non les multiples scandales, magouilles et preuves d’incompétences, qui ont eu raison du Cavaliere. Les inquiétudes purement financières ont pesé plus que les droits de l’Homme et des discriminations (montée du racisme en Italie, mainmise médiatique du pouvoir sur la presse et l’information, image de la femme, populisme) et des inégalités sociales (impunité des fraudeurs du fisc, éducation en chute libre, etc.). Comme le relève très justement l’éditorialiste du Courrier Samuel Schellenberg, dans l’édition de ce lundi 14 novembre [5], il n’est pas dit que les masses populaires, qui ont manifesté leur joie au départ de Berlusconi, voient leurs attentes récompensées par l’actuel gouvernement de transition – qui se pliera aux désidératas de Bruxelles, Berlin et des marchés – et surtout par le futur gouvernement, les sbires du Cavaliere et les brunâtres léguistes étant sûrement au rendez-vous. En attendant, M. Monti aura la délicate tâche d’appliquer fermement ce que l’Europe des marchés exige de l’Italie : de l’austérité. Avec son lot de mécontentement, risquant d’alimenter ce populisme dont Berlusconi s’est tellement nourri…

Mais les exemples d’une certaines aliénations électorales sont illustrées d’une manière caricaturale en France et en Espagne, bastions de régimes d’alternances qui, si elles pouvaient peut-être avoir du bon dans le passé, montrent, à la lumière de la crise du capitalisme actuelle, des signes d’un alarmant essoufflement.

France politique en 2012 : blanc-bonnet et bonnet blanc.

La France a été ces derniers mois le témoin d’un certain élan d’espoir, vite retombé s’il en est, en tout cas vu de l’extérieur. Les primaires – écologistes cet été puis, surtout, socialistes cet automne – ont rencontré un succès certains, donnant une légitimité aux candidats élus. Les socialistes, à ce jeu-là, en sont ressortis avec panache, la forte couverture médiatique ayant infligé ni plus ni moins qu’une claque à la poussiéreuse UMP de Nicolas Sarkozy, très silencieuse durant l’événement socialiste.

Mais, si l’exercice démocratique a de quoi faire réfléchir, et présente, selon moi, une base de travail à explorer pour redonner une certaine aura à l’exercice des droits politiques, force est de constater que, dans un pays aussi politiquement conservateur que la France, « l’éléphant a une nouvelle fois accouché d’une souris ». Alors que les années précédentes ont vu le modèle social-démocrate échoué un peu partout, la France aura comme candidat à la présidentielle 2012 le plus social-démocrate de ces représentants : François Hollande. Au-delà du fait qu’il pourra, oui ou non, vaincre Sarkozy, le socialiste porte déjà en lui les germes de sa future et inéluctable défaite : il veut relancer « la croissance ». Ben tiens, en voilà une idée innovante ! Pour combien de temps, jusqu’où, avec quoi ? Cela, malgré qu’en tant que politicien, il devrait « anticiper » et donc « savoir », François Hollande n’en dit pas grand chose. Normal, quand on croit à un dogme, on n’essaie pas de creuser pour savoir s’il y a quelque chose de solide derrière le « concept » de croissance dans un monde fini. Ou bien n’est-ce qu’un autre exemple de « après moi, le déluge » ?

On se « réjouit » alors de voir comme François Hollande va concilier croissance économique, entraînant notamment une hausse de la pression exercée sur les salariés, avec le bien-être de la population (car qui dit croissance économique, dans la vraie vie dit aussi une hausse de la concurrence et, de ce fait-même, une hausse des exigences, notamment sur les employés, et le lot de souffrances que cela entraîne [6]). On se « réjouit » de voir comme, en bon social-démocrate, M. Hollande fera pour que cette croissance économique ne soit pas pilotée par les marchés, avides d’austérité en termes d’investissement dans les services publics. Une impossibilité, à mon sens, tant ceux-ci sont inhérents à une économie globalisée, où les timides régulations, naïvement portés par les sociaux-démocrates comme étant le remède à tous les maux, peinent déjà à être introduites, concurrence oblige [7] !

Mais, sans partir sur des présuppositions bien hypothétiques (Hollande doit encore être élu), il paraît pourtant clair que, quelque soit le résultat de la présidentielle française en 2012 entre Sarkosy et Hollande, il n’y aura pas de surprise. Le système économique restant le même, la Vème République étant toujours là, le courage politique étant, lui, toujours aux abonnés absents, il n’y aura pas grand-chose à attendre du gouvernement Hollande, si celui-ci accède à l’Elysée en 2012. Sous un vernis faussement socialiste, François Hollande n’appliquera, sur le fond, qu’une politique de droite, de gré ou de force, politique dont l’austérité est la face la plus flagrante.

La « crise » entre Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) et le PS [8] a montré une fois de plus l’incapacité du système politique français (en l’occurrence, car ils ne sont pas les seuls…) à travailler au changement, tant ce système est englué dans divers lobbies. En témoigne la volonté du groupe Hollande de maintenir le chantier du réacteur EPR de Flamanville, gouffre financier et catastrophe industrielle, en répondant « favorablement » à la pression d’Areva pour faire capoter les accords PS-EELV [9]. Qu’attendre de différent d’une législature Hollande par rapport aux années sarkosistes, lorsque cette législature s’annonce déjà, avant même de commencer, aussi similaire dans la tactique politicienne, la soumission aux lobbies industriels et financiers et dans son manque de critique, notamment, envers les causes de la dette nationale (M. Hollande n’a pas daigné répondre au questionnaire d’Attac, tout comme un certain Nicolas Sarkosy… [10]) ?

Pourtant, il y aurait tout à gagner pour la France à bousculer cette alternance stérile, la stagnation idéologique qui en découle et son sous-produit excrété : le Front National. De timides et encourageantes prémices de changements, comme le concept de primaires, certaines prises de position courageuses d’Eva Joly (EELV), le lancement dans la campagne présidentielle du collectif « La Décroissance », les « indignés » parisiens, la conversion écologiste du PS français ou encore la montée en force de mouvements anticapitalistes sont une preuve d’un certain réveil citoyens. Mais, en France comme ailleurs, il faudra plus d’énergie pour faire tomber ces piliers de l’immobilisme intellectuel et social que sont l’ultralibéralisme et la social-démocratie. Sans cela, sans une indignation populaire plus forte, il ne faudra pas attendre de changement, de gauche comme de droite !

Espagne : « la menace était imminente », elle a été confirmée par les urnes ce dimanche 20 novembre.

Au tournant du XXIème siècle, alors que l’Europe se dirigeait toujours plus vers le libéralisme économique sans borne qui la caractérise aujourd’hui, que ce soit à l’époque des dernières élections européennes ou plus tôt, lors de celles de Tony Blair et ensuite de Sarkosy, Merkel ou Berlusconi, une « exception » semblait se dessiner. Un « espoir » (un peu naïf) pour les causes sociales se présentait en Espagne. La gauche revenait au pouvoir avec l’élection, en 2004, de José-Louis Rodriguez Zapatero [11]. Or, depuis, la crise est passée par là. Huit ans plus tard, après, reconnaissons-le, de bonnes choses effectuées (comme la reconnaissance du mariage homosexuel, la tentative de suppression de l’enseignement religieux obligatoire à l’école ou encore la régulation massive de réfugiés, contre l’avis d’autres pays européens dont la France), M. Zapatero a plié sous le poids des marchés et n’était plus le favori des sondages. Son parti, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE), est en complète déliquescence (à l’instar de son cousin grec). L’Espagne compte 5 millions de chômeurs, soit de mémoire près de 15% de la population ! La situation générale est très préoccupante.

Comble de l’ironie, le mouvement des « indignés », apolitique mais qui transmet des valeurs essentiellement de gauche et altermondialistes [12], s’est très vite attaqué, à raison, au premier-ministre espagnol. Tous les sondages prédisaient Zapatero perdant, et une victoire aux élections du 20 novembre pour… la droite. Ignacio Ramonet, directeur du Monde Diplomatique en espagnol et président de l’association Mémoire des Luttes (www.medelut.org), décrivait de manière très intéressante ce phénomène dans les pages du Courrier du 14 novembre 2011 [13]. Par sa politique foncièrement antisociale, par sa soumission aux marchés (que M. Zapatero qualifiait d’ « impopulaire mais courageuse »), le premier ministre faisait « déjà, en économie, une politique de droite », selon M. Ramonet. Résultat : l’Espagne s’est tournée vers une (pseudo) alternance, le candidat de droite Mariano Rajoy (Parti Populaire) ayant confortablement remporté les élections. Ce qui est intéressant, c’est que Rajoy a pris, comme exemple de politique à appliquer, celle de la région de Castille-La Manche, un « laboratoire » d’idées, où son parti était déjà au pouvoir. De cet exemple, il compte faire la même chose dans le reste du pays. Sauf que la fureur populaire grondait déjà en Castille-La Manche, les habitants souffrant des coupes drastiques dans les prestations publiques, notamment l’éducation et la santé. Même constat en Catalogne, autre bastion récupéré par la droite, relevait le journaliste (mais où le Parti Populaire de Rajoy n’est arrivé qu’en quatrième position derrière les nationalistes).

D’où vient ce manque de choix politique, un choix se résumant, idéologiquement, presque entre la peste et le cholera ? La faute à qui ? A l’omniprésence des marchés, véritables « castrateurs » d’idées nouvelles avec leur marketing, sans aucun doute ! Mais aussi, dans tous les cas, une faute au système social-démocrate, prouvant une nouvelle fois ces limites tant son incapacité à proposer « autre chose » que la droite libérale est devenue flagrante. La faute à une « gauche de la gauche » espagnole semblant imiter l’exemple genevois (perpétuelles divisions) et, comme l’écrivait M. Ramonet, de forces alternatives (écologisme) « encore dans les limbes ». Le choix n’était donc plus guère étendu dimanche 20 novembre en Espagne, hormis peut-être l’abstentionnisme, grande gagnante de ces élections. Reste que, je l’espère, le soutien aux « indignés » et aux alternatives naissantes grandira peut-être au cours de cette législature de droite…

Car, ce qui est sûr, c’est que le gouvernement Rajoy continuera, de plus belle, l’œuvre de privatisations et de coupes sociales qu’a initié M. Zapatero ; plus piquant est le fait que le parti du nouveau premier ministre espagnol est le même que celui de M. Azenàr, à l’origine des politiques immobilières qui ont conduit au crash économique que connaît l’Espagne, à l’origine de la crise [14] ! Amnésie politique, lavage de cerveau à grande échelle, ou preuve d’un profond désespoir de la population ?

C’est ici, comme pour la Grèce ou la France mentionnée plus haut, un triste constat où, comme le relève très justement Hervé Kempf dans ses écrits [15], une « oligarchie » (monde de la finance mondiale) contraint les démocraties, désabusées (et donc plus manipulables peut-être) à maintenir le dogme de la croissance à tout prix, même si celui-ci implique, de facto, une décroissance du bien-être des peuples (coupes budgétaires dans l’éducation et la santé). Comme si, malgré tous les signes d’une décadence politique et structurelle, d’un capitalisme mettant l’humain après la finance, les électeurs, rendus toxicodépendants à la consommation, votaient au final toujours pour les responsables des crises à répétition ! Et cela, bien sûr, c’est quand les peuples peuvent avoir le droit de s’exprimer… L’exemple des cris d’effrois de l’Europe et des marchés à la seule parole de « référendum », prononcée par George Papandreou, est révélateur de cette véritable décadence. La « menace » que soulignait M. Ramonet dans son article, pour les indignés espagnols comme pour les plus faibles d’entre nous, n’est donc pas prêt de diminuer.

Gageons que ces futures années, où la pensée unique chère à Friedrich Hayek progressera en Espagne ou en Grèce, seront salutaires aux forces du changement, leur permettant de supprimer définitivement ses vieux démons (communisme, capitalisme) et d’oser présenter une véritable alternative durable (dans le temps), écologique et solidaire à la population. Dans le sens où, ces temps, on commence timidement à remettre publiquement en cause cette pensée unique et l’indéboulonnable capitalisme de leur pied-d’estale idéologique (chose qui m’était impensable il y a peu encore), on peut rêver que les revers à répétition subies par les sociaux-démocrates vont enfin les convaincre de l’obsolescence de leur système.

Oui, on peut rêver…

Sandro Loi

Sources :

[1] Le traumatisme des suppressions de postes chez Novartis, Revue de presse, Télévision Suisse Romande, 26 octobre 2011, http://www.tsr.ch/info/revue-de-presse/3544484-le-traumatisme-des-suppressions-de-postes-chez-novartis.html

[2] Dictature des colonels, Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Dictature_des_colonels

[3] Editorial - L'Europe contre les nations et les peuples, § Quelles solutions pour la Grèce, Danielle Riva, Utopie-Critique, http://www.utopie-critique.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=208

[4] Les marchés asiatiques soulagés par la désignation de Mario Monti, AFP, 14 novembre 2011, http://www.google.ch/url?sa=t&rct=j&q=Mario%2BMonti&source=newssearch&cd=6&ved=0CEkQqQIwBQ&url=http%3A%2F%2Fwww.google.com%2Fhostednews%2Fafp%2Farticle%2FALeqM5hqjOi8fOcVSU8e80_Ed4f1eUed-g%3FdocId%3DCNG.84e4f0dd67c4f059b896f82d8f261ae5.91&ei=zzLBToZvhcO0Bpf-3P0C&usg=AFQjCNGuQiigrPj6tjNFMFGwbc0WPDkqTA

[5] Marché VS Impôts, Samuel Schellenberg, le Courrier, 14 novembre 2011

[6] Derrière la souffrance au travail, le délitement des valeurs collectives, Alexie Lorca, Un Monde Avance, Mediapart, 1er février 2011, http://blogs.mediapart.fr/edition/un-monde-davance/article/010211/derriere-la-souffrance-au-travail-le-delitement-des-val

[7] Social-démocratie, Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Social-d%C3%A9mocratie

[8] Comment les Verts ont détaché le PS du nucléaire, Anne-Sophie Mercier et David Revault d'Allonnes , Le Monde, 21 novembre 2011, http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/11/21/comment-les-verts-ont-detache-le-ps-du-nucleaire_1606890_823448.html

[9] Nucléaire: Areva ne veut pas se substituer au politique, mais contribuer, AFP, 17 novembre 2011, http://www.romandie.com/news/n/_Nucleaire_Areva_ne_veut_pas_se_substituer_au_politique_mais_contribuer171120111311.asp

[10] 2012 : les candidats répondent au questionnaire Attac, http://www.france.attac.org/articles/2012-les-candidats-repondent-au-questionnaire-dattac

[11] José Luis Rodriguez Zapatero, Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Jos%C3%A9_Luis_Rodr%C3%ADguez_Zapatero

[12] Mouvement des Indignés, Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_des_Indign%C3%A9s

[13] Espagne, danger imminent, Ignacio Ramonet, le Courrier, 14 novembre 2011

[14] Mariano Le Bref ?, Benito Perez, Le Courrier, 21 novembre 2011, http://www.lecourrier.ch/mariano_le_bref

[15] L'oligarchie, ça suffit, vive la démocratie, Hervé Kempf, Edition Le Seuil, 2011, ISBN 10 2021028887

dimanche 23 octobre 2011

Une société adolescente, 2ème partie

Nos civilisations, en pleine adolescence : en cas de dépression et d’overdose populiste, attention au risque de suicide !

On peut voir, dans ces décennies d’inquiétudes économiques, comme une période adolescente de notre société « moderne ». C’est, je le conçois, une vision assez amusante lorsque l’on pense à notre certitude de vivre une époque mature, signe de progrès constant… adulte, en somme ! Le pendant sociétal de l’ancienne vision religieuse qui, dans l’histoire des sciences, a tenté d’imposer jusqu’au XXème siècle, si ce n’est le créationnisme, au moins l’idée du « cône de complexité », illustrant une montée dans la perfection et la diversité au fil des âges pour aboutir au dessein ultime, l’Homme (idée pleinement contredite par la science au siècle passé [17] [18]).

Rien de bien méchant dans mon image d’une société moderne en âge de l’adolescence : tout être humain, sauf accident malheureux, passera par cette période, synonyme de troubles existentiels parfois importants, mais aussi de remise en question, cette remise en question qui devrait, en principe, ouvrir les portes du monde « adulte ». Les réponses trouvées ne seront pas forcément les bonnes, pas immédiates, pas « prêtes à l’emploi ». Mais l’exercice de la remise en question de soi, de la prise de recul, que, inconsciemment, nous faisons tous à l’adolescence avec plus ou moins de succès, est capital.

Le parallèle avec notre société adolescente est intéressant, à plus d’un titre. Les troubles qui nous touchent ne sont pas si différents de ceux, à l’échelle de l’individu, qui touchent la personne adolescente.

Les fameuses remises en question se sont déjà posées, en partie du moins, des fondements de la démocratie jusqu’à la remise en cause de l’omnipotence des religions et la condamnation du racisme. Certaines remises en questions commencent timidement à faire leur chemin, comme la place de la femme dans notre société ou encore les problèmes environnementaux. Et d’autres questions arrivent enfin dans le débat public, malgré les dogmes puissamment implantés dans notre conscience par des décennies de rêves consuméristes : le développement économique infini est-il possible dans un monde fini, où n’est-ce qu’un écran de fumée idéologique ? Est-ce que le capitalisme sauvage que nous connaissons (tout comme le communisme autrefois), incapable de se remettre en cause ni, par le fait même, d’apprendre de ses erreurs, est-il un modèle qui, entre autre, nous procure du bonheur et du plaisir de vivre ? Est-ce que l’accumulation de biens matériels chez nous est une fin en soi incontournable, justifie-t-elle n’importe quoi et conduit-elle obligatoirement en la diminution de la pauvreté, ici comme ailleurs ?

De la même manière que pour l’éveil de l’écologisme dans les années 50, ces bribes de prise de conscience ont au moins fait que la notion de décroissance, pourtant pas très récente, revienne sur le devant de la scène en ce début du XXIème siècle [19]. Ce retour est perceptible, à des degrés divers, notamment dans la très capitaliste Genève, où des politiciens comme Julien Cart [20] des Jeunes Verts ou même la conseillère administrative socialiste en charge des finances de la Ville de Genève Sandrine Salerno [21], osent questionner publiquement le système, avec il faut le dire, un certain courage (on n’est pas dans le pays des banques pour rien). Le mouvement des indignés genevois, questionnant frontalement le problème de « l’économie passée avant l’être humain », en est le pendant citoyen et apolitique de cette prise de conscience, stimulé par l’actualité et par la variété d’opinion que le caractérise. C’est heureux, on se réveille !

Adolescence dit aussi succomber aux tentations, aux voies faciles et rapides, au rejet des « contraintes » de la vie d’adulte, sans tri ni nuance. Cela peut être positif : garder un esprit d’enfant signifie maintenir ce côté ouvert, apte à l’apprentissage, qui caractérise les tous jeunes. Et la curiosité, comme le prétendent certains adultes, n’est pas forcément un vilain défaut (science, culture, aller vers « l’autre », etc.). Mais cette quête de facilité, cette paraisse, qui peut caractériser certains choix de notre adolescence (je sais, pas pour tout le monde, on s’entend), on la retrouve dans la société, où les populistes (MCG à Genève) profitent de ce manque de repère illustrant ces années économiquement fumeuses pour distiller propos faciles et nauséabonds sans aucun fondement ni idée concrète. Un peu comme les mauvaises fréquentations qui vont profiter de l’adolescent en détresse pour arriver à leurs fins.

A cela s’ajoutent la peur du changement et la peur de grandir, naturelles chez les jeunes mais qui, en société, peuvent parfois se résumer au maintien d’archaïsmes idéologiques. En économie, cela a consisté, on l’a vu, au maintien des vieilles habitudes libérales : oublier les belles paroles au lendemain des scandales UBS et autres, on fait toujours allégeance au monde bancaire et financier qui, au-delà des démocraties, font leur loi (en témoigne la toute puissance sur les gouvernements des agences privées de notation comme Moody’s, Standard & Poor's et Fitch Ratings). Les bonus sont repartis de plus belle, et récemment, après avoir été sauvé par les pouvoirs publics, voilà que cette même UBS claque 2 milliards sur des fonds à risque via un trader de la City de Londres, héritage tatchériste en plus (tout un symbole) [22].

Et du point de vue économique, les prétendus efforts de transparence ne sont que des vœux pieux, pour ne pas dire autre chose ; en témoigne l’opacité qui entoure pourtant l’une des premières forces économiques de Genève et de la Suisse : le négoce de matières premières [21]. Opacité dénoncée notamment par l’ONG la Déclaration de Berne et le livre Swiss Trading SA [23], ceci alors que, comme le soulignait Sandrine Salerno, « ces firmes s’implantent pour payer moins d’impôts mais aussi pour éviter d’être soumises aux régulations européennes plus drastiques que les nôtres » [21] ; le peuple souverain (en théorie), genevois en l’occurrence, serait au moins en droit de savoir pourquoi et pour qui il doit se serrer la ceinture en termes de prestations publiques et de logements ! La pathétique et révélatrice réplique des milieux économiques, courroucés par les questions pourtant fondées de la magistrate socialiste [24], font bien penser à ces caprices de jeunes adolescents pourris-gâtés, refusant les responsabilités de leurs actes lorsque ceux-ci sont pointés du doigt, révélés au grand jour et contestables.

Mais c’est avec ces gesticulations des populistes et des responsables des crises actuelles, accrochés désespérément et égoïstement à leur gagne-pain défiscalisé, que ce parallèle « adolescence et société » a de quoi inquiéter. Le suicide des jeunes est une réalité dans de nombreux pays, signe d’un désespoir dont notre société même, avec ces exigences et ces pressions (« t’es un winner ou un looser ! »), a une part de responsabilité. Cette triste réalité humaine pourrait-elle avoir son reflet dans l’évolution de la société ? Bien sûr, comparaison n’est pas raison : mon parallèle et mes propos sur une société à l’adolescence compliquée a peut-être ces limites.

La Guerre Froide et la course démente à l’armement nucléaire au XXème siècle faisait pourtant penser, physiquement, au pistolet qu’une personne suicidaire songe à pointer sur sa tempe. Aujourd’hui, le don de notre espèce à annihiler son environnement et ces semblables – homogénéisation culturelle, conflits motivés plus par l’appât du gain que par des questions humanitaires (la France et d’autres en Lybie, les USA en Iraq) – est une autre manifestation physique de cette tendance suicidaire de notre civilisation. La déshumanisation de notre société, par l’application bête et dogmatique des pensées de Hayek et d’autres penseurs ultralibéraux, représente l’aspect moral de cette même tendance. Au même titre qu’une personne souhaitant mettre fin à ses jours à cause d’une situation générale (matérielle, humaine, relationnelle, émotionnelle, etc.) affectant son moral (dépression, suicide)…

A force de mettre la pression sur les peuples, l’économie globalisée s’est profondément déshumanisée, et le moral des gens s’en trouve affecté ; jusqu’où poussera-t-elle encore le bouchon ?

Aider notre espèce à grandir, c’est la rendre plus respectueuse avec son environnement… et avec elle-même !

A l’instar de l’aide que nous devons porter aux autres, dans les petites tracasseries quotidiennes comme dans les malheurs plus profonds, plus sourds qui peuvent mener à l’irréparable, nous devons aider notre société, et au demeurant, notre espèce entière, à surmonter les défis évolutifs et intellectuels qui se profilent. Souhaitons-nous continuer dans cette voie irresponsable socialement et écologiquement que nous tracent les ultralibéraux ? Souhaitons-nous nous voiler la face en écoutant les paroles envoutantes des populistes qui, à l’instar des slogans publicitaires et du marketing à outrance qui plongent les jeunes dans les dettes abyssales, mènent l’humanité vers une impasse intellectuelle ? Où souhaitons-nous faire un pas vers une métamorphose adulte, pas vers le robot légaliste que les Pères de la Rigueurs et autres prôneurs de la « peur du flic » souhaiteraient nous voir transformer, mais en une société plus sage, respectueuse des autres et consciente que ses individus vivent ensemble, parmi de nombreuses cultures et formes de vie, dans un ensemble fini mais d’une complexité telle qu’aucune idéologie ne pourrait jamais standardiser.

Cette aide passe obligatoirement par une remise en question de nos habitudes, de notre consommation ignorante et de nos rapports avec la politique. Tout n’est pas qu’une question de « marché », de « finance », de « pouvoir d’achat » ; il s’agit surtout de « citoyenneté », de « responsabilité sociale et écologique » et de « solidarité » avec les autres, les cultures et avec l’ensemble de la planète. Cela doit primer sur l’économie, afin de mettre l’humain et son environnement à la place qu’il leur revient, la première. L’économie peut être un outil, dont son maniement doit être bien appris, mais en aucun cas le « dieu » moderne qu’il est devenu aujourd’hui !

Cette remise en question de nos croyances et de nos certitudes, avec la sagesse qui doit permettre le maintien d’acquis sociaux arrachés de hautes luttes, c’est l’exercice intellectuel et l’action à entreprendre par l’adolescente qu’est notre espèce humaine. Loin du populisme primaire qui ne secoue rien durablement – ce n’est même pas son but – c’est cela qui pourra la métamorphoser, lentement mais surement, en quelque chose de mieux. Les indignés d’ici et d’ailleurs nous montre la voie, nous disent qu’une contestation est possible.

La voie de la sagesse, pour notre adolescente espèce, est encore longue et il faudra beaucoup d’effort pour la parcourir. A nous, citoyennes et citoyens, de l’aider dans cette tâche. Certaines communautés, de part le monde, au fin fond des forêts tropicales ou au beau milieu de déserts arides, ont déjà fait le pas, depuis très longtemps. D’autres sont en train de le faire. Et nous, que faisons-nous ?


Sandro Loi


Sources "deuxième partie" :

[17] Il était une fois nos ancêtres, une histoire de l'évolution, Richard Dawkins, Robert Laffont, 2007, ISBN 978-2-221-10505-4

[18] La vie est belle, Les surprises de l'évolution, Stephen Jay Gould, Editions du Seuil 1991, ISBN 2-02-035239-7

[19] La Décroissance, Une Idée Pour Demain - Une Alternative Au Capitalisme : Synthèse Des Mouvements, Timothée Duverger, Editions Sang de la Terre, ISBN 978-2-86985-257-0

[20] Le blog d’un Vert objecteur de croissance, Julien Cart, http://objectiondecroissance.blog.tdg.ch

[21] Vivre à Genève, numéro 42, septembre 2011, http://www.ville-geneve.ch/fileadmin/public/Departement_0/Publications/vivre-a-geneve-magazine-42.pdf

[22] UBS: Oswald Grübel démissionne, emporté par la fraude d'un trader, ATS, 26 septembre 2011, http://www.romandie.com/news/n/UBS_Oswald_Grubel_demissionne_emporte_par_la_fraude_d_un_trader260920110609.asp

[23] Swiss Trading SA. La Suisse, le négoce et la malédiction des matières premières. Déclaration de Berne (Éd.), Editions d'en bas, 368 pages, Lausanne, septembre 2011, ISBN 978-2-8290-0411-1

[24] Sandrine Salerno sous le feu nourri de la Genève économique, Mario Togni, Le Courrier, 4 octobre 2011.



Une société adolescente, 1ère partie

Troubles, troubles, troubles…

Je ne sais plus de qui cela venait, mais ces mots prononcés à la radio par quelqu’un de grande culture interrogé lors d’une série d’interviews sur la fin du capitalisme étaient révélateurs et m’ont laissé pensif : « nous vivons l’Histoire ! » ; mots emprunts d’un certain optimisme, un brun réconfortant dans cette période de la dite Histoire qui, à l’instar d’autres moments charnières par le passé, est vraiment trouble !

Les crises se succèdent. Pas un jour ou presque sans que les médias ne rapportent une « bourde » d’une banque, un « désaccord » sur l’Euro, une répression sanguinaire opérée par un dictateur contre un soulèvement populaire ou encore une catastrophe industrielle qui, jour après jour, montre la face cachée de filières énergétiques autrefois tant vantées… 30'000 fonctionnaires grecs vont être licenciés, pendant que dans le secteur privé, des banques comme des entreprises licencient, alors qu’elles font du bénéfice (UBS, HSBC). Les petits propriétaires américains se voient jeter dehors, toujours incapables de rembourser leurs dettes immobilières, ceci plusieurs années après la célèbre crise des subprimes. La politique des USA semble être partie pour devenir de plus en plus instable, alors que le pays est en train de perdre, face à l’émergence de pôles de puissance comme le Brésil, la Chine ou l’Europe Occidentale, son leadership mondial (soit !). Bien plus grave, l’Afrique de l’Est se meure dans l’indifférence quasi générale. On souffre toujours de la pollution chronique, sur l’ensemble de la planète, des rives du Gange jusqu’au Golfe du Mexique, en passant par les terres souillées de pétrole du Nigéria, les contaminations nucléaires de Tchernobyl (toujours d’actualité) et de Fukushima. Ajoutons à cela les aléas naturels, comme le tsunami japonais de mars 2011, les effets de la déforestation qui ont marqué à sang tant Haïti (sols dénudés, à la merci des tempêtes tropicales et tremblements de terre) que l’Indonésie (disparition des mangroves, protection non négligeable contre les tsunamis). La liste serait encore longue.

Et la Suisse, ce havre de paix ? Et bien, hormis les pontes du Parti Libéral-Radical il y a seulement quelques semaines de cela – le franc fort les plongeaient dans une sorte d’autosatisfaction, du style « nous nous en sortons pas trop mal » –, tout le monde semble d’accord pour admettre que cette période de l’histoire suisse n’est pas indépendante des troubles économiques et sociaux du reste du monde, qu’elle est difficile surtout pour les plus faibles d’entre nous, et que l’ambiance générale est morose. Si, heureusement, la situation est incomparablement moins grave que dans d’autres pays, proches comme éloignés, force est de constaté que les vertus d’une économie vantée comme solide ne porte pas des fruits pour tout le monde.

Genève en est l’exemple type. D’une manière presque caricaturale, l’humain y a céder le pas sur les intérêts économiques, où sa promotion s’est faite tant au détriment du tissu économique local qu’à ses habitants : impossibilité de se loger à des coûts raisonnables (sauf quand on est du « milieu », comme le montre le libéral Mark Muller et nombre de ses petits camarades), coûts des assurances maladies élevés, frais annexes croissants et très importants, comme ceux relatifs à la garde des enfants – dus à une demande sans cesse croissante de disponibilité pour l’économie, performance et efficience obligent –, insécurité sociale grandissante (locataires délogés, etc.). Au final, la Suisse ne fait pas exception à ce mouvement d’inquiétude populaire qui ne semble pas n’être qu’une « folie passagère ».

Le monde a évolué...

En témoignent les remous contestataires. Le mouvement des « indignés », parti d’Espagne et, d’une manière différente, d’Afrique du Nord, gagne les cités comme Genève, paradis des banques et du négoce de matières premières – les tentes sont installées au Parc des Bastions –, et même aux Etats-Unis, patrie de l’ultralibéralisme, en ce début d’automne. La situation géopolitique mondiale évolue. Dans quel sens, bien malin celui qui pourra le savoir. D’où cette inquiétude, palpable chez nous, occidentaux, aussi.

Car autrefois, dans les années 80-90, après le stress de la Guerre Froide, cette « boule à l’estomac » n’était connue, malheureusement, peut-être que par les habitants du Tiers-Monde (sans pour autant dire que la vie de mes parents était rose, loin de là…). Chez nous, le dogme ultralibéral a pu s’implanter, selon Susan George [1], à grand renfort de publicité, de marketing et de glorification de la consommation. C’est à cette période que « le début de la fin » s’est amorcé, si j’ose dire.
Un signe révélateur, les différences salariales entre les dirigeants d’entreprise et les employés « du bas de l’échelle » : le conseiller national Joseph Zisyadis relevait ainsi que, si en Amérique, on préconisait au début du XXème siècle, un « maximum de différence admissible entre le plus bas et le plus haut salaire de 1 à 20 », en 2005, « les dernières statistiques américaines chiffrent cette différence, cette inégalité, à un rapport de 1 à 435 » [2] (à voir aussi les analyses de Travail.Suisse pour l’UBS, c’est édifiant : http://www.tsr.ch/info/economie/2132600-les-ecarts-salariaux-se-sont-creuses-de-18-en-2009.html).

Susan George, dans son livre [1], relève également que, aux Etats-Unis, la tranche des revenus les plus élevés était taxée à hauteur de 90% en 1950. En 2009, les plus riches (revenus de plus de 372'950 $) n'étaient plus taxés qu'à hauteur de 35%. Cette tendance a été générale dans l'ensemble des pays occidentaux.

Autre signe, la fortune nette des personnes physiques ! André Mach, politologue et maître-assistant en science politique à l’Université de Lausanne, écrivait en 2004 [3] :

« La fortune nette totale des personnes physiques en Suisse a progressé de plus de 40% entre 1991 et 1997 à prix courants. Parmi les personnes détenant plus d’un million de francs de fortune nette, la progression a été de près de 70% durant la même période. En 1997, la fortune totale détenue en Suisse se montait à 750 milliards de francs, dont 50% était détenu par 3% des contribuables, alors que 97% détenaient les autres 50%. »

Mach poursuit. « Toujours en ce qui concerne la fortune, selon le rapport ‘World Wealth Report’ 2004 de Merrill Lynch et Cap Gemini sur les plus riches de la planète, (disposant d’une fortune supérieure à un million de dollars, sans tenir compte des biens immobiliers), paru en juin 2004, le nombre de millionnaires en dollars atteignait 180’000 en Suisse et disposaient d’une fortune totale de 750 milliards de francs [soit la fortune totale détenue en Suisse en 1997 !?!]. Dans le canton de Vaud, selon les dernières statistiques de l’administration cantonale [de 2005], le nombre de millionnaires a plus que doublé au cours des dix dernières années pour atteindre un peu plus de 23’000. D’autre part, entre 1981 et 2001, la fortune brute déclarée dans le canton est passée de 36 milliards à 126 milliards de francs. Alors que les 10% les plus riches concentrent les deux tiers de la fortune cantonale, la moitié des contribuables ne dispose que de 2% de cette fortune. »

« Qu’y-a-t-il de mal à cela ? » répondent les tenants de l’idéologie dominante et de la pensée unique aujourd’hui. La concurrence, propre à la société libérale, amène une lutte acharnée pour la survie économique des entreprises, banques et sociétés, et exige dès lors des chefs compétents, engagés et donc bien rémunérés ; s’ils sont riches, c’est que ces chefs sont compétents et savent prendre des risques. Oui, oui… mais un bémol tout de même : si ces chefs peuvent s’en sortir sans les ouvriers (voir quelques belles débandades comme celle de Philippe Bruggisser, ex-patron de SR-Group [4], ou encore celle de M. Ospel, patron du conseil d’administration d’UBS (2001 - 2008) [5] et accessoirement proche d’un certain Christoph Blocher), l’entreprise, en tant que source de travail et d’équilibre social pour la société, ne peut se défaire de salariés heureux, bien dans leur job… elle ne peut s’en passer. ABE ! De plus, lié concurrence et besoins de payer grassement les chefs et actionnaires des grandes sociétés est certes assez logique… jusqu’au moment où l’on s’intéresse à cette même concurrence.

Les années 80 ont marqué, selon les historiens, un tournant dans le capitalisme, celui-ci passant d’industriel à financier. En parallèle, cette transition s’est vue accompagnée, notamment, par une baisse des impôts significative payés par les grandes sociétés et les particuliers les plus riches (concurrence fiscale). Mais, alors que ceux-ci sont farouchement attirés par les états, gouvernements et collectivités, comme à Genève, les investissements publics, logiquement attendus pour répondre à cette demande, peinent à suivre, voire font tout simplement défaut. Le Canton de Genève est très actif pour attirer les traders en matières premières (pétrole, métaux, etc.) et les multinationales, mais peinent à suivre le rythme questions accueils des enfants (places de crèches manquantes et pression budgétaire sur la formation de personnel éducatif, fermeture de classes primaires, comme à Meyrin, où sont privilégiés les doubles degrés au détriment de classes à petits effectifs – la formation est l’une des victimes classiques des restrictions budgétaires, d’où par exemple une augmentation des effectifs d’élèves par classe), en transports publics (augmentation de l’offre arrachée de haute lutte, mais baisse des subventions publiques, d’où un accroissement du prix du billet), en logements sociaux ou encore en aménagement durable du territoire (par exemple impact de la hausse du trafic ignoré, agriculture de proximité supprimée).

… et l’indignation se propage.

La Grèce et le Portugal, notamment, commencent, par leurs problèmes de dettes, à secouer les esprits, même en Suisse, révélant au grand jour les conséquences des dérives fiscales et, d’une manière générale, celles d’un monde mettant l’économie avant l’humain, avant tout le reste : comme le fait remarquer pour le Portugal Benito Perez dans l’éditorial du Courrier du lundi 3 octobre, si tout le monde a une part de responsabilité, « la crise de la dette n’est pas le produit d’un peuple vautré dans de luxueux acquis sociaux. Depuis dix ans, ce sont bien les baisses d’impôts et les privatisations qui ont rythmé la vie du Portugal [et de la Grèce, en témoignent la fraude fiscale, érigée comme sport national [6], ou encore les appétits fonciers de certains propriétaires terriens, prêts à bouter le feu aux forêts [7]]. Dans le même temps, le libre-échangisme européen continuait de creuser le déficit de sa balance commerciale. » N’en déplaise « aux Pères de la Rigueur qui pérorent au bistrot et sur les plateaux TV… » [8].

Mais ces Pères de la Rigueur sont bien présents, au pouvoir tant économique que politique. Les lobbys de l’économie sont très puissants, même en Suisse comme le relève Fabio Lo Verso dans le n°2 du journal La Cité [9]. Loin de payer de leurs poches les errements économiques dont ils sont pour une bonne part responsables, ou de faire payer les spéculateurs de tous poils, bien sûr responsables, c’est aux populations de payer la dette, à grand renfort d’affaiblissement des services publics. Pendant que les bonus et les profits d’une minorité continuent de gonfler…

Ainsi, cela se traduit par une grogne des peuples face au maintien des privilèges des puissants. Même Evo Morales, président socialiste indigène de Bolivie, a cédé aux sirènes du profit, et foule les intérêts des gens – peuples indigènes, habitants de la forêt amazonienne – pour le seul intérêt économique (construction d’une autoroute traversant notamment une réserve écologique d’un million d’hectares et coupant en deux les terres des ethnies Chiman, Mojeño et Yuracaré [10] [11]).

L’indignation éclate un peu partout, non pas seulement face à un politicien ou un gouvernement donné, de gauche ou de droite – cela ne serait guère nouveau – mais bien contre le système économique global. Au Chili, les étudiants s’opposent aux héritages idéologiques ultralibéraux de Pinochet, repris allégrement par le gouvernement Piñera [12]. Le « Printemps arabe » de 2011 n’est pas tombé du jour au landemain, et ses fondements ont plusieurs années déjà. L’agacement populaire tient autant aux régimes dictatoriaux – Ben Ali en Tunisie, Kadhafi en Lybie ou encore Moubarak en Egypte – grassement aidés par les pays occidentaux, que les troubles économiques (chômage des jeunes) [13] et le prix des matières premières et des denrées alimentaires [14]. La « main invisible » des libéraux est bien une chimère, le soutien indéfectible des pays occidentaux – La Suisse a été le seul pays à maintenir ces relations commerciales de manière ininterrompue avec la Lybie durant les années d’embargo – aux dictateurs arabes, africains ou asiatiques notamment en a été le triste exemple en termes géopolitiques. Regardez l’omniprésence des produits « Made in China » dans nos vies, où comment l’occident capitaliste sponsorise la plus grande dictature communiste de la planète, en l’amenant même au rang d’arbitre dans les échanges financiers internationaux (ben oui, comme je l’écrivais plus haut, ce ne sont plus les Etats-Unis)!

En termes politiques, l’Europe qui, rappelons-le, est majoritairement d’obédience libérale, est en proie à des difficultés sans précédents. L’indignation, là aussi, prend forme, parfois de manière violente comme on l’a vu en Angleterre. Les pouvoirs publics et les médias avaient dénigré cette flambée de violence, certes critiquable (je doute que toutes les victimes des casses et des pillages aient été des traders ou des tatchéristes) (même si, à l’instar des émeutes anglaises de la fin du 20ème siècle, leurs causes directes ou indirectes peuvent être trouvées dans l’héritage laissé par Margaret Tatcher, très vivace en Angleterre). Mais qu’en est-il des 200'000 manifestants à Porto et à Lisbonne samedi 1er octobre 2011, un nombre équivalent à 2% de la population portugaise [8] ; seront-ils aussi réduits au silence par les autorités politiques européennes ?

Un monde aux coutumes économiques diverses et variés, mais plombé par les tenants de la « vérité » de Friedrich Hayek.

Le monde, contrairement à une idée reçue véhiculée par l’idéologie dominante, ne tourne pas, au sens « ethnologique » du terme, uniquement autour du capital. Nombres de cultures sur notre planète – des bushmans du Kalahari jusqu’aux tribus perdues dans l’Irian Jaya de Papouasie-Nouvelle Guinée, en passant par les indiens d’Amazonie, les tribus nomades du désert saharien ou les populations aborigènes d’Australie – ont vécu jusqu’ici en bonne intelligence avec leur environnement, parfois effectuant le troc, souvent en ayant leur propre économie, souvent sans connaître la notion même d’argent, loin des principes du capitalisme qui paraissent aux yeux de quelques idéologues influents comme étant LA seule vérité (« ainsi soit-il », fit le pape Friedrich Hayek).

Ne tombons pas, et j’insiste, dans l’image d’Epinal : des guerres ont aussi déchirés les tribus de part le monde, et on n’a pas attendu le capitalisme pour observer des injustices sociales et la souffrance des peuples. Nous sommes tous humains. Ne tombons pas non plus dans l’ « occidentalo » -centrisme, consistant à exporter nos propres valeurs éthiques et morales sur des peuplades lointaines et aux mœurs différentes ; les précédents existent – voir l’histoire des aborigènes australiens et les souffrances endurées par ce peuple au contact de l’envahisseur européen. Ceci étant, force est de constater que, en ce qui concerne des choses comme la solidarité, le respect de la nature ou le bonheur de vivre, certaines populations faussement qualifiées de primitives auraient des leçons à nous apporter.

Ainsi, les crises que nous vivons actuellement sont plutôt l’apanage des pays industrialisés, en tout cas en ce qui concerne les aspects financiers et politiques ; les autres sont soit dans un cadre de pauvreté et de misère bien plus constant et ont, en quelque sorte, toujours connu les crises – la Croix Rouge annonce que 15% de la population mondiale souffre de la faim, alors que, corollaire également d’une certaine pauvreté, 20% est en surpoids [15] – soit sont, plus rarement et heureusement pour eux, encore suffisamment coupés du monde pour ne pas en pâtir (mais, écologiquement, le sont-ils vraiment, et pour combien de temps ?).

Ces crises sont l’aboutissement « d'une phase B de Kondratieff », selon l’économiste Immanuel Wallerstein [16], c’est-à-dire, une période, commencée il y a une trentaine d’années, où « le capitalisme [a du], pour continuer à générer du profit, se financiariser et se réfugier dans la spéculation ». Le déclin de cette phase, dit Wallerstein, se manifeste de nos jours, « lorsque le déclin virtuel devient réel, et que les bulles explosent les unes après les autres : les faillites se multiplient, la concentration du capital augmente, le chômage progresse, et l'économie connaît une situation de déflation réelle ».

Cette tendance est très visible, en Suisse également, comme l’atteste le politologue André Mach dans son article sur les inégalités dans la population helvétique [3]. Mais, comme Friedrich Hayek ne croyait pas en la « justice sociale », que cette concentration du capital aux mains d’une minorité puisse être au détriment d’une majorité, sans même que l’on puisse y voir un peu plus clair, ne pose aucun problème à nos dirigeants disciples des pensées de l’école autrichienne.

(Fin de la première partie)

Sources "première partie" :

Sources :

[1] Leur crise, nos solutions, Susan George, Edition Albin Michel, mai 2010, ISBN 978-2-226-20616-9

[2] Match salaire minimum-maximum: 1 à 400 !, Joseph Zisyadis, 7 mai 2007, site Internet « Pour un salaire maximum », http://www.salairemaximum.net/Match-salaire-minimum-maximum-1-a-400-!_a12.html

[3] Une Suisse de plus en plus riche et inégalitaire – Quelques données de base sur la redistribution des richesses en Suisse (1990-2003), André Mach, Denknetz, Jahrbuch 2005, http://www.denknetz.ch

[4] Brugisser ou la « stratégie du chasseur », 20 Minutes/ATS, 19 septembre 2011, http://www.20min.ch/ro/news/suisse/story/27456061

[5] Marcel Ospel, ou l'honneur perdu de la banque suisse, Ian Hamel, Le Point, 5 septembre 2008, http://www.lepoint.fr/actualites-economie/marcel-ospel-ou-l-honneur-perdu-de-la-banque-suisse/916/0/271459

[6] «Payer l’impôt, c’est être un con», Jean Quatremer, Libération, 7 mai 2010, http://www.liberation.fr/economie/0101634104-payer-l-impot-c-est-etre-un-con

[7] Incendies en Grèce : des catastrophes pas très naturelles, Rigas Arvanitis, Rue89, 24 août 2009, http://www.rue89.com/2009/08/24/incendies-en-grece-des-catastrophes-pas-tres-naturelles

[8] Pyromanes pompiers, Benito Perez, Le Courrier, 3 octobre 2011, http://www.lecourrier.ch/pyromanes_pompiers

[9] Think Tanks, radiographie d’un lobby, Fabio Lo Verso, La Cité, n°2, 30 septembre-14 octobre 2011, http://www.lacite.info

[10] En Bolivie, la route qui a coûté à Evo Morales le soutien des Indiens, Mathilde Gérard, Le Monde, 29 septembre 2011, http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2011/09/27/en-bolivie-la-route-qui-a-coute-a-evo-morales-le-soutien-des-indiens_1578252_3222.html

[11] Grève générale en Bolivie en soutien aux indiens réprimés, AFP/Tribune de Genève, 29 septembre 2011, http://www.tdg.ch/actu/monde/greve-generale-bolivie-soutien-indiens-reprimes-2011-09-29

[12] La révolte des enfants de Pinochet, Benito Perez, Le Courrier, 29 août 2011, http://www.lecourrier.ch/la_revolte_des_enfants_de_pinochet

[13] De l’indignation à la révolution, Olivier Piot, Le Monde Diplomatique, février 2011, http://www.monde-diplomatique.fr/2011/02/PIOT/20114

[14] Algérie, Tunisie et les prix des aliments, Gérard Fillion, Les Carnets du 11 janvier 2011, Radio Canada, http://www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets/2011/01/11/132041.shtml?auteur=2062

[15] Le désastre de la malnutrition, Sabine Verbhest, La Libre Belgique, in Le Courrier, 4 octobre 2011

[16] « Le capitalisme touche à sa fin », interview d’Immanuel Wallerstein par Antoine Reverchon, Le Monde, 12 octobre 2008, http://www.lemonde.fr/imprimer/article/2008/10/11/1105714.html



mercredi 3 août 2011

5ème partie - L'éveil?

Ah les médias ! Le temps passe, mais Fukushima, encore en train d’essayer de penser ses plaies, commence à tomber dans l’oubli. Que voulez-vous, la phase sensationnaliste est passée. La diffusion de l’information relative aux travers de l’industrie nucléaire doit pourtant se poursuivre. Continuons donc notre série sur le « réveil » antinucléaire, peut-être la seule « heureuse » conséquence de la tragédie de Fukushima.

Le 13 juin dernier, l’Italie a, par voie de référendum, infligé un camouflet retentissant au premier ministre italien Silvio Berlusconi, pro nucléaire affiché. Par 95% des voies, et une participation notable de 57%, le peuple refuse le recours à l’énergie atomique, sur fond de contestation du berlusconisme. Un coup de froid pour Areva et GDF Suez, qui lorgnaient sur l’Italie, et un coup de frein sans doute définitif (quoique…) aux projets de quatre nouvelles centrales nucléaires que le gouvernement de M. Berlusconi comptait mettre en place dans la péninsule. Le président du conseil admet, suite aux résultats, que l’Italie doit désormais miser à fond sur les énergies renouvelables. En voilà une bonne idée, si l’on n’oublie pas les indispensables économies d’énergie qui doivent aller de paire avec une telle mesure ! On attend Berlusconi – et l’ensemble de la classe politique italienne – au tournant…

Après l’Allemagne et la Suisse, c’est au tour de l’Italie de tourner le dos à l’industrie nucléaire. En cause, une pression populaire qui s’accentue, même dans des « bastions » réputés pro-nucléaires (souvent par manque de débat public). 74% des Japonais souhaiteraient ainsi sortir du nucléaire, et ce chiffre n’a cessé de croître au mois de juillet, fait troublant dans un pays où la contestation publique n’est pas une tradition. Et la France… au sein même de l’Hexagone, pays le plus nucléarisé du monde, la pression populaire se fait sentir.

En Europe, les gouvernements de France et de Grande Bretagne semblent être de plus en plus isolés. Leurs gouvernements se battent pour maintenir à flot cette industrie passéiste mais aux profits juteux. En preuve ces scandaleux propos tenus par un membre du ministère britannique de l’énergie à l’adresse d’Areva et d’EDF, très présents en Angleterre, au tout début de la crise japonaise : de peur de la menace sur l’industrie nucléaire, on tentait de minimiser la catastrophe de Fukushima, bien avant que l’on ne sache ces réelles conséquences. A lire dans le Guardian, les copies des emails échangés : http://www.guardian.co.uk/environment/interactive/2011/jun/30/email-nuclear-uk-government-fukushima).

Du coup, les langues se délient aussi, stimulant (enfin) un débat par le passé trop sclérosé par des intérêts uniquement politiques et économiques. On constate au grand jour (enfin) les multiples collusions entre industrie nucléaire et politique. On bouscule aussi le mythe de la sécurité des centrales atomiques. Un article paru début juin sur le site Politis.fr, écrit par l’ingénieur et économiste Benjamin Dessus et le physicien nucléaire Bernard Laponche, expose la tromperie, de moins en moins efficace, des statistiques avancées par le lobby nucléaire, concernant les risques de cette filiale énergétique. Voici un extrait :

[…] la probabilité théorique […] conduit à un résultat de 0,014 accident majeur pour l’ensemble du parc [mondial] et pour cette durée de fonctionnement [de 31 ans]. Résultat très faible : l’accident majeur serait donc extrêmement improbable, voire impossible. Mais, sur ce parc, cinq réacteurs ont connu un accident grave (un à Three Mile Island, un à Tchernobyl et trois à Fukushima), dont quatre sont des accidents majeurs (Tchernobyl et Fukushima) : l’occurrence réelle est environ 300 fois supérieure à l’occurrence théorique calculée. Cet écart est considérable et conduit à un constat accablant quand on prend conscience de la pleine signification de ces chiffres. La France compte actuellement 58 réacteurs en fonctionnement et l’Union européenne un parc de 143 réacteurs. Sur la base du constat des accidents majeurs survenus ces trente dernières années, la probabilité d’occurrence d’un accident majeur sur ces parcs serait donc de 50 % pour la France et de plus de 100 % pour l’Union européenne.

L’aspect statistique, et notamment les bases employées et les comparaisons (technologies différentes de réacteurs, etc.) faites par les auteurs, me semblent discutables, voire sujets à caution. Mais la conclusion qualitative n’en demeure pas moins cohérente : les évaluations statistiques des risques faites par l’industrie nucléaire ne sont rien d’autre que du marketing de piètre qualité, sponsorisées par les politiques.

Du reste, les médias relaient de plus en plus des nouvelles de problèmes de vulnérabilité ou de fonctionnement de centrales nucléaires de part le monde. Là, on est plus dans les statistiques ! On se souvient des fuites radioactives et des problèmes techniques au Tricastin, en France, ces dernières années (2009) (note : je n’inclurai pas ici le récent incendie de transformateur de la centrale du Tricastin, celui-ci n’ayant rien à voir avec un « défaut nucléaire »). Plus récemment, Mediapart et la Tribune de Genève rapportaient les ennuis en série de la centrale de Paluel – l’une des plus grandes de France – qui inquiétaient jusqu’à son personnel. Autres lieux, autres problèmes : alors que l’on apprenait, sans grande surprise peut-être, que l’ensemble des centrales nucléaires russes étaient bien moins sûres que l’on ne le pensait jusqu’ici, de l’autre côté de la Terre, la centrale nucléaire américaine de Fort Calhoun rencontrait des difficultés suites à des crues exceptionnelles du Missouri.

Plus possible de berner tout le monde, entre problèmes techniques à répétition, vulnérabilité des installations aux caprices de l’environnement ou encore des problèmes sociaux, au sein même de l’industrie nucélaire (pressions et sous estimation des accidents de travail de la part de Bouygues à Flamanville, sur le chantier de l’EPR). L’énergie nucléaire n’est plus le « miracle » que l’on nous promettait il n’y a pas si longtemps que cela…

Dès lors, la contestation monte et trouve enfin l’écho qu’elle mérite. On a encore manifesté le13 juin devant la centrale de Mühleberg en Suisse. Et cette contestation ne faiblit pas non plus à Fessenheim, où se trouve la plus vieille centrale atomique française en service.

On manifeste… mais quoi proposer en échange ? Les énergies renouvelables sont une chose, mais elles resteront indissociables de politiques d’économies d’énergie efficaces (et, au final, une remise en question nécessaire de notre propre boulimie consumériste). Et mettons de côté ceux qui, dans un excès de bêtise, prétendent que les écologistes aiment la bougie et veulent retourner au Moyen Âge…

Car, contrairement à ce qu’avancent les tenants d’une vision énergétique passéiste, ces alternatives existent, et elles ne demandent qu’à être encouragées et diffusées, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Elles ne seront cependant vraiment innovantes que si elles s’accompagnent d’économies d’énergie réelles et substantielles !


Ces « fameuses » alternatives existent dors et déjà, en Suisse aussi !


La Suisse (à l’instar du Japon d’ailleurs) n’a pas de pétrole mais des idées ! A entendre le Forum Nucléaire Suisse et les politiques en termes d’environnement, on pouvait parfois en douter. Fukushima pourrait bien remettre cette maxime au goût du jour, au Japon comme chez nous.

La clé du renouvelable, c’est la combinaison de méthodes de production. Celles-ci reposent sur une architecture en partie décentralisée et, surtout, sur des économies d’énergie de grandes ampleurs. Prôner uniquement l’éolien au détriment du solaire, et vice versa, n’est pas la solution. Le « mix » renouvelable permet de palier les défauts technologiques des différentes filières, et d’augmenter la robustesse de l’approvisionnement.

Le solaire, photovoltaïque et thermique, a sa carte à jouer, la Suisse étant bien placée sur ce domaine en termes de recherche et développement. L’argument selon lequel l’Helvétie n’est pas un pays de « soleil » est à relativiser : l’Allemagne, fer de lance de la diffusion de l’énergie solaire, n’est pourtant pas un pays du sud !

L’éolien, étant la méthode de production actuellement la plus aboutie (et la moins chère) a aussi son rôle à jouer. Un développement de la micro éolienne, dans une optique de décentralisation, devrait aussi être plus étudié (immeubles et centres urbains).

Une étude récente a montré que la Suisse avait un potentiel très intéressant du point de vue géothermique. Son contexte géographique et géologique – orogénèse et plissement lié, failles, nappes phréatiques correctement alimentées – peut être un atout dans la recherche d’aquifères profonds et thermiquement exploitables. On oublie souvent qu’il existe d’autres formes de géothermie, comme la récupération de chaleur des tunnels routiers ou ferroviaires (bon potentiel, avec plus de 700 tunnels en Suisse), la géothermie à faible profondeur (pompe à chaleur, mais attention à la surconsommation induite…) ou même la récupération de chaleur des égouts. Dans le domaine thermique, n’oublions pas, de ce fait, la récupération de chaleur au niveau industriel.

L’hydraulique, surtout de grandes dimensions, possède en revanche un faible taux de progression, cette énergie ayant été adoptée et développée très tôt déjà. Il existe cependant la possibilité du rehaussement de certains barrages, comme celui du Vieux Emosson qui permettra une augmentation substantielle de puissance de 600MW à 900MW (comparaison : centrale nucléaire de Mühleberg : 350 MWe). En outre, la micro hydraulique, lorsque celle-ci est écologiquement viable, peut-être une solution intéressante, bien que les sécheresses à répétition que nous connaissons risquent de la rendre moins attractive à l’avenir.

Voici donc un panel non exhaustif de solutions (n’oublions pas la biomasse), où il faut regretter le peu d’empressement du monde politique à mettre les moyens nécessaires à son développement.


Mais ces alternatives ne doivent pas cacher les faits : nous consommons trop et mal, et la nature et l’espèce humaine en souffrent !


Solaire, géothermie, éoliennes, biomasse et dans une moindre mesure donc, l’hydraulique, sont le panel de techniques qu’il convient de mettre en avant, et rapidement. Il n’est plus temps des demi-mesures et des timides améliorations qui ont eu cours jusqu’ici (quand elles ont existé).

Mais attention à ne pas retomber dans le piège du précepte quasi religieux qui prétend que « la technologie nous sauvera » (pour rire un peu, voir la ressemblance au niveau de la stimulation cérébrale entre croyance religieuse et fanatisme technologique (Apple)), ni à tomber, à l’autre extrême, dans la voie de l’opposition bornée.

A nouveau, le matin du 11 avril dernier, le (trop orienté ?) journaliste du Journal du Matin de la Radio Suisse Romande, Simon.Matthey-Doret, mettait le poids, avec insistance, sur les oppositions fréquentes des « écologistes » sur des projets d’énergies renouvelables, oppositions qui énervait son invité, le président de Romande Energie SA. Franchement, les frustrations des producteurs d’énergie ne m’intéressent guère, mais l’incompréhension flagrante des questions énergétiques et environnementales du journaliste vedette des matinales de la Première sont affligeantes. Car ce ne sont pas les recours des organisations écologistes qui pénalisent le développement des énergies renouvelables, mais les lourdeurs administratives dans l’octroi des subventions fédérales ainsi que le plafonnement de ces dernières ; en Allemagne, où le déplafonnement existe, l’électricité est produite à partir de 17% de nouvelles énergies renouvelables, alors que les écologistes sont tout aussi présents, voire plus ! C’est pourtant d’actualité !

Mais, aussi fausses que ces attaques médiatiques contre les organisations écologistes puissent être, elles posent un regrettable biais dans les débats – chose, hélas, monnaie courante dans les médias aujourd’hui – qu’il convient de bien mettre au premier plan.

L’année de la Biodiversité, en 2010, nous a permis de comprendre la place de notre espèce au sein des différents et innombrables cycles qui composent notre biosphère. Entre autres, elle a permis – du moins en théorie visiblement – de montrer au public, aux médias et aux instances dirigeantes, l’impact de nos activités sur notre environnement, et la nécessité impérieuse de protéger les espèces dans leur totale diversité, remettant au passage en cause la notion négative et scientifiquement infondée « d’espèces nuisibles » et la connotation péjorative du parasitisme. Et surtout de dire au public que ce n’est pas uniquement en réduisant les émissions de CO2 que la Nature et l’Humain se porteront mieux : le problème est malheureusement plus vaste !

La production énergétique ne déroge pas à la règle. Les problèmes environnementaux et sociaux qui en découlent, outre l’occasion de mettre à l’épreuve les convictions soit disant « vertes » de certains politiciens et industriels, sont aussi une opportunité de vérifier s’ils sont bien compris de la population. L’exemple de la rédaction du Journal du Matin de la Première est la triste preuve de l’incompétence de certains journalistes en termes d’environnement et, quelque part, de l’échec de l’année de la Biodiversité.

Car à quoi bon construire un barrage au fil de l’eau si le problème de la circulation des espèces en voie fluviale n’est pas garanti de manière efficace ? A quoi bon construire une centrale à énergie renouvelable si son emprise sur la faune et la flore locales n’est pas prise en compte de façon exemplaire au niveau même du projet (compensations, etc.) ? En somme, à quoi bon faire avec le renouvelable ce que nous faisions avec les énergies fossiles ? N’y-a-t-il que le seul profit qui compte, ou avons-nous enfin compris que nos activités ne sont pas sans impact sur notre environnement et, par le fait même, sur les générations futurs ? Pouvons-nous continuer d’ignorer cet environnement et entretenir le dogme de la croissance énergétique illimitée, sans remise en cause de notre consommation… soit de notre propre comportement ?

C’est pourtant cette consommation qui doit être au centre des débats, avant même la question du recours à telle ou telle source d’énergie renouvelable. Car l’énergie la plus propre est bien celle que l’on ne consomme pas !

Dans notre société avide de simplification et qui n’aime pas la complexité, ennemie du « toujours plus vite », les remises en question de ce type semblent très difficiles ! Si seulement le contre-pouvoir que devrait former le journalisme faisait bien son travail, les choses en seraient peut-être autrement.


Sandro Loi