mercredi 3 août 2011

5ème partie - L'éveil?

Ah les médias ! Le temps passe, mais Fukushima, encore en train d’essayer de penser ses plaies, commence à tomber dans l’oubli. Que voulez-vous, la phase sensationnaliste est passée. La diffusion de l’information relative aux travers de l’industrie nucléaire doit pourtant se poursuivre. Continuons donc notre série sur le « réveil » antinucléaire, peut-être la seule « heureuse » conséquence de la tragédie de Fukushima.

Le 13 juin dernier, l’Italie a, par voie de référendum, infligé un camouflet retentissant au premier ministre italien Silvio Berlusconi, pro nucléaire affiché. Par 95% des voies, et une participation notable de 57%, le peuple refuse le recours à l’énergie atomique, sur fond de contestation du berlusconisme. Un coup de froid pour Areva et GDF Suez, qui lorgnaient sur l’Italie, et un coup de frein sans doute définitif (quoique…) aux projets de quatre nouvelles centrales nucléaires que le gouvernement de M. Berlusconi comptait mettre en place dans la péninsule. Le président du conseil admet, suite aux résultats, que l’Italie doit désormais miser à fond sur les énergies renouvelables. En voilà une bonne idée, si l’on n’oublie pas les indispensables économies d’énergie qui doivent aller de paire avec une telle mesure ! On attend Berlusconi – et l’ensemble de la classe politique italienne – au tournant…

Après l’Allemagne et la Suisse, c’est au tour de l’Italie de tourner le dos à l’industrie nucléaire. En cause, une pression populaire qui s’accentue, même dans des « bastions » réputés pro-nucléaires (souvent par manque de débat public). 74% des Japonais souhaiteraient ainsi sortir du nucléaire, et ce chiffre n’a cessé de croître au mois de juillet, fait troublant dans un pays où la contestation publique n’est pas une tradition. Et la France… au sein même de l’Hexagone, pays le plus nucléarisé du monde, la pression populaire se fait sentir.

En Europe, les gouvernements de France et de Grande Bretagne semblent être de plus en plus isolés. Leurs gouvernements se battent pour maintenir à flot cette industrie passéiste mais aux profits juteux. En preuve ces scandaleux propos tenus par un membre du ministère britannique de l’énergie à l’adresse d’Areva et d’EDF, très présents en Angleterre, au tout début de la crise japonaise : de peur de la menace sur l’industrie nucléaire, on tentait de minimiser la catastrophe de Fukushima, bien avant que l’on ne sache ces réelles conséquences. A lire dans le Guardian, les copies des emails échangés : http://www.guardian.co.uk/environment/interactive/2011/jun/30/email-nuclear-uk-government-fukushima).

Du coup, les langues se délient aussi, stimulant (enfin) un débat par le passé trop sclérosé par des intérêts uniquement politiques et économiques. On constate au grand jour (enfin) les multiples collusions entre industrie nucléaire et politique. On bouscule aussi le mythe de la sécurité des centrales atomiques. Un article paru début juin sur le site Politis.fr, écrit par l’ingénieur et économiste Benjamin Dessus et le physicien nucléaire Bernard Laponche, expose la tromperie, de moins en moins efficace, des statistiques avancées par le lobby nucléaire, concernant les risques de cette filiale énergétique. Voici un extrait :

[…] la probabilité théorique […] conduit à un résultat de 0,014 accident majeur pour l’ensemble du parc [mondial] et pour cette durée de fonctionnement [de 31 ans]. Résultat très faible : l’accident majeur serait donc extrêmement improbable, voire impossible. Mais, sur ce parc, cinq réacteurs ont connu un accident grave (un à Three Mile Island, un à Tchernobyl et trois à Fukushima), dont quatre sont des accidents majeurs (Tchernobyl et Fukushima) : l’occurrence réelle est environ 300 fois supérieure à l’occurrence théorique calculée. Cet écart est considérable et conduit à un constat accablant quand on prend conscience de la pleine signification de ces chiffres. La France compte actuellement 58 réacteurs en fonctionnement et l’Union européenne un parc de 143 réacteurs. Sur la base du constat des accidents majeurs survenus ces trente dernières années, la probabilité d’occurrence d’un accident majeur sur ces parcs serait donc de 50 % pour la France et de plus de 100 % pour l’Union européenne.

L’aspect statistique, et notamment les bases employées et les comparaisons (technologies différentes de réacteurs, etc.) faites par les auteurs, me semblent discutables, voire sujets à caution. Mais la conclusion qualitative n’en demeure pas moins cohérente : les évaluations statistiques des risques faites par l’industrie nucléaire ne sont rien d’autre que du marketing de piètre qualité, sponsorisées par les politiques.

Du reste, les médias relaient de plus en plus des nouvelles de problèmes de vulnérabilité ou de fonctionnement de centrales nucléaires de part le monde. Là, on est plus dans les statistiques ! On se souvient des fuites radioactives et des problèmes techniques au Tricastin, en France, ces dernières années (2009) (note : je n’inclurai pas ici le récent incendie de transformateur de la centrale du Tricastin, celui-ci n’ayant rien à voir avec un « défaut nucléaire »). Plus récemment, Mediapart et la Tribune de Genève rapportaient les ennuis en série de la centrale de Paluel – l’une des plus grandes de France – qui inquiétaient jusqu’à son personnel. Autres lieux, autres problèmes : alors que l’on apprenait, sans grande surprise peut-être, que l’ensemble des centrales nucléaires russes étaient bien moins sûres que l’on ne le pensait jusqu’ici, de l’autre côté de la Terre, la centrale nucléaire américaine de Fort Calhoun rencontrait des difficultés suites à des crues exceptionnelles du Missouri.

Plus possible de berner tout le monde, entre problèmes techniques à répétition, vulnérabilité des installations aux caprices de l’environnement ou encore des problèmes sociaux, au sein même de l’industrie nucélaire (pressions et sous estimation des accidents de travail de la part de Bouygues à Flamanville, sur le chantier de l’EPR). L’énergie nucléaire n’est plus le « miracle » que l’on nous promettait il n’y a pas si longtemps que cela…

Dès lors, la contestation monte et trouve enfin l’écho qu’elle mérite. On a encore manifesté le13 juin devant la centrale de Mühleberg en Suisse. Et cette contestation ne faiblit pas non plus à Fessenheim, où se trouve la plus vieille centrale atomique française en service.

On manifeste… mais quoi proposer en échange ? Les énergies renouvelables sont une chose, mais elles resteront indissociables de politiques d’économies d’énergie efficaces (et, au final, une remise en question nécessaire de notre propre boulimie consumériste). Et mettons de côté ceux qui, dans un excès de bêtise, prétendent que les écologistes aiment la bougie et veulent retourner au Moyen Âge…

Car, contrairement à ce qu’avancent les tenants d’une vision énergétique passéiste, ces alternatives existent, et elles ne demandent qu’à être encouragées et diffusées, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Elles ne seront cependant vraiment innovantes que si elles s’accompagnent d’économies d’énergie réelles et substantielles !


Ces « fameuses » alternatives existent dors et déjà, en Suisse aussi !


La Suisse (à l’instar du Japon d’ailleurs) n’a pas de pétrole mais des idées ! A entendre le Forum Nucléaire Suisse et les politiques en termes d’environnement, on pouvait parfois en douter. Fukushima pourrait bien remettre cette maxime au goût du jour, au Japon comme chez nous.

La clé du renouvelable, c’est la combinaison de méthodes de production. Celles-ci reposent sur une architecture en partie décentralisée et, surtout, sur des économies d’énergie de grandes ampleurs. Prôner uniquement l’éolien au détriment du solaire, et vice versa, n’est pas la solution. Le « mix » renouvelable permet de palier les défauts technologiques des différentes filières, et d’augmenter la robustesse de l’approvisionnement.

Le solaire, photovoltaïque et thermique, a sa carte à jouer, la Suisse étant bien placée sur ce domaine en termes de recherche et développement. L’argument selon lequel l’Helvétie n’est pas un pays de « soleil » est à relativiser : l’Allemagne, fer de lance de la diffusion de l’énergie solaire, n’est pourtant pas un pays du sud !

L’éolien, étant la méthode de production actuellement la plus aboutie (et la moins chère) a aussi son rôle à jouer. Un développement de la micro éolienne, dans une optique de décentralisation, devrait aussi être plus étudié (immeubles et centres urbains).

Une étude récente a montré que la Suisse avait un potentiel très intéressant du point de vue géothermique. Son contexte géographique et géologique – orogénèse et plissement lié, failles, nappes phréatiques correctement alimentées – peut être un atout dans la recherche d’aquifères profonds et thermiquement exploitables. On oublie souvent qu’il existe d’autres formes de géothermie, comme la récupération de chaleur des tunnels routiers ou ferroviaires (bon potentiel, avec plus de 700 tunnels en Suisse), la géothermie à faible profondeur (pompe à chaleur, mais attention à la surconsommation induite…) ou même la récupération de chaleur des égouts. Dans le domaine thermique, n’oublions pas, de ce fait, la récupération de chaleur au niveau industriel.

L’hydraulique, surtout de grandes dimensions, possède en revanche un faible taux de progression, cette énergie ayant été adoptée et développée très tôt déjà. Il existe cependant la possibilité du rehaussement de certains barrages, comme celui du Vieux Emosson qui permettra une augmentation substantielle de puissance de 600MW à 900MW (comparaison : centrale nucléaire de Mühleberg : 350 MWe). En outre, la micro hydraulique, lorsque celle-ci est écologiquement viable, peut-être une solution intéressante, bien que les sécheresses à répétition que nous connaissons risquent de la rendre moins attractive à l’avenir.

Voici donc un panel non exhaustif de solutions (n’oublions pas la biomasse), où il faut regretter le peu d’empressement du monde politique à mettre les moyens nécessaires à son développement.


Mais ces alternatives ne doivent pas cacher les faits : nous consommons trop et mal, et la nature et l’espèce humaine en souffrent !


Solaire, géothermie, éoliennes, biomasse et dans une moindre mesure donc, l’hydraulique, sont le panel de techniques qu’il convient de mettre en avant, et rapidement. Il n’est plus temps des demi-mesures et des timides améliorations qui ont eu cours jusqu’ici (quand elles ont existé).

Mais attention à ne pas retomber dans le piège du précepte quasi religieux qui prétend que « la technologie nous sauvera » (pour rire un peu, voir la ressemblance au niveau de la stimulation cérébrale entre croyance religieuse et fanatisme technologique (Apple)), ni à tomber, à l’autre extrême, dans la voie de l’opposition bornée.

A nouveau, le matin du 11 avril dernier, le (trop orienté ?) journaliste du Journal du Matin de la Radio Suisse Romande, Simon.Matthey-Doret, mettait le poids, avec insistance, sur les oppositions fréquentes des « écologistes » sur des projets d’énergies renouvelables, oppositions qui énervait son invité, le président de Romande Energie SA. Franchement, les frustrations des producteurs d’énergie ne m’intéressent guère, mais l’incompréhension flagrante des questions énergétiques et environnementales du journaliste vedette des matinales de la Première sont affligeantes. Car ce ne sont pas les recours des organisations écologistes qui pénalisent le développement des énergies renouvelables, mais les lourdeurs administratives dans l’octroi des subventions fédérales ainsi que le plafonnement de ces dernières ; en Allemagne, où le déplafonnement existe, l’électricité est produite à partir de 17% de nouvelles énergies renouvelables, alors que les écologistes sont tout aussi présents, voire plus ! C’est pourtant d’actualité !

Mais, aussi fausses que ces attaques médiatiques contre les organisations écologistes puissent être, elles posent un regrettable biais dans les débats – chose, hélas, monnaie courante dans les médias aujourd’hui – qu’il convient de bien mettre au premier plan.

L’année de la Biodiversité, en 2010, nous a permis de comprendre la place de notre espèce au sein des différents et innombrables cycles qui composent notre biosphère. Entre autres, elle a permis – du moins en théorie visiblement – de montrer au public, aux médias et aux instances dirigeantes, l’impact de nos activités sur notre environnement, et la nécessité impérieuse de protéger les espèces dans leur totale diversité, remettant au passage en cause la notion négative et scientifiquement infondée « d’espèces nuisibles » et la connotation péjorative du parasitisme. Et surtout de dire au public que ce n’est pas uniquement en réduisant les émissions de CO2 que la Nature et l’Humain se porteront mieux : le problème est malheureusement plus vaste !

La production énergétique ne déroge pas à la règle. Les problèmes environnementaux et sociaux qui en découlent, outre l’occasion de mettre à l’épreuve les convictions soit disant « vertes » de certains politiciens et industriels, sont aussi une opportunité de vérifier s’ils sont bien compris de la population. L’exemple de la rédaction du Journal du Matin de la Première est la triste preuve de l’incompétence de certains journalistes en termes d’environnement et, quelque part, de l’échec de l’année de la Biodiversité.

Car à quoi bon construire un barrage au fil de l’eau si le problème de la circulation des espèces en voie fluviale n’est pas garanti de manière efficace ? A quoi bon construire une centrale à énergie renouvelable si son emprise sur la faune et la flore locales n’est pas prise en compte de façon exemplaire au niveau même du projet (compensations, etc.) ? En somme, à quoi bon faire avec le renouvelable ce que nous faisions avec les énergies fossiles ? N’y-a-t-il que le seul profit qui compte, ou avons-nous enfin compris que nos activités ne sont pas sans impact sur notre environnement et, par le fait même, sur les générations futurs ? Pouvons-nous continuer d’ignorer cet environnement et entretenir le dogme de la croissance énergétique illimitée, sans remise en cause de notre consommation… soit de notre propre comportement ?

C’est pourtant cette consommation qui doit être au centre des débats, avant même la question du recours à telle ou telle source d’énergie renouvelable. Car l’énergie la plus propre est bien celle que l’on ne consomme pas !

Dans notre société avide de simplification et qui n’aime pas la complexité, ennemie du « toujours plus vite », les remises en question de ce type semblent très difficiles ! Si seulement le contre-pouvoir que devrait former le journalisme faisait bien son travail, les choses en seraient peut-être autrement.


Sandro Loi