mercredi 20 avril 2011

Lettre ouverte à Pascal Hollenweg : attention aux simplifications!

Cher Monsieur Hollenweg,


J’ai occasionnellement l’opportunité de lire vos prises de position, notamment depuis la nouvelle mouture du Courrier. Si je ne partage pas toujours vos affirmations, je reconnais en vous un agitateur d’idées, chose très utile et bienvenue dans une société trop formatée. Ainsi, vos propos parfois à contre courant ont, au moins, le mérite de lancer le débat et la discussion, choses que je salue.


Mais un débat constructif ne peut, à mon avis, se faire que lorsque l’idée de départ n’est pas excessivement simpliste (ce qui ne veut pas dire simple, j’insiste). C’est ce qui gangrène, de mon point de vue, l’actualité politique et citoyenne en ce moment, notamment à Genève. Des idées qui, sur le fond, peuvent même avoir une réalité incontestable sont, à force de simplifications et de manipulations, sorties de leur contexte et vidées de leur sens premier. On l’a vu avec le vote sur les minarets, où la question de départ – un vote sur une autorisation de construire – s’est vue opportunément transformée en vote contre une improbable islamisation de la Suisse. A Genève, vous n’êtes pas sans savoir non plus qu’une vision simpliste et réductrice sur les frontaliers, l’insécurité ou les mendiants, trouvant un large écho à la droite de l’échiquier politique, a fait au final le lit du Mouvement Citoyen Genevois. A trop simplifier un problème, au lieu de le vulgariser – ce qui n’est pas la même chose –, on perd le contact avec son fondement et on déroule du même coup le tapis rouge aux milieux populistes. C’est au moins un risque !


Je connaissais votre position personnelle face au projet de déclassement des Cherpines-Charrotons, à Plan-Les-Ouates. Je ne la partageais pas mais je pouvais comprendre que, politiquement, face à la pénurie de logements comme le connaît Genève, vous et vos camarades socialistes preniez part au mouvement défendant ce projet. 3'000 logements, ce n’est pas rien ! Mais je regrette vivement que le débat puisse prendre, notamment sous votre plume, une tournure simplificatrice qui n’est pas sans rappeler certains raccourcis idéologiques empruntés sans discontinuer par notre populisme local.


Dans l’édition du Courrier du mardi 19 avril, vous concluez votre chronique par le choix que devront faire les électeurs le 15 mai prochain : « loger les humains ou les légumes ». Si l’article aborde, reconnaissons-le, quelques parts non négligeables du problème de l’aménagement du territoire de la région (notamment l’emprise des zones villas), l’argument « percutant », qui reste à l’esprit et opportunément mis en fin de chronique, ne provient que de cette conclusion, issue d’une poussiéreuse idée : « loger les humains ou les légumes ». Simplification digne des milieux immobiliers ! Car le choix, symbolisé par ce projet où la part économique est indéniable – agrandissement de la zone industrielle, création d’un centre sportif –, va bien au-delà de cela.


A lire les positions des référendaires, personne ne s’oppose à la création de ses 3'000 logements. Plus globalement, on ne pourra pas s’affranchir du déclassement de petite partie de zones agricoles, comme de certaines zones villas. L’absence de compromis dans le projet des Cherpines-Charrotons est, par contre, déconcertante. Les opposants s’interrogent surtout, visiblement, au projet global et à ses aspects opaques. Il y a plus de cinq ans, un groupe d’experts de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Genève avait tablé que, pour un déclassement de 1% de la zone agricole, près de 15'000 logements pouvaient être créés. Le projet des Cherpines-Charrotons n’en comptait plus que 10 fois moins initialement, sauf erreur. Sous pression des référendaires semble-t-il, on en est maintenant à 3'000 sur la même surface. On peut se demander d’où proviennent ces fluctuations… Mais, finalement, les années passant, les projets évoluent de toute manière. Peut-être n’y a-t-il rien de plus que cela ?


Ce qui m’intéresse plus particulièrement, c’est le fond du problème. Est-ce que ce projet est destiné aux habitants de la région, où ne servira-t-il, au final, qu’à attirer les entreprises sur la nouvelle zone industrielle liée aux Cherpines-Charrotons (annulant, du moins en partie, la détente escomptée au niveau de la crise du logement) ? Risque-t-on dès lors de connaître, pour le logement, le même effet que ce que Meyrin a connu pour ses crèches, où la construction de l’EVE des Champs-Fréchets (150 places) n’a pas suffit à répondre à la demande ? Mais surtout, comment est-ce possible, au 21ème siècle, qu’un projet, devant déclasser une zone pourtant fertile en termes agricoles, ne prenne pas en considération, dès le départ, l’aspect de la production locale de denrées alimentaires ?


Prépondérance de la place économique genevoise et autonomie alimentaire sont les questions pourtant fondamentales qui doivent motiver le choix des électeurs le 15 mai prochain, non pas le fait de privilégier l’agriculture au détriment des gens ! Certes, elles sont plus difficiles à expliquer. Le rôle de la promotion économique du canton est souvent vu à l’origine de la création d’emplois, alors que son rôle plus ou moins indirect dans l’accroissement des besoins en mobilité ou encore son inaction dans le maintien des activités existantes sont occultés. Difficile à expliquer, surtout face à la force du lobby économique genevois et ses ramifications dans les « médias gratuits » (on trouve le même argument ridicule des « écologistes bloquant un écoquartier » dans la feuille de chou dénommée « Tout l’immobilier » et la campagne du PLR genevois ; indépendance de la presse, où es-tu ?). Mais je me serais attendu, au moins, à vous voir plus prolixe sur la souffrance humaine que crée notre demande sans cesse croissante en produits agricoles de l’étranger. Bien sûr que l’urgence du logement à Genève est une réalité (d’ailleurs bien entretenue par les milieux immobiliers, hausses des loyers obligent) ! Cette réalité implique de faire des compromis. Bien sûr que la création des Cherpines-Charrotons ne va pas, à elle seule, péjorer encore plus la situation des travailleurs agricoles en Andalousie ou dans le nord de l’Afrique et doper l’immigration. Mais, par l’acceptation de ce projet, le signal positif donné aux promoteurs et aux politiques pour mettre en place des processus de déclassements importants de zones agricoles sans tenir compte de la production locale de denrées alimentaires en circuits courts est dangereux à long terme et va totalement à l’encontre d’une vision politique où la souffrance humaine, où quelle soit, n’est sensée ne plus être ignorée.


D’habitude, vous défendez, Monsieur Hollenweg, à l’instar de vos collègues de parti, des positions générales que je qualifierai de profondément humanistes. Loin de moi l’idée de remettre en cause votre sincérité et les engagements que votre groupe a promis et tente de porter dans un contexte politique difficile. Les aspects sociaux, je le sais, vous sont importants et vous tiennent à cœur. Dès lors, je m’interroge sincèrement sur le fait que vous reléguiez aux simples préoccupations égoïstes de « bobos » le constat que, en l’état, ce projet d’aménagement, loin de n’être qu’une simple création de logements, pose le vrai problème de la perte de nos zones agricoles indigènes sans qu’aucune compensation ne soit pensée. Ce n’est pas qu’une question de sauvegarde des cardons AOC ! Notre dépendance alimentaire auprès de grands groupes agro-industriels, aux comportements éthiques et humains souvent discutables, devrait pourtant trouver un écho réel auprès d’un militant des droits sociaux comme vous. De même, les conditions de travail des ouvriers agricoles dans les greniers de l’Europe – sud de l’Espagne, Italie, etc. –, l’appauvrissement des ressources des pays du Tiers-Monde et les problèmes écologiques liés à la surproduction, ceci pour le seul bénéfice du Nord à l’agriculture déclinante, devrait vous forcer à plus de retenue dans vos propos. Au moins pour souligner que ce ne sont pas les référendaires tels que les écologistes qui bloquent les projets, mais bien l’incompétence et le dogmatisme idéologique des dirigeants, empêchant la constitution de projets clairs et durables, où toute la problématique liée à l’aménagement du territoire est incluse dès le départ ! Au moins pour dire, même si vous défendez ce projet pour les 3'000 logements promis, que la question n’est pas uniquement de choisir entre « loger les légumes ou loger les humains », mais bien de savoir si nous sommes prêts à perpétuer un aménagement du territoire qui, même s’il se teinte opportunément de « vert » (économie d’énergie, etc.), se rattache encore, en reléguant la question de notre autonomie alimentaire, aux modèles périmés du siècle passé.


Comme avec le rôle de la promotion économique dans les problèmes que rencontrent Genève, on ne « noie pas le poisson » (la crise du logement) en parlant de l’aspect de l’alimentation locale dans le cadre des Cherpines-Charrotons. On est juste honnête vis-à-vis des citoyens ! Ce qu’il faut pour Genève, et on a pris du retard là-dessus, c’est plus de réflexions et moins de dogmatisme économique, et des projets bien conçus, où une vision globale à long terme – et non pas uniquement les intérêts pécuniaires à court terme – est privilégiée. Car finalement, un quartier se construit pour durer !


Le populisme, à Genève, a visiblement marqué profondément l’activité politique de nos jours. L’argumentation de fond, et surtout le courage de porter cette dernière sur le devant de la scène, n’ont plus la cotte. A cela, on préfère des arguments faciles à la réflexion. Si de telles méthodes ne me surprenaient plus de la part du MCG, de l’UDC et du camp bourgeois en perte d’arguments, elles me choquent beaucoup plus quand elles sont utilisées par le camp se disant, à juste titre, en opposition. Que le PS et vous ne souhaitiez pas vous opposer à la création de 3'000 logements est à la limite politiquement compréhensible. Mais que cela se fasse au moins en prenant le débat dans toute son ampleur, c’est-à-dire en parlant aussi des impacts sociaux et écologiques qu’une agriculture locale déclinante implique ici comme ailleurs. Les citoyens pourront ainsi voter en toute connaissance de cause. A voir, après, si vos convictions s’en trouveront respectées ou non…


Au plaisir de vous lire.

Sandro Loi

samedi 16 avril 2011

3ème partie - Le réveil?

Le nucléaire et le dogme du « centralisme ».


Nous avons vu que le nucléaire ne peut être qualifié d’industrie propre, tant du point de vue environnemental (exploitation du minerai, raffinage, transport, déchets, etc.) que de celui inhérent aux aspects sociaux (sur les lieux d’extraction de l’uranium comme sur les conditions de travail au sein des centrales atomiques). Nous avons aussi vu que cette filière énergétique n’est pas une solution en termes d’indépendance énergétique. La Suisse, notamment, ne fabrique plus de réacteurs nucléaires depuis l’accident de Lucens en 1969. De plus, en Europe occidentale, il n’y a pas ou plus de gisement d’uranium économiquement exploitable. Donc, on le fait venir de contrées par des multinationales (Rio Tinito, Areva) pour lesquels, souvent, le bien-être des habitants locaux et de l’environnement est le cadet des soucis. Mais le nucléaire a aussi un autre défaut, à mon sens, qu’il est important de prendre en considération, tant il est absent des débats : celui de perpétuer le dogme du centralisme énergétique.


Le réseau électrique est interconnecté, formant une espèce de grande toile d'araignée. Mais cette toile n'est pas uniforme et répond à une structure logique : le réseau à très haute tension, à la maille grossière, apporte l'énergie au réseau moyenne tension, à la maille plus fine, qui la distribue au réseau basse tension plus dense et de plus courtes distances. Voilà pour le schéma de principe.


Jusqu'à peu, les centres de production ne pouvaient être que bien localisés bien sûr : une grosse centrale distribuait l'énergie à travers le réseau (très haute tension d’abord, puis réseau à moyenne tension et ainsi de suite). Ce concept allait bien jusqu'à ce que la demande sans cesse croissante conduise à une saturation progressive du réseau.


On touche ici aux limites du modèle du centralisme énergétique, basé pour l'essentiel sur une logique économique. Car lorsque le réseau est saturé, la moindre perturbation, a fortiori sur ces grandes artères que représentent les lignes très haute tension, peut provoquer, potentiellement, une panne généralisée, plongeant dans le noir des milliers, voire des centaines de milliers de personnes.


C'est ce qui s'est produit sur le réseau français lors des tempêtes des années 1999 ou, plus récemment, début 2009. Le réseau réputé le meilleur du monde n'a pas résisté aux caprices du temps. Les centrales atomiques, principales sources d'énergie en France, malgré leur puissance tant vantée, n'ont forcément pas été d'un grand secours lorsque les lignes de distribution ont été coupées par la tempête !


Bien sûr, ces lignes de transmission peuvent être enterrées. Cela entraîne un surcoût, bien que EDF soulignait récemment que celui-ci avait nettement baissé ces dernières années. Mais peut-on enfouir une centrale nucléaire, sujette, on l’a bien vu au Japon, elle aussi aux caprices de la Nature ? Et combien de temps prendrait l’enfouissement total de l’ensemble des lignes stratégiques de distribution d’électricité ? La question se justifie, dans le sens que, au mieux, comme en France, seules les nouvelles lignes électriques sont enfouies ; tant qu’il subsistera des lignes aériennes importantes, l’approvisionnement électrique, en plus de conserver sa vulnérabilité au niveau des centres de production, sera toujours susceptible d’être perturbé notamment par les aléas climatiques.


Dans le cadre de l’énergie nucléaire, le « dogme du centralisme » est ici exprimé de la plus éclatante des façons. On cherche toujours plus de puissance pour répondre à la demande d’énergie qui ne cesse de croître, alors que les risques de black out, inhérents à cette demande, sont également à chercher dans les infrastructures du réseau, forcément limitées et qui, à l’instar « de nombreuses choses dans l’Univers », ne sont pas extensibles à l’infini. Et qui dit « centralisation » dit, bien sûr, rationalisation des coûts, mais dit également augmentation de la vulnérabilité.


Les énergies renouvelables, tout du moins certaines d’entre elles – géothermie, micro-éolienne, solaire, etc. –, se prêtent mieux à une architecture en partie décentralisée. Celle-ci aurait l’avantage de prémunir partiellement le réseau des risques de coupure généralisée provenant soit d’une saturation du réseau (effet domino d’un black out), soit des effets de conditions climatiques exceptionnelles (tempêtes, chutes de neiges, etc.). Un « service minimum » pourrait donc, dans un premier temps, être assuré par ce système décentralisé ; si chaque immeuble disposait de ses propres panneaux solaires, les activités domestiques et de bureau pourraient être prioritairement maintenues lors d’un black out quelconque. Bien sûr, l’arrêt des freins systématiques à l’encouragement en R&D sur le renouvelable aiderait beaucoup à résoudre l’épineux problème, tant technique qu’environnemental, du stockage de l’énergie.


Une réflexion doit aussi être faite sur l’architecture même de la distribution d’énergie, et le lobby nucléaire a plutôt tendance à écarter cette question des débats (l’argument du black out n’est surtout utilisé que lorsqu’il est question de sortie du nucléaire).


Les centrales nucléaires ne sont donc pas une réponse suffisante au « problème » de saturation du réseau, contrairement à ce que prétend le lobby de l’atome. Elles écartent la population de la problématique propre à ce réseau et de ses limites intrinsèques. A ce sujet, elles donnent même un mauvais message, notamment sur l’argument majeur expliquant, avec les limites du réseau, ce potentiel risque de black out : notre boulimie énergétique !


Le nucléaire et le dogme des « 2% ».


C’est sûr, à quoi cela sert-il de réfléchir, d’un côté, sur notre propension à la surconsommation d’énergie quand on vous promet, de l’autre côté, via le nucléaire, des sources de production colossales et supposées inépuisables ? Ce message se retrouve sur une autre forme, lorsque l’arrêt des centrales nucléaires est demandé : « comment voulez-vous répondre à la hausse de consommation d’énergie si vous arrêtez les centrales atomiques ; cela va créer des black out et ruinerait l’économie », dixit le lobby nucléaire.


Une belle manifestation du dogme de la croissance infinie, lorsque la source du problème – la hausse continue de consommation – n’est même pas discutée !


Lorsque je travaillais dans le secteur de l’énergie, j’ai pu constater, de visu, cette hausse annuelle de l’énergie consommée ; pour de nombreuses PME, les courbes de charge – c'est-à-dire les graphiques de la consommation mesurée – augmentaient chaque année. Généralement, une hausse de 2% est observée d’après les spécialistes, certains secteurs progressant plus que d’autres.


La croissance économique en est, pour une part, la cause. Des « besoins » sans cesse croissants impliquent une « production » correspondante. A cet état de fait, le monde de l’économie a coutume de répondre que « la technologie saura relever le défi d’une consommation modérée ». Ce n’est que partiellement juste.


Par technologie, on définit, au fond, le rapport entre la « technique » et son application ; dire qu’un magnétoscope n’est pas technique est complètement faux, mais il n’est plus « technologiquement » à la pointe, en cette période de DVD et autres Blue Ray Disk. Le maître mot « qualitatif » est donc « l’application », autrement dit, ce que l’on en fait de la technique.


Prenons l’exemple des écrans plats de télévisions, aujourd’hui. Techniquement, ces systèmes – LCD, LED – sont bien plus efficaces que les anciens téléviseurs à écran cathodique ; mon écran LCD de 80cm consomme environ 60W (mode ECO activé !), contre plus de 100W pour un téléviseur à écran cathodique de 60cm de diagonale. Seulement voilà, le commerce ne s’est pas contenté de cela. Il en a profité pour vendre des écrans plus grands – et, comparativement, plus gourmands. Les dimensions des pièces d’appartements, en Suisse, ont-elles augmentées d’un même facteur, ce qui justifierait, le cas échéant, l’achat d’écrans plus grands ? Derrière la boutade et derrière ce simple exemple courant de la télévision, on voit bien que la technique, si elle peut bien sûr aider à résoudre des problèmes, reste surtout un « oreiller de paresse » pour justifier le status quo en matière énergétique, car son emploi et son application ne sont pas pris en compte dans le débat.


Un « oreiller de paresse » utile aux personnes qui voient, dans la hausse annuelle de consommation d’énergie, quelque chose d’intouchable, d’indiscutable, de corrélé avec une « hausse du bien-être », justifiant par la même occasion le maintien de « certains principes », comme le recours à l’énergie nucléaire. Car, même si cette hausse est due à une course effrénée pour attirer de nouvelles entreprises sur le territoire communal ou national (souvent au détriment des TPE et PME déjà implantées), une augmentation des temps de travail et de déplacements (heures d’ouverture des grands commerces, distance de plus en plus longue du domicile au lieu de travail), à la création de « besoins artificiels » (marketing autours du multimédia par exemple) et surtout au déficit d’information de la population et de règles claires permettant de consommer plus intelligemment, les lobbies nucléaire et économique voient plutôt une inéluctable course à plus de compétitivité, dont l’une des conséquences souhaitées est l’amélioration de notre vie quotidienne.


Constat « un peu simple », lorsque, après avoir pris en compte les aspects humains et environnementaux liés directement à notre demande en énergie, on prend aussi en compte les effets de cette « croissance inéluctable » qui, si elle a des effets positifs, possède également son lot d’effets pervers, malheureusement trop souvent minimisés et écartés des débats.


Et puis, jusqu’où cela va-t-il aller ? Sommes-nous naïfs à ce point pour ne pas oser se poser cette question, se demander à quoi peut bien rimer une croissance infinie, qu’elle soit économique ou, dans le cas qui nous intéresse ici, énergétique ? Le nucléaire, lié au dogme d’une croissance infinie, devrait nous inciter, par ces effets que l’on ne peut ignorer actuellement – triste Fukushima –, à nous méfier de cette idéologie dominante et à oser le changement de paradigme.


La suite, bientôt, dans la quatrième partie de cette série. A bientôt.

lundi 11 avril 2011

2ème partie - Le réveil?

Filière nucléaire pas si propre que cela !

La notion de rendement, traduisant l’efficacité avec laquelle l’énergie « contenue » dans la matière première est convertie en énergie exploitable sur le réseau électrique, et la prise en considération de cette notion dans les débats, doivent permettre de braquer les projecteurs sur l’origine de cette matière première : d’où vient-elle ; comment est-elle produite ou extraite ?

On parle en effet beaucoup de stockage des déchets. La filière de retraitement a d’ailleurs été le thème d’un reportage télévisé édifiant : « Uranium : le scandale de la France contaminée ». Et, en termes de « trafic surprenant » de déchets, cela continu aujourd’hui encore, où un transport maritime de MOX (plutonium) entre la France et le Japon a eu lieu jeudi 7 avril dernier, depuis le port de Cherbourg.

On parle beaucoup moins de l’origine du combustible nucléaire. Et pour cause, cela ruinerait l’argument récurrent selon lequel le nucléaire permet l’indépendance énergétique d’un pays – en Suisse notamment – face à l’étranger. C’est amusant, l’argument de l’indépendance énergétique par le nucléaire, lorsque quelques notions de géologie vous apprennent qu’il n’y a pas de gisement d’uranium économiquement exploitable en Suisse (et plus en France).

Du coup, malgré cette indépendance théorique qu’on nous vante tant, on doit bien chercher le combustible ailleurs, au Niger, au Canada, au Kazakhstan ou en Australie. Et là, ça coince : on se rend compte que l’exploitation de ces gisements pose de gros problèmes humains et écologiques. Du reste, des études menées par l’Institut d’Ecologie d’Autriche ont montré l’impact environnemental important de la phase d’extraction comparé à l’ensemble du cycle « normal » du combustible, soit en excluant des accidents graves comme Tchernobyl.

La production du combustible par le biais de l'uranium, principale ressource pour la filière nucléaire, peut se résumer en quatre étapes :

  • l'extraction du minerai (mines) ;

  • la transformation de ce minerai sous forme de « yellow cake » par concentration du minerai sur place ;

  • le raffinage et les transformations chimiques en vue de l'enrichissement de l'uranium ;

  • l'enrichissement de l'uranium, nécessaire pour son emploi dans les centrales nucléaires, effectué par exemple par diffusion gazeuse ou à l'aide de centrifugeuses, opération très consommatrice en énergie.

Durant ces étapes, de nombreux transports ont lieu, souvent sur de longues distances. Cela affaiblie quelque peu l'argument du nucléaire comme rempart contre les émissions de CO2. Mais ce ne sont pas les seules difficultés. La mise en place des mines d'extraction de l'uranium, comme pour d'autres ressources naturelles, pèse sur l'environnement (destruction de forêts, etc.) et sur les populations locales (relocalisations, intoxications dues à la pollution, etc.). Impacts humains et écologiques se confondent ici, notamment durant et après l’exploitation d’une mine. Si le minerai d’uranium, faiblement radioactif, ne présente aucun danger en soi, les déblais accumulés (terrils), exposés au vent et à l’érosion due à la pluie, sont une source de dispersion dans l’environnement des radio-isotopes accumulés. Ceux-ci se retrouvent dans les environs et, notamment, dans les nappes phréatiques. Or, il est intéressant de noter que, si la question des déchets est assez fréquemment abordée, ce n'est pas le cas de ces résidus d'exploitation, dont le retraitement pose des défis techniques et organisationnels très conséquents.

A noter que 60% du combustible utilisé provient du désarmement des missiles nucléaire américano-russes, le 40% restant provenant des mines (source : 2000Watt.org). Un lourd héritage...

L'argument fallacieux de la filière de l'uranium éthique.

Le lobby pro-nucléaire avance également, pour défendre son gagne-pain, que l'énergie atomique est une filière « éthique », dans le sens que le minerai principal utilisé pour les centrales nucléaires – l'uranium – est extrait dans des pays stables et démocratiques. Un article publié en novembre 2010 par Alliance Sud (Communauté de travail pour la politique de développement de Swissaid, Action de carême, Pain pour le prochain, Helvetas, Caritas et Eper) tempère quelque peu ce discours qui, avouons-le, est soit naïf, soit délibérément trompeur et mensonger : lire à ce propos le très intéressant article sur le nucléaire, l'extraction de l'uranium et son impact sur les populations autochtones, paru sur le site peuples-menaces.ch.

Prenons l'exemple des pays fournisseurs de la Suisse, qui sont grosso modo les mêmes que pour le reste de l'Europe : selon le Forum Nucléaire Suisse, l'uranium utilisé en Suisse provient du Canada (25%), de Russie (17%), d'Australie (16%), du Niger (10%) et du Kazakhstan (6%).

Canada, premier producteur mondial d’uranium

La mine de McArthur River, au Canada, est la plus importante mine d’uranium à haute teneur du monde (160'000 tU, teneur du minerai de 22% ; source : Ressources Naturelles du Canada). Le géant français Areva est l’un des principaux acteurs dans la région, avec le premier producteur mondial d’uranium, le canadien CAMECO ; l’ensemble du bassin de Athabasca est un lieu « béni des dieux » pour l’industrie de l’uranium. D’ailleurs, le Canada a été pionnière dans l’exploitation du minerai d’uranium, la première mine se trouvant à Port Radium. Jusque dans les années 1965, l’ensemble des gisements canadiens était essentiellement destiné à l’approvisionnement de l’armement nucléaire de la Guerre Froide, mais depuis, on s’est tourné complètement vers le nucléaire civil. Mais, bien que les acheteurs doivent promettre de ne pas utiliser l’uranium à des fins militaires, le réseau « Sortir du nucléaire » canadien nous apprend qu’une commission d’enquête environnementale au Saskatchewan, la principale région d'extraction de l'uranium au Canada, a soulevé quelques interrogations à ce sujet.

La population locale et les services de santé, inquiets des effets liés à l’absorption d’eau et d’aliments contaminés notamment par le ruissellement sur les terrils, et les pertes radioactives finissant dans les cours d’eau et les nappes phréatiques, ont fait pression ces dernières années pour obtenir, de la part du gouvernement et des exploitants miniers, des garanties concrètes et indépendantes sur l’innocuité des mines d’uranium. Mais, à part les réponses entendues des directeurs d’exploitation, aucune preuve tangible n’a été, semble-t-il, obtenu.

Car ici aussi, à l’instar de nombreuses exploitations minières, l’extraction d’uranium pose des problèmes environnementaux. D’ailleurs, à titre de précaution, les gouvernements de Colombie-Britannique et de Nouvelle-Écosse ont décrété en 2009 un moratoire sur les exploitations minières d’uranium (source : Radio Canada). Au Canada, selon le Regroupement pour la surveillance du nucléaire (CCNR.org), 175 millions de tonnes de résidus d’exploitation d’uranium, contenant entre autres de l’arsenic et des métaux lourds, existent sur le territoire. Rien qu’à l’ancienne mine de Stanrock (Elliot Lake, Ontario), près de 130 millions de tonnes seraient présents (source : CCNR.org) ! Cela me paraît beaucoup par rapport au chiffre total énoncé sur l'ensemble du Canada, ce qui me laisse, je l'avoue, quelque peu sceptique. Il n'empêche que les problèmes des détritus d'extraction et de leur retraitement sont bien réels et doivent être portés à la connaissance du public.

Du point de vue purement humain maintenant, un constat de la situation canadienne peut éclairer d'un jour nouveau l'ensemble de la situation de l'exploitation de l'uranium dans le monde. Selon le réseau « Non au nucléaire », 80% de l'uranium extrait des mines proviennent de territoires peuplés majoritairement par des peuples premiers (et non primitifs comme le dit l'article, terme aux connotations trop péjoratives et, à plusieurs égards, infondés). Le Canada ne déroge pas à cette règle. Voici un paragraphe de l'article de Helena Nyberg (AG Uran) paru sur le site de « Non au nucléaire ».

Les problèmes provoqués par les résidus toxiques liés à l’extraction d’uranium ne sont toujours pas résolus: d’immenses terrils constitués par la pluie et le vent s’amoncèlent aux abords des mines, et les particules radioactives qui ruissellent et sont soufflées contaminent l’air et l’eau. Comme des produits chimiques agressifs sont utilisés pour transformer le minerai d’uranium, les eaux et les sols de la région sont de surcroît empoisonnés par des résidus d’acide sulfurique, de mercure ou d’arsenic. Dans les mines souterraines, aucune aération efficace protégeant contre la radioactivité n’a encore été mise en place. Beaucoup de travailleurs indiens sont par conséquent tombés malades, atteints de cancers du poumon et de leucémies. On leur a très souvent mis à disposition, en guise de salaire, du matériel pour la construction d’habitations provenant des mines d’uranium. Des familles entières ont ainsi respiré pendant des années de l’air radioactif dans les pièces des leurs maisons. Certes, les entreprises exploitantes agissent aujourd’hui de manière plus prudente. Mais les problèmes pour les êtres humains et l’environnement persistent.

L'article termine sur le commentaire d'un habitant de la région. Celui-ci en dit long sur la détresse des voisins des exploitations d'uranium canadienne, majoritairement aux mains d'Areva :

«Quand vous allumez la lumière chez vous, la vie s’arrête chez nous.» (Tom LaBlanc, Sisseton Dakota).

Australie, à l’industrie de l’uranium peut respectueuse de la nature… et de la culture locale.

En 2004, l’Australie, 2ème producteur, assurait près du quart de la production mondiale d’uranium. Si elle n’en consomme presque pas et ne possède que trois mines, l’uranium est abondamment exporté : 9’600 tonnes d’oxyde par an pour un total de 1.1 milliards d’euro (source : AFP, 20 mars 2011). L'exploitation minière est une véritable force politique dans le pays, capable de faire destituer des ministres quand ceux-ci s'en prendraient à leurs intérêts. Vous parliez de démocratie pour les pays producteurs d'uranium ?

Selon un article du 14 août 2010 de Jessie Boylan (IPS) avec Sandra Titi-Fontaine (InfoSud), l’exploitation de l’uranium australien se heurte, répétition de l’Histoire, à l’opposition des peuples aborigènes. C’est qu’il y a des précédents désastreux en Australie. A la mine de Rum Jungle, les rejets d’acide, employé dans l’extraction du minerai, a décimé la faune et la flore de la région. Rio Tinto, le géant minier qui racheta les exploitants de cette mine, a toujours refusé la responsabilité de l'une des pires pollutions en Australie.

Le pays des kangourous a depuis toujours attiré les prospecteurs des quatre coins du monde. Terre riche et ancienne, l'Australie recèle des gisements importants d'uranium. Areva (décidément, encore eux...) l'a bien compris. Présent depuis longtemps sur la plus grande terre de l'Océanie, la firme tentait en 2005 d'exploiter le gisement de Koongarra, où reposent près de 14'000 tonnes d'uranium. Seulement, cette terre, appartenant au parc national de Kakadu classé au patrimoine mondial par l'UNESCO (peintures rupestres, écologie, etc.), est aussi le domaine de vie de peuples aborigènes (Marrar), qui ont depuis longtemps refusé que l'on exploite cette zone : depuis 1971, date à laquelle le gisement a été découvert, aucune exploitation n'a pu s'implanter là.

Mais malgré le refus des populations locales, Areva ne voulait pas lâcher le morceau. Tel des vautours autours d'un animal à l'agonie, la firme française attend que « le contexte politique évolue ». C'est que, malgré les quantités relativement faibles d'uranium du site, les stocks militaires commencent à s'épuiser et, spéculation sur les prix aidant, Areva tablait sur près de 500 millions d'euros de « trésor potentiel » (Le Monde, 22 février 2005). Mais ce n'est probablement rien à côté des stocks de gisements australiens, qui feront dire à Areva que ce pays détient les plus grandes réserves d'uranium au monde.

Ainsi, que représentent, pour ces industriels, le respect de la terre et des origines que perpétuent les Aborigènes (le Temps du Rêve) ou encore le classement d'une réserve au patrimoine mondial de l'UNESCO. Absolument rien, seule compte la promesse de profits colossaux par les résultats indiquant que la région posséderait les gisements les plus riches du monde.

Si Koongarra ne semble, sauf erreur, pas exploitée, il n'en est pas de même de la mine voisine de Ranger, sur un terrain « artificiellement » en dehors de la zone classée à l'UNESCO, alors qu'elle fait partie intégrante de la réserve de Kakadu. Le Journal de l'Environnement indiquait en 2006, dans un article d'Agnes Ginestet, que des cas de contamination excessive avaient été enregistrés chez les Aborigènes vivant dans les environs de la mine. Aujourd'hui, les administrateurs de la mine sont astreints à des contrôles rigoureux, en regard de la situation géographique au sein du parc national, et assurent qu'il n'y a pas de contamination.

On pourrait se poser la question : qui croire ? Mais là aussi, au-delà de cette question, faute de preuves facilement accessibles, un fait demeure. Les peuples autochtones, qui ne souhaitent pourtant pas voir ces mines sur leur territoire, n'ont pas d'autres choix que de s'en accoutumer. Comme au Canada... Où est la notion de démocratie ici ? Je vous le demande!

Russie et Kazakhstan, un duo fumeux.

En deuxième et cinquième position des pays fournisseurs de la Suisse arrivent, respectivement, la Russie et le Kazakhstan. Ici, l'argument de la stabilité démocratique avancée par le lobby nucléaire est facilement démonté. Depuis l'assassinat politique de la journaliste Anna Politkovskaïa le 7 octobre 2006 ou encore les exactions russes en Tchétchénie et en Ingouchie, il est pourtant de notoriété publique que le gouvernement de Russie n'est pas un exemple de démocratie respectueuse des Droits de l'Homme. Elle en est même loin !

Pourtant, la Suisse s'approvisionne en uranium auprès du gouvernement de Poutine (et de Medvedev, sans sourciller. Même lorsque Greenpeace prouve que les centrales de Gösgen et de Beznau « utilisent de l'uranium provenant de la tristement célèbre usine russe de retraitement de plutonium de Mayak »...

Mayak est considéré comme la région la plus irradiée du monde après Tchernobyl. En 1957, une cuve remplie de plutonium explosait (explosion chimique), éparpillant à plusieurs kilomètres d'altitude quelques 2 millions de curies de produits radioactifs, et près de dix fois plus dans l’environnement de l’installation, soit environ la moitié des quantités rejetées à Tchernobyl.

Selon Greenpeace : « Les effets sur les populations locales sont effroyables. Le nombre de cancers et de fausses-couches y est bien supérieur à la moyenne. Des enfants y naissent avec des maladies génétiques et des handicaps extrêmement graves. En 2006, Vitali Sadovnikov, directeur des installations nucléaires, a été arrêté pour le déversement de millions de mètres cubes d'effluents radioactifs liquides dans une rivière qui fournit de l'eau potable aux riverains; une amnistie générale l'a libéré après coup. »

Pendant ce temps, nos petites centrales tournent tranquillement avec du combustible provenant du complexe de Mayak, à l'insu de tout le monde, sauf peut-être de ceux qui se gargarisent de propos vantant le nucléaire éthique !

Et le Kazakhstan alors ? A cela, je vous répondrai par une question : pensez-vous qu'un président comme Noursoultan Nazarbayev, au pouvoir depuis 1990, au régime corrompu et dont le parti domine intégralement la chambre basse du parlement, peut-il se targuer d'être le représentant démocratique du peuple kazakh ? C'est sûr, comme le relatait l'AFP le 5 avril dernier, que l'Occident s'accomode, pour l'instant, très bien de ce dictateur. Et les centrales nucléaires suisses et européennes aussi...

Non mais franchement, où sont ces pays démocratiques dont nous parlait le lobby nucléaire ? Non, c'est peut-être la stabilité de ces régimes dictatoriaux qui les attirent plus !

Niger, réserve d’uranium au seul bénéfice de l’industrie nucléaire française.

Le Niger est le quatrième exportateur d’Uranium au monde, loin derrière le Canada et l’Australie. La Suisse est un client de l'uranium nigérien.

Ici aussi, le poids de l'industrie de l'uranium pèse sur les populations locales, où les Touaregs se sont vus privés de pâturages pour leurs bêtes pour laisser place aux exploitations. Le Monde diplomatique traitait de cette guerre de l'uranium en 2008, sur fond de tensions et de revendications à un partage plus juste des richesses.

En décembre 2003, la CRIIRAD a mené une inspection indépendante dans les mines Arlit (Niger). Le rapport final a souligné plusieurs irrégularités ayant cours dans cette exploitation. A relever que cette inspection a été perturbée par la confiscation du matériel et part diverses obstructions de la part des autorités nigériennes et l’entreprise détentrice de l’exploitation, la Cogéma, filiale d'Areva (toujours eux décidément !).

C’est que le Niger exporte énormément en France (et en Suisse aussi). Qu’en est-il du point de vue de l’économie nigérienne et, surtout, du porte monnaie de ces habitants ? On pourrait s’attendre, en bon esprit libéral, que les accords commerciaux sur l’uranium, signés entre la France et le Niger depuis 1961 aient été bénéfiques pour le pays. Le commerce de l’uranium, très lucratif, n’a cependant pas bénéficié au Niger, l’un des plus pauvres du monde (lire l’article sur les Afriques : « L’Uranium du Niger : 20 milliards de dollars perdus en 50 ans »). La « main invisible » est bel-et-bien inexistante dans le cas de l’uranium nigérien !

A qui la faute ? Certains prétendent que la France, dans la continuité de la Franceafrique et du colonialisme, en est la principale bénéficiaire, par les prix arbitraires qu’elle a su maintenir. D’autres répondent que ces arguments mettant en cause le post-colonialisme sont sans fondement et que la corruption de fonctionnaires et d’hommes d’état en est la cause. Eternels discours et discordes sur l’Afrique… Sans doute y-a-t-il un peu de vrai de part et d’autre. Reste que, d’un côté, Areva et l’industrie nucléaire française font leur beurre avec l’uranium du Niger, alors que, de l’autre, les locaux n’ont que leurs yeux pour pleurer ! Cela, c'est un constat!

Et chez nous ? Et bien, ce n’est pas mieux.

Dans le Monde du 7 avril dernier, on pouvait lire le blues des professionnels du nucléaire en France, suite à l’accident de Fukushima. D’après le journal, la branche reste convaincue sur « l’avenir » du nucléaire, et déplore l’image calamiteuse avec laquelle les médias la dépeignent. Bon, en même temps, l’article ne relate, essentiellement, que des propos de mes « collègues » ingénieurs et autres concepteurs, probablement aux revenus et aux positions relativement corrects.

Autre son de cloche du côté des sous-traitants. Souvent mal payés, sous pression constante (comme souvent dans la sous-traitance), particulièrement lors des arrêts de maintenance périodique, ceux-ci prennent une place de plus en plus grande dans l’exploitation des centrales nucléaires. On apprend ainsi qu’à la centrale nucléaire de Tihange en Belgique, la société Electrabel, filiale de GDF-Suez, emploie plus d’employés de sous-traitance (600) que ses propres employés (400-450), alors qu’elle se doit de respecter un rapport 50/50. Elle semble systématiquement refuser le débat sur l’emploi des sous-traitants ainsi que sur leurs conditions de travail.

Ce n'est pas un cas isolé, loin s'en faut. Dans son livre « Vers un Tchernobyl français ? » (ISBN : 978-2-84736-250-3), Eric Ouzounian relate les propos d'un ancien responsable d'EDF, véritable cri d'alarme face aux égarements de l'industrie nucléaire en France, les peurs du personnel, les pressions sur les sous-traitants et les drames humains qu'elles peuvent occasionner (comme le suicide de cet employé à la centrale de Chinon, fin août 2004).

Exploitation des gisements, exploitation des centrales : mais où est donc passée cette filière supposée si propre et si éthique qu’est l’énergie nucléaire ? Arrêtons d’être naïf ; la question serait plutôt de savoir si elle n’a jamais existé.


La suite, bientôt, dans la troisième partie de ce billet dédié à l'énergie nucléaire. A bientôt!

jeudi 7 avril 2011

1ère partie - Le réveil?

Le réveil ?

Les consciences se réveilleraient-elles enfin ? Quoi qu’il en soit, il est bien dommage de constater qu’une nouvelle fois, il faille attendre une catastrophe pour enfin soient lancés un débat public et le processus de la « remise en question des dogmes ».

Cette observation, bizarrement, peut s’attacher à plusieurs faits d’actualité, notamment la guerre en Lybie mettant en évidence les liens économiques malheureux entre l’Occident et certains tyrans du monde, soudain devenus bizarrement gênants. Non, ici, c’est bien de l’énergie nucléaire dont je parle. La catastrophe de Fukushima a réveillé une opinion publique quelque peu léthargique à ce sujet. Surtout qu’ici, on ne parle pas de ces bons vieux (et mal gérés) réacteurs RBMK soviétiques de Tchernobyl, mais d’une centrale d’un pays riche, puissance nucléaire aux ingénieurs bien formés, dont le type de réacteur incriminé – système BWR dit à eau bouillante – est le même type utilisé dans plusieurs centrales dans le monde, y compris en Suisse, à Mühleberg.

Alors que les informations provenant de la centrale japonaise sont le plus souvent floues, voire contradictoires, et alors que certains gouvernements, même pro-nucléaires, comme la Suisse ou l’Italie, émettent « enfin » certaines « réserves » (parlons plutôt de manifestations de prudence) face à la technologie de l’atome, la population semble prise dans une tourmente médiatique où s’entrechoquent retournements de veste intéressés, discours conservateurs, projets ambitieux et délires millénaristes : le summum de ce chaos médiatique revient à l’UDC, parti xénophobe et ouvertement pro-nucléaire, qui, pas plus tard que ce weekend, a réussi à mettre un lien de cause à effet entre immigration clandestine, accords de libre circulation et nucléaire !

Difficile d’y voir clair ? Arrêtons-nous un moment donc, mettons de côté ces discours et retournements de veste électoralistes, et, tout au long de ce billet en quatre parties, discutons simplement de « nucléaire ».

Une belle machine pas si performante !

Étudiant ingénieur à Genève, je suivais notamment certains cours avec la filière des physiciens appliqués. Quelques rares occasions m’ont été portées de « participer » à des débats sur l’énergie nucléaire. A l’époque, je trouvais presque surprenant à quel point cette technologie trouvait grâce « religieusement » aux yeux de mes camarades. Discret sur le sujet, j’avoue cependant que j’étais déjà sceptique face à la fission nucléaire, mais comme tout ingénieur, même étudiant, j’étais tout de même fasciné par cette débauche colossale de technicité que représente une centrale atomique. J’écoutais alors attentivement les commentaires des autres étudiants à ce sujet. Les « slogans publicitaires » que j’entendais en classe m’ont énormément surpris, et m’ont poussé à une réflexion – sciences, société et dogmatisme – que je m’efforce de mener encore aujourd’hui.

Simplification n’est pas raison, me direz-vous. Il n’empêche que, aux yeux du commun des mortels, une centrale atomique sonne comme une machine futuriste digne de la science fiction. Très complexe au demeurant, une centrale nucléaire n’est, dans le principe, rien d’autre qu’une « chaudière ». A l’instar d’autres types de centrales thermiques, celle-ci chauffe un fluide qui, vaporisée, actionne des turbines, autrement dit des génératrices produisant de l’électricité. Grossièrement dit, une centrale nucléaire ne se différencie d’une centrale au charbon ou au gaz qu’au niveau du combustible et de la production de chaleur ; la fission nucléaire contrôlée est ici utilisée pour chauffer le fluide.

Dans le domaine des énergies non renouvelables, la centrale nucléaire s’inscrit donc dans la famille des centrales thermiques, au côté des centrales à gaz par exemple. Le fait que la ressource – l’uranium notamment – ne soit pas renouvelable entraîne la prise en compte de la notion de rendement ; celle-ci traduit le rapport entre ce que vous obtenez par ce que vous consommez. Par exemple, un moteur « tout nu » de voiture de tourisme à essence ne fournit que 20% de l’énergie « emmagasinée » dans le carburant ; 80% de ce que vous payez à la pompe est perdu (c’est une approximation grossière : ce rendement baisse encore lorsque l’on considère l’ensemble du véhicule, un régime moteur donné, etc.). C’est que tout « mécanisme » est « imparfait » : des frottements, provoquant des échauffements, font qu’une partie de l’énergie de départ est perdue.

Il en est de même pour toute centrale thermique – et tout système de production d’énergie d’ailleurs. Une partie importante de l’énergie de départ, contenue dans le combustible, n’est pas utilisable au niveau du consommateur (sauf, en partie, dans les dispositifs de récupération de chaleur). Seule une fraction de celle-ci lui arrive. Et c’est là que vient la première surprise du nucléaire, filiale souvent vantée pour son énorme capacité. D’après Areva, le rendement des réacteurs EPR type III (donc la future génération de réacteurs européens à eau pressurisée) est de… 36% (contre 34% pour les EPR type II). Si ce chiffre est à mettre en contexte, il n’en demeure pas moins très faible, et même inférieur à celui atteint par certaines technologies de centrales à gaz.

Bien sûr, on me rétorquera, à raison, que la centrale nucléaire, par se faculté à pouvoir regrouper de grandes puissances sur une surface très faible, compense fortement le problème du rendement, surtout du point de vue économique. Mais, sans même prendre en compte les aspects techniques (les pertes d’énergie supplémentaires le long de la chaîne de transport, de la centrale jusqu’à votre prise électrique), touchant d’ailleurs toutes les sources de production « centralisées », la notion de rendement dans un contexte non renouvelable prend tout son sens lorsque l’on considère l’extraction de la matière première – le minerai d’uranium – et son impact écologique et humain. Sans parler du stockage des déchets…

La suite, bientôt, dans la deuxième partie de ce billet. A bientôt!