dimanche 6 octobre 2013

6 octobre, Genève a son aube dorée

Image : Martial Trezzini/Keystone, RTS (http://www.rts.ch/info/regions/geneve/5266903-taux-de-participation-de-28-a-deux-jours-des-elections-genevoises.html)


Je m'étais promis de ne pas commenter les votations cantonales genevoises de ce 6 octobre 2013, tant le résultat était prévisible. Et bien non, je n'ai pu me retenir, ni même attendre la publication des chiffres officiels ; quelque puissent être ces chiffres, la tendance, claire et sans appel, est là : près d'un tiers du gouvernement est à l'extrême droite!

Et j'ai honte. Honte de cette politique genevoise, cumulant les âneries. Honte de cette droite "libérale", qui ose encore se définir humaniste, mais qui depuis une bonne décennie, forte de sa majorité, s'est déconnectée de la population pour se rapprocher de l'élite oligarchique économique, et a déroulé le tapis rouge à l'extrême droite, à coup d'austérité, de politique "sécuritaire" et de diabolisation de l'étranger migrant. Il est fort à parier qu'après la déconfiture de ce 6 octobre, cette droite libérale va continuer, à l'instar de ce que racontait un conseiller d'état PLR vaudois, à singer l'extrême droite. Mais comme on dit, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis...

J'ai honte de cette gauche (dont certains amis Facebook appellent très justement la "drauche" ou "groite") qui, sous prétexte d'être minoritaire, a trop concédé, trop avalé de couleuvres, trop fait de concessions, pour rester crédible, tant à sa base qu'auprès des abstentionnistes. On ne peut lutter contre la pollution, contre les inégalités sociales ou pour les droits humains, si dans le même temps, on tolère la présence de multinationales du négoce de matières premières (pétrole, etc.) à coup d’allègements fiscaux, ou que l'on défende, d'une manière ou d'une autre, la croissance. J'ai honte de cette gauche molle, verte et socialiste, qui a sombré dans l'illusion du "centre", tombant ainsi dans le piège de ce que certains politologues appellent à raison "l'hyper-centre", nouvel extrémisme du paysage politique.

J'ai honte aussi de cette gauche de la gauche, dont les crises d’ego à répétition ont laissé sur le carreau, depuis 8 ans, près d'une quinzaine de pour-cents des votants, permettant au cancer de l'extrême droite de s'installer pour durer. La gauche de la gauche la plus bête du monde, qu'on disait. Heureusement, cette gauche de la gauche a, apparemment, appris de ses erreurs et, enfin unie, pourrait bien sauver les meubles en entrant au Grand conseil ; reste qu'avec environ 8%, on reste encore loin des scores potentiels des années précédentes. Le mal est fait!

J'ai honte de cette abstention. Plus de 60% des citoyennes et citoyens genevois n'ont même pas daigné faire un acte "citoyen" d'une simplicité pourtant enfantine : glisser deux listes (même neutres) dans une enveloppe, et l'envoyer (sans frais) par la poste. Dans un canton connu nationalement comme étant celui des râleurs, on ne se bouge pourtant pas beaucoup pour corriger le tir. Il en résulte que Genève ne change pas et reste à droite. Où si, quand même un peu : elle plonge encore un peu plus dans la vague brune.

J'ai honte de ces médias locaux ou nationaux (le porte parole des populistes le GHI, la Tribune de Genève, le Matin, le gratuit 20 Minutes) d'avoir délaissé leur rôle de contre-pouvoir, d'avoir abandonné l'information de fond, l'enquête journalistique et la critique du pouvoir. Un candidat d'Ensemble à Gauche a eu beau de pousser un coup de gueule juste sur le plateau de la Radio Télévision Suisse, dénonçant les biais démocratiques des débats organisés par la chaîne publique, l'écho que ce coup de gueule aurait mérité a été faible. Pourtant, la presse locale comme suisse baisse de qualité, la mainmise des intérêts économiques (Tamedia, etc.) étant forte. Maintenant, à l'image de la Tribune de Genève et de sa rédaction, on ne cherche plus à savoir si les peurs de la population sont fondées ou non ; pour garder des parts de marché, on ne fait donc que de suivre ces peurs. Banquiers, financiers et autres avocats d'affaire (pourtant nombreux parmi les cadres d'un parti d'extrême droite qui cartonne à Genève) peuvent continuer à jouer impunément avec les fortunes de l'oligarchie, lui permettant d'échapper à ses devoirs civiques. La place économique genevoise peut continuer à appauvrir le monde en jouant avec ses ressources, et tant pis si des gens se voient contraints d'émigrer pour cela. Tout va bien à Genève : l'emploi est bon ... et on ne parle pas trop de l'explosion des aides sociales, du cas Gate Gourmet, des Emplois de Solidarités ou des grèves à l'Office Cantonal de l'Emploi. Pour ne donner que ces exemples... Et bien sûr, il se trouve des journalistes star des médias genevois, comme Pascal Decaillet, pour se réjouir du triomphe de l'extrême droite... Tout est dit!

Enfin, j'ai honte de ce canton et de ses citoyens! Dans une région où, jusqu'ici du moins, l'éducation et la formation fonctionnaient encore pas trop mal, il est insensé de voir les partis de l'ignorance, les partis les plus xénophobes, les partis où la culture brille par son absence, être portés à la majorité comme ceci. Mais, dans une société où la publicité est toute puissante, où la consommation compulsive est une raison de vivre (nous poussant à accepter bêtement des libéralisations d'ouvertures de magasin par exemple), et où Nabilla est plus médiatisée que l'érosion de la biodiversité ou la souffrance chronique due aux politiques d'austérité budgétaire, nous avons peut-être là, sous nos yeux, la preuve de l'abrutissement de notre population par le dogme ultralibéral. Et bien oui, la publicité et le consumérisme nous ayant rendu suffisamment con pour acheter tout et n'importe quoi, ils nous ont aussi rendu assez con pour voter comme nous l'avons fait ce dimanche 6 octobre!

Mais au fond, comme je le relevais dans mon billet Vague brune, on peut se poser une question : qui, en Europe, peut ne pas connaître cette honte de voir l'Histoire, la sale Histoire, se répéter? Partout, dans cette Europe, l'extrême droite gagne du terrain. Après les Juifs des années 30, ce sont les Roms, migrants, musulmans ou encore les frontaliers qui sont venus les remplacer sur l'autel des vindictes populaires. Ironie du sort, cette même Europe, qui a eu l'honneur, parfaitement déplacé et injustifié, de recevoir le Prix Nobel de la Paix, vient d'être éclaboussée par la tragédie de Lampedusa (une de plus), soulignant les dérives de cette coupable politique du repli sur soi. Qu'importe : après la Grèce et son Aube dorée ou l'Autriche et son FPÖ, Genève vient de redonner confiance, pour cinq ans, à l'extrême droite xénophobe. La région des institutions internationales, perd définitivement son titre d'ouverture sur le monde.

J'ai lu quelque part qu'en Occident, le confort, la stabilité et la paix avait une bizarre tendance à enfanter la connerie. La richissime Genève, en mettant à la majorité le Mouvement Citoyen Genevois, l'UDC et leur cohorte d'avocats d'affaire travaillant ou ayant travaillé avec des sociétés offshore, de financiers proches des banques ou de copains de propriétaires immobiliers, vient d'en donner une spectaculaire illustration!

Sandro Loi




samedi 5 octobre 2013

17'000 morts aux frontières, 20 ans de crimes européens contre l'humanité.

Cercueils des victimes du 3 octobre, Lampedusa. Source : REUTERS/Antonio Parrinello, RFI (http://www.rfi.fr/afrique/20131010-lampedusa-assouplissement-regles-asile-italie-europe).



Lampedusa, un 3 octobre...

Ce jeudi matin 3 octobre, un bateau transportant 450 à 500 migrants provenant de la Corne de l'Afrique a sombré au large de l'île italienne de Lampedusa, en Méditerranée. En ce jour (vendredi 4 octobre), on compterait près de 300 victimes, les espoirs de retrouver des survivants parmi les disparus étant nuls. Il y avait de nombreux enfants en bas âge sur l'embarcation. Les scènes de ces petits corps flottant ont choqué sauveteurs et pêcheurs. C'est la plus grande tragédie en mer touchant des migrants dans cette région, mais pas la première, et de loin ; déjà en juin 2011, 200 à 270 migrants originaires d'Afrique subsaharienne s'étaient noyés en tentant de gagner Lampedusa [1].

Triste tableau, qui vient s'ajouter à une liste déjà longue de migrantes et de migrants, morts en tentant de gagner "l'eldorado" européen ; selon l'ONG Migreurop [2], ce serait près de 17'000 migrants qui, fuyant guerres, pauvreté ou problèmes environnementaux, aurait succombé aux portes de l'Europe en vingt ans. Une hécatombe qui se déroule dans le plus grand silence...

En Europe et en Suisse, le migrant n'est pas une victime ; c'est un criminel!

Car en Europe, voyez-vous, le migrant n'est pas une victime. 70 ans après les chasses aux sorcières juives et les cortèges de chemises noires, "l'Ancien monde" a, à nouveau, besoin de boucs-émissaire pour y déposer tous ses maux. Ces boucs-émissaires de la crise, du mal-être ou du chômage, ce sont, à tour de rôle, Roms, ressortissants de l'ex-Yougoslavie, émigrés musulmans, africains, requérants d'asile. En Suisse, cette criminalisation des migrants et des étrangers a même amené l'UDC, parti de la droite dure, comme première force politique du pays. L'immigration néfaste en tête de programme, requérants d'asile "criminels et profiteurs" comme cibles, le parti de Christoph Blocher n'a pas rencontré que des succès, mais a su "droitiser" toute la politique suisse, transformant par exemple le radicalisme bourgeois, historiquement humaniste, en un Parti Libéral Radical (PLR) fervent partisan de la criminalisation des requérants d'asile [3]

Criminaliser le migrant, c'est facile en Suisse (et en Europe [4]) et c'est porteur politiquement. Cela permet, en outre, comme le raconte Jean-Léonard Touadi dans le Monde [5], de se voiler la face sur nos propres responsabilités, tant sur les tragédies comme celle de Lampedusa, que sur le phénomène propre de l'immigration vers l'Europe :

"Ces morts nous interpellent au plus profond des ressorts éthiques, économiques, géopolitiques et culturels de nos sociétés. Il y a une sorte de gigantesque refoulement. On ferme les yeux sur ce drame car les ouvrir signifierait qu'il faut s'interroger sur nos responsabilités par rapport au modèle économique, aux échanges inégaux entre nos sociétés et ces pays, à une globalisation de l'injustice qui n'a pas suivi la globalisation des flux financiers et des marchés."

C'est sûr que, lorsqu'on sait que, grosso modo, 80% des richesses mondiales sont concentrés chez les 20% de sa population (dans les pays du nord), on peut bien se demander quelle mouche aura piqué le migrant voulant aller en Europe...

L'Afrique, supermarché des Occidentaux ou de l'Asie.

L'Europe voit encore en l'Afrique un magasin bon marché dans lequel on peut se servir [6]. Elle n'est d'ailleurs pas la seule ; l'Asie (Chine), la Russie ou les États-Unis lorgnent sur ce vaste continent aux ressources naturelles importantes (et aux états et gouvernements fragiles ou manipulables à souhait). Par exemple, les flottes de pêche industrielle européennes ou asiatiques croisent depuis longtemps au large du Sénégal. Alors que la pêche représentait encore, en 2012, 17% du PIB de ce pays, ses stocks de poisson se sont effondrés ces dernières années. Bien sûr, une surexploitation des pêcheurs locaux est en cause, mais à celle-ci se rajoute celle massive des flottes étrangères, russes [7] comme françaises ou espagnoles, agissant avec la bénédiction de l'Union Européenne [8]. Ce problème n'étant pas limité au seul Sénégal, de nombreux autres pays africains commencent à s'opposer à ce pillage en règle des ressources halieutiques par les pays occidentaux et l'Asie. Ce problème est d'autant plus grave que le poisson, dans toutes ces régions côtières africaines où le climat est parfois rude, rentre dans l'essentiel de l'alimentation humaine (24.7 kg par personne en 2007 au Sénégal, contre 17 kg en moyenne dans le monde (FAO 2010) [9]). Entre guerres, troubles et conflits qui ont ensanglanté la Corne de l'Afrique, à l'est de l'Afrique cette fois, il est ainsi intéressant de noter que la vague de piraterie, qu'ont connu les eaux baignant cette région, a eu aussi comme origines ce pillage des ressources halieutiques, directement ou indirectement [10] dû aux activités économiques historiques occidentales et européennes.

Quant à la Suisse, ce n'est pas mieux. Glencore, numéro 1 mondial du négoce de matières premières et plus grosse société en Suisse en terme de chiffre d'affaire, est souvent attaqué par les ONG pour ses activités minières en Afrique [11] [12] et ces privilèges fiscaux, ici [13], comme ailleurs où ils participent à l'appauvrissement de ces pays (notamment en Zambie où, malgré des cours du cuivre favorables, Glencore est arrivé à ne déclarer aucun bénéfice [14]). Du reste, les propos de Victor Nzuzi, agriculteur congolais, de Via Campesina, étaient clairs et résumaient bien le contexte [15] lors du contre-sommet organisé en protestation au deuxième Sommet mondial sur les matières premières des 15-17 avril 2013. A l'instar du Congo, où près de 30 à 35% du territoire national sont occupés par les multinationales qui exploitent le minerai, de nombreuses lois locales sont écrites en faveur de ces multinationales qu'on exonère en plus de taxes. Rien à redire pour nos politiciens libéraux, qui croient bêtement à la solution "win win" du marché, sauf que, selon M. Nzuzi, ces 30 à 35% de terrains "privatisés" pour nos multinationales suisses ou européennes, rapportent moins de 5% du budget national (équivalent à celui du seul canton de Genève). D'un côté, nous avons des bénéfices élevés de sociétés comme le suisse Glencore, et de l'autre, des retombées minables que les pays africains en tirent, comparés aux défis qui se posent à eux. Au milieu, nous avons une population pauvre, exploitée, qui n'a que des miettes. Et Glencore n'est pas active que dans le minerai... En regard de ceci, il est scandaleux et inacceptable, en Suisse, d'entendre des politiciens comme Isabelle Moret (PLR), en réponse au vote sur le durcissement des droits d'asile, prendre l'excuse de l'immigration "économique" pour justifier l'abandon de la tradition humanitaire [3]. Surtout quand cette même Suisse, par le biais de sa place bancaire (très active et l'un des leaders dans le commerce des matières premières) ou de ses entreprises (grassement attirées par des privilèges fiscaux), en tire un maximum de bénéfices!!! La pauvreté est un crime, tout comme chercher à aller dans un pays riche, selon la conseillère nationale. Du joli...

Voilà un petit exemple de nos responsabilités, juste sur le volet économique des matières premières que sont les ressources de la pêche ou celles des minerais et du sol. Je passerai, pour faire court, sur les ressources agricoles, où il y aurait aussi matière à débattre [16] (voir toutefois l'article de Basta! édifiant sur l'accaparement des terres agricoles par les groupes industriels français [17] (et qui vaut à l'agence de presse des poursuites du groupe Bolloré))! Histoire de couper court aussi aux excuses sur les distinctions hypocrites et idiotes entre "immigration économique" (fustigée) et "immigration politique" (plus ou moins tolérée).
 
Des conflits et luttes de pouvoirs, des réveils démocratiques houleux jusqu'au "bagne de l'Afrique" : de nombreuses sources pour l'immigration.

Du point de vue géopolitique, on a aussi beaucoup à parler. L’Afrique est ensanglantée par des conflits multiples, tribaux, ethniques, géopolitiques, économiques... Exploitations minières (coltan par le passé en République Démocratique du Congo, or, diamants, pétrole comme au Nigeria), ou encore l'accès à l'eau (Nil [18]) sont parfois à l'origine des conflits, ou les perpétuent. 

Principale source d'immigration en Europe, le nord de l'Afrique, du Maroc en Égypte en passant par la Tunisie, a connu des "printemps arabes" ; les populations se sont soulevées contre des régimes plus ou moins dictatoriaux, que l'Europe a longtemps soutenu par souci de "stabilité". On se souvient en effet de Mouammar Kadhafi, le dictateur libyen, reçu en vedette à Rome ou à Paris [19] (il fallait sans doute s'assurer, pour ces pays, l'accès aux gisements pétroliers et gaziers de Lybie), ou encore Bachar El Assad invité au défilé du 14 juillet 2008 [20]. Citons encore Ben Ali en Tunisie ou Moubarak en Égypte, deux amis de l'Europe ou des États-Unis, peut-être moins de leurs concitoyens. On a tendance à oublier notre mansuétude passée (et présente) face à ces dictateurs, tout comme on a tendance, en jugeant l'afflux massif d'immigrés en provenance du Maghreb, à oublier que tout processus de démocratisation prend du temps.

Comme région en trouble quasi perpétuel, la Corne de l'Afrique est révélatrice. Le pillage des ressources halieutiques n'était qu'une cause parmi d'autres de la piraterie, conséquence de l'extrême pauvreté, qui a sévi sur les côtes somalienne ; il y a aussi l'abandon, par la communauté internationale, de cette région au passé colonial et tumultueux, laissée plus ou moins à elle-même, comme le concluait Alain Gascon, professeur à l’Institut français de géopolitique Université Paris 8 [21].

C'est aussi le cas en Érythrée, principal pays d'origine des victimes de Lampedusa de ce 3 octobre. L’Érythrée, que beaucoup de nos politiciens mentionnent tout en ignorant visiblement son histoire, était il y a encore une quinzaine d'années en guerre contre son puissant voisin l’Éthiopie, qu'elle prive géographiquement d'accès à la mer et au port pétrolier stratégique d'Assab. Une guerre qui aurait fait une centaine de milliers de morts... Puis c'est la dictature, transformant depuis 2001 l’Érythrée en une sorte de "Corée du Nord" africaine, où les tortures, selon Amnesty, sont d'une cruauté sans égal ; dans son "carnet" du 4 octobre 2013, la journaliste belge Colette Braeckman, après avoir résumé l'histoire récente de l’Érythrée, conclut :

"Si les jeunes quittent un pays quelquefois appelé le bagne de l’Afrique, c’est aussi dans l’espoir de rejoindre une diaspora importante, dont les envois de fonds aident la population à survivre et qui représentent la principale source de revenus du pays. Et si les candidats à l’exil prennent le risque de mourir de soif dans les déserts soudanais ou de se noyer en mer, c’est enfin parce que l’autorisation de quitter le pays par des voies légales n’est pratiquement jamais accordée… [22]"

Une responsabilité partagée, mais...

L'immigration est une chose naturelle ; venez à restreindre les possibilités de migration d'une espèce vivante (comme nous le faisons avec la destruction des habitats écologiques et des corridors biologiques), et celle-ci risque de s'éteindre, faute de pouvoir s'adapter. Nous l'oublions, l'Homme a toujours été migrant, ce qui a assuré sa survie ; de ses origines africaines, il a parcouru la planète, jusqu'à conquérir, il y a un millier d'années, des terres aussi éloignées que la Nouvelle Zélande ou l'archipel d'Hawai'i. Aujourd'hui cependant, dans notre société sédentarisée, l'immigration est vue uniquement sous forme négative. Et, comme on l'a vu ci-dessus, on en oublie parfois, voire même souvent, nos propres responsabilités.

Nous sommes bien d'accord, tous les maux de l'Afrique ne sont pas uniquement à chercher ni dans le passé colonial (et violent) de l'Europe, ni dans ses politiques libérales actuelles en termes économiques. Comme le relève l'éditorialiste de Guinée Conakry Info, Boubacar Sanso Barry [23], corruption endémique à grande échelle et conflits locaux sont aussi lourds de conséquence, notamment dans la fuite des populations vers les pays du nord.

Toutefois, le même éditorialiste, en véritable coup de gueule, souligne toute l'hypocrisie de l'Europe, à la vue de ce qui n'est, malheureusement, qu'une nouvelle tragédie en mer Méditerranée :

"[...] l’Occident s’est uniquement préoccupé de ses intérêts. Pour les obtenir, il a usé de tous les moyens. Y compris les moins recommandables. Bon nombre de conflits et de situations d’instabilité en Afrique ont leurs origines véritables outre-Méditerranée [en Europe donc]. Pour des raisons très souvent économiques, ils sont prêts à "foutre le bordel" dans les pays qui tentent de leur résister. Le cas libyen peut servir d’illustration. Et maintenant les voilà qui se barricadent, obligeant les immigrants à utiliser des voies détournées et prendre les risques les plus élevés."

Italie, Europe, Suisse : une hypocrisie qui me donne la nausée.

L'Italie, mon pays, s'est mis en deuil national ce vendredi 4 octobre. Mais, au-delà de l'horreur légitime qu'un tel drame peut susciter, surtout auprès des sauveteurs et des locaux de Lampedusa, comment croire, un seul instant, qu'un pays comme l'Italie où la xénophobie prospère [24], fasse son introspection suite à cette catastrophe humanitaire qu'elle ne peut pourtant ignorer? Comment croire, un seul instant, à la bonne foi de ces rédacteurs en chef de journaux comme la Stampa ou encore Il Corriere della Sera, journal proche (et aux mains) de Silvio Berlusconi et de ses travers xénophobes et contre le multiculturalisme [25]? Comment croire, un seul instant, à la sincérité de ces éditorialistes italiens (ou suisses, ou européens), d'habitude plus enclins à "n'écouter que les peurs de la populations", comme le disait le rédacteur en chef adjoint de la Tribune de Genève David Haeberli sur la RTS [26], plutôt qu'à creuser pour savoir si ces peurs sont infondées ou non? Comment croire, un seul instant, à la sincérité de cette presse et de ces médias qui ont abandonné l'analyse, l'information détaillée, au profit de coupures de presse, de "témoignages" ou de faits divers, à la grande joie des populistes?

L'Europe aussi, feint la tristesse, alors qu'elle érige un véritable mur à ses frontières, tant "politique" et "juridique" que "d'ignorance", pour repousser cette immigration qu'elle ne saurait voir. La lutte "anti-migrants" est même devenue un business sur le vieux continent [27]. Cette Europe qui vote toujours plus à droite ; cette Europe qui prône plus ou moins indirectement des groupes comme Aube dorée, La Lega ou le Front National [4] ; cette Europe qui, derrière le paravent de la crise, criminalise sans vergogne des victimes pour mieux ignorer ses responsabilités et les souffrances des migrants : elle a le CULOT de feindre la tristesse!!!

Et la Suisse dans tout ça, elle s'aligne avec cette Europe. Grâce à l'UDC et à ses laquais du PLR, le pays, anciennement à la tradition humanitaire reconnue, vient entre autre de supprimer, le 9 juin dernier, l'accès aux procédures d'asile dans les ambassades ; les Érythréens, comme les victimes du naufrage du 3 octobre qu'on "pleure" ici ou là, et qui ne peuvent pas obtenir légalement de permis de quitter leur pays, perdent ainsi un moyen plus sûr de fuir l'enfer du "bagne de l'Afrique". Les passeurs nous remercient! Et chez nous, la haine de l'autre et l'ignorance de l'étranger, de ce qu'il est et de ce qu'il fuit, n'ont décidément pas de limite! Dans ce pays si riche comme la Suisse, qui a su si bien exploiter le monde à son seul profit, combien de temps des gens se disant respectables comme Isabelle Moret du PLR [3] pourront encore se cacher derrière l'argument fallacieux des "migrants économiques" contre les "migrants politiques"? Criminaliser la pauvreté, c'est assez ignoble, non? Combien de temps la population suisse, qui n'est pourtant pas aussi mal lotie que les gens dans bon nombre de pays voisins plus durement touchés par la crise financière, se laissera-t-elle berner par les petits lobbyistes de la peine capitale [28], négligeant au passage les milliers de morts que leurs idéologies haineuses, passéistes et du repli sur soi entraînent? Qu'attendent les médias pour se "bouger le cul" à exercer leur contre-pouvoir, au-lieu de suivre UDC, Mouvement Citoyen Genevois (MCG) et consort sans broncher, dans une fuite folle vers une société plus intolérante et xénophobe?

A Genève, c'est précisément cette léthargie intellectuelle qui risque fort, ce dimanche 6 octobre, de reconduire pour cinq ans un législatif où la droite dure sera majoritaire, ou le MCG, fort de 8 ans de néant, pourra continuer, avec les fous furieux (et folles furieuses)  de l'UDC, de distiller, dans la population, xénophobie "anti-frontaliers" et xénophobie "anti-migrants". C'est vraiment à vous donner la nausée. 

Et en Grèce, Autriche, France, c'est la même chose. L'extrême droite dicte tout, quand ce n'est pas la droite "classique" (où la gauche à la Manuel Valls) qui lui emboîte le pas.

Combien de morts à nos frontières faudra-t-il pour qu'on ouvre les yeux sur nos délires consuméristes toujours plus demandeurs en ressources qui appauvrissent la planète? Combien de morts nous faudra-t-il pour que notre conscience et notre intelligence reprennent le dessus sur nos peurs, et nous fasse donner un bon coup de pied aux fesses de la droite ultralibérale et xénophobe? A voir l'état des politiques, des médias et le niveau de réflexion des gens, ici comme ailleurs, j'ai bien peur que le cimetière de la Méditerranée ne soit pas prêt de fermer boutique.

Sandro Loi

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Sources :

[1] Plus d'espoir de trouver des survivants à Lampedusa, AFP/Newsnet, La Tribune de Genève, 4 octobre 2013, http://www.tdg.ch/monde/espoir-trouver-survivants-lampedusa/story/17991219

[2] Migreurop, Observatoire des frontières, http://www.migreurop.org/

[3] Les Suisses ont voté pour le durcissement des droits d'asile, AFP/Fabrice Coffrini, L'Express, 10 juin 2013, http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/les-suisses-ont-vote-pour-le-durcissement-du-droit-d-asile_1256086.html

[4] Vague brune, Sandro Loi, 30 septembre 2013, http://sandroloi.blogspot.ch/2013/09/vague-brune.html

[5] Naufrage à Lampedusa : "C'est un drame immense qui se joue dans l'indifférence", interview de Jean-Léonard Touadi, ancien député du Parti Démocrate italien, propos recueillis par

« Une partie de nos dirigeants continuent de regarder l’Afrique comme une vache à lait », Simon Gouin, Basta!, 24 octobre 2011, http://www.bastamag.net/article1819.html

Pillage des ressources halieutiques au Sénégal, revue de presse, AllAfrica, mars 2012, http://fr.allafrica.com/view/group/main/main/id/00015998.html

[8] Stop au pillage des poissons africains, Adrien Hart, Slate Afrique, 12 octobre 2012, http://www.slateafrique.com/89719/stop-pillage-des-poissons-africains-ali-haidar-macky-sall
août 2011, Agricultural, Food, and Resource Economics, http://fsg.afre.msu.edu/srai/Etude_consommation_rapport_regional_revue_diallo.pdf
La piraterie dans le golfe d'Aden : les puissances désarmées ?, Alain Gascon, Hérodote 3/2009 (n° 134), p. 107-124, http://www.cairn.info/revue-herodote-2009-3-page-107.htm
Une étude d’ONG suisses dénonce les activités de Glencore en Afrique, APIC, 16 avril 2012, http://www.cath.ch/detail/une-%C3%A9tude-d%E2%80%99ong-suisses-d%C3%A9nonce-les-activit%C3%A9s-de-glencore-en-afrique
Le géant minier suisse Glencore lié au travail des enfants en RDC, Mise au point, RTS, 16 avril 2012, http://www.rts.ch/info/suisse/3924500-le-geant-minier-suisse-glencore-lie-au-travail-des-enfants-en-rdc.html

[13] Zurich: l'imposition faramineuse du patron de Glencore fait débat, RTS, 16 septembre 2013, http://www.rts.ch/video/info/journal-12h45/5215206-zurich-l-imposition-faramineuse-du-patron-de-glencore-fait-debat.html

[14] Le docu « Zambie : à qui profite le cuivre ? » mouille l’Europe, Sophie Caillat, 31 mai 2011, Rue89, http://www.rue89.com/tele89/2011/05/31/zambie-a-qui-profite-le-cuivre-lenquete-qui-mouille-leurope-207066

[15] Pétrole, café, céréales: quand la Suisse mène le bal (5/5), Vacarme, RTS, 3 mai 2013, http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/vacarme/4834027-vacarme-du-03-05-2013.html, enregistrement : http://download-audio.rts.ch/la-1ere/programmes/vacarme/2013/vacarme_20130503_full_vacarme_b4469091-da95-44e4-9416-f46a01c79c1f-128k.mp3

[16] Swiss Trading SA. La Suisse, le négoce et la malédiction des matières premières. Déclaration de Berne (éd.), Editions d'en bas, 2e édition, 359 pages, Lausanne, avril 2012.

[17] Bolloré, Crédit agricole, Louis Dreyfus : ces groupes français, champions de l’accaparement de terres, Nadja Djabali, Basta!, 10 octobre 2012, http://www.bastamag.net/article2688.html

[18] Biodiversité 10, Aut Nilus, aut nihil, Sandro Loi, http://sandroloi.blogspot.ch/2013/08/biodiversite-10-aut-nilus-aut-nihil.html

[19] Mouammar Khadafi à Paris, Le Soir, http://portfolio.lesoir.be/v/france/12_10_Khadafi/

[20] Le dictateur syrien Bachar el-Assad invité officiel au défilé du 14 Juillet, Jean-Pierre Perrin, Libération, 11 juin 2008, http://www.liberation.fr/monde/2008/06/11/le-dictateur-syrien-bachar-el-assad-invite-officiel-au-defile-du-14-juillet_21147

[21] Les damnés de la mer : les pirates somaliens en mer Rouge et dans l’océan Indien, Alain Gascon, septembre-octobre 2009, Diplomatie n°40, http://www.diplomatie-presse.com/?p=30

[22] Pourquoi ils quittent l’Erythrée?, les carnets de Colette Braeckman, Le Soir, 4 octobre 2013, http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2013/10/04/pourquoi-ils-quittent-lerythree/

[23] Lampedusa : indignation hypocrite et larmes de crocodile, Boubacar Sanso Barry, Guinée Conakry Info, 4 octobre 2013, Courrier International, http://www.courrierinternational.com/article/2013/10/04/lampedusa-indignation-hypocrite-et-larmes-de-crocodile

[24] L'Italie, ce pays où il fait bon être raciste, Gad Lerner, La Reppublica, 29 juillet 2013, http://www.courrierinternational.com/article/2013/07/29/l-italie-ce-pays-ou-il-fait-bon-etre-raciste

[25] Lampedusa : la presse italienne déplore le "massacre de la honte", Le Monde.fr avec AFP, 4 octobre 2013, http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/10/04/la-presse-italienne-deplore-le-massacre-de-la-honte-a-lampedusa_3489945_3214.html

[26] Le rendez-vous de la presse: retour sur le oui à l'interdiction du port de la burqa au Tessin, le 12:45, RTS, 27 septembre 2013, http://www.rts.ch/video/info/journal-12h45/5246812-le-rendez-vous-de-la-presse-retour-sur-le-oui-a-l-interdiction-du-port-de-la-burqa-au-tessin.html

[27] Le business de la xénophobie en plein boom, Nolween Weiler, Basta!, 30 octobre 2012, http://www.bastamag.net/article2737.html

[28] Les politiciens se lâchent sur les réseaux sociaux, Julien De Weck, Tribune de Genève, 16 octobre 2013, http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/Les-politiciens-se-lchent-sur-les-reseaux-sociaux/story/25866047

lundi 30 septembre 2013

Vague brune.

Il y a quelques années, lorsque j'ai débuté ce modeste blog, je tablais sur la disparition prochaine de l'extrême droite à Genève. Quatre ans plus tard, le constat est sans appel ; que ce soit au niveau local (Genève), que ce soit au niveau national, que ce soit au niveau européen, l'extrême droite est toujours là, et presque aussi forte que jamais. Je suis aussi nul que les économistes tablant sur un retour prochain à la croissance...

Avec l'actualité brûlante (fin septembre 2013), petit tour d'horizon non exhaustif.

Autriche

Les élections législatives en Autriche, ce 29 septembre 2013, ont vu près d'un électeur sur quatre (!) voter pour l'extrême droite ; le FPÖ de Heinz Christian Strache ferait 21.4% des suffrages, auxquels il faut rajouter les 3.6% de l'autre parti brun, le BZÖ [1]. 

Cette effrayante progression n'est qu'à peine compensée par la montée, timide mais réjouissante, de 1.5% des Verts autrichiens (11.5%, soit loin derrière l'extrême droite) [2]. Les tentatives de dédiabolisation menées par M. Strache, ne cachant pourtant pas de virulents propos contre les musulmans, ni des idioties patriotiques telles que la notion de "sang viennois" (?), ont visiblement porté leurs fruits...

Grèce

Entré au parlement grec aux législatives de 2012, le parti Aube dorée, ouvertement xénophobe, homophobe, antisémite et néonazi, est toutefois le troisième parti du pays [3]. Crédité de 13 à 15% d'intentions de vote, parti très influent qui gangrène les institutions et la police, il surfe sur les frustrations et les souffrances liées à la crise économique qui assomme la population, tout en faisant attention de bien dissimuler ses liens étroits avec l'oligarchie hellénique, richissimes armateurs en tête. Mais déjà en 2008, les sbires d'Aube dorée se livraient à de véritables chasses à l'homme ; afghans ou pakistanais d'Athènes en avaient fait les frais [4]. 

Commence alors une véritable vie de terreur pour les communautés étrangères, notamment à Athènes [5]. Les dérives policières, en parallèle des activités néonazies, étaient pourtant connues de longue date et constatées [6][7], tout comme l'infiltration des forces de "l'ordre" par Aube dorée [8]. 

Pourtant, il semble que les choses n'aient seulement commencé à bouger qu'après le meurtre, le 17 septembre dernier, d'un activiste antifasciste par un militant présumé du parti néonazi [9]. L'émotion a été vive, et activement relayée dans les milieux antifascistes à l'international. Et aujourd'hui, 30 septembre, le monde découvre l'ampleur criminelle d'Aube dorée, étendue entre 1997 (peu après sa création) et aujourd'hui ; une véritable organisation paramilitaire chapeautait violences armées contre des étrangers ou tentatives d'homicide [10]. Des dirigeants d'Aube dorée, dont Christos Pappas, sont interpellés par la police grecque le samedi 29 septembre [11].

France

En France, le Front national (FN) ne cesse de cartonner. Le parti nationaliste d'extrême droite est en pleine campagne de dédiabolisation, à l'instar du FPÖ autrichien. Fini (du moins dans la communication) le temps de Jean-Marie Le Pen, traînant ses casseroles de négationniste [12] ou de tortionnaire durant l'occupation française en Algérie [13] ; aujourd'hui, sa fille Marine Le Pen tient le parti d'une poigne de fer, résolue à lui rendre une certaine respectabilité. 

Et ça marche : de 23'000 adhérents en 2011, le FN en serait à 65'000 en 2013 [14]. De plus, on l'annonce souvent, et à raison, comme arbitre d'élections, tant sa force est grande. Comme en Grèce et ailleurs, l'extrême droite française profite de la crise pour se faire passer comme seule apte à faire changer les choses. De social et d'humain cependant, le FN n'en a que les prétentions auprès des médias, véhiculées par Madame Le Pen. Comme le révélait Basta! en 2012, les élus frontistes, de Jean-Marie Le Pen à Bruno Gollnisch, ont plus souvent été prompts à voler au secours des patrons d'entreprises ou des multinationales qu'aux salariées et salariés de celles-ci, mis à la porte au moindre toussotement de l'économie ; comme action sociale, il y a bien mieux, et ce n'est qu'un exemple [15]. 

Ivan Le Roy titrait déjà en 2007 que le "FN n'a pas changé" [16]. Du meurtre d'Ibrahim Ali-Abdallah par trois colleurs d'affiche du FN en 1995, jusqu'aux agressions de la journaliste Audrey Pulvar et de son compagnon Arnaud Montebourg en février 2012 [17], les membres et sympathisants du FN (et non des moindres) se sont illustrés par de nombreux méfaits et condamnations, dont une liste non exhaustive mais assez impressionnante a été dressée sur le site de No Pasaram FM [18]. 

Du reste, le vernis imposé par Marine Le Pen ne tient pas ; en France, le FN a sous-traité, d'une certaine façon, ses actions radicales, pour mieux passer auprès des médias. Ainsi, les journalistes du Monde Caroline Monnot et Abel Mestre, décrivaient en 2011, dans leur livre Le système Le Pen (Denoël), la nébuleuse tournant autour de Madame Le Pen [19], ses liens et ses influences, allant du GUD (Groupe Union Défense, mouvement agressif, ayant notamment appelé à la violence contre les homosexuels [20] en 2013, dans le cadre du projet de loi gouvernemental sur le "mariage pour tous") jusqu'à ses inspirations dans les écoles de pensée racialistes ou le rexisme (mouvement d'extrême droite belge des années 30, proche du fascisme italien, du phalangisme espagnol et, dans les années 40, du nazisme). Enfin, même le très libéral Parlement européen (qu'on ne pourrait vraiment pas taxer de gauchisme) a levé cette année l'immunité parlementaire de madame la députée européenne... Marine Le Pen, pour incitation à la haine raciale [21]. 

Une haine auxquels étaient très sensibles les meurtriers du militant antifasciste de 19 ans Clément Méric, tué le 5 juin 2013 lors d'une rixe [22]. Évidemment, que les mouvements Œuvre française et des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR, fondées par Alexandre Gabriac, ex-FN exclu du parti car trop remuant [23]) reprennent les thèses de l'arbre politique de l'extrême droite en France - le Front National - n'est que pure coïncidence...

Italie

En Italie, il n'y aurait pas d'équivalent au Front National français, à l'Aube dorée greque ou au FPÖ autrichien [24]? Ah! Et bien, nous (je suis italien) avons tout de même eu la Lega (parti on ne peut plus xénophobe) et Alleanza Nazionale (néo-fascistes) qui, tous, se sont retrouvés dans le giron du Parti de la Liberté (de droite) de Silvio Berlusconi, puissant magna des médias italiens - deux journaux (dont Il Corriere della Sera) et trois télévisions, de quoi assurer la propagande. Rien que ça...

Entre frasques diverses, d'ordre sexuelle [25], raciste [26] (avec les conséquences que l'on sait [27][28]), homophobe [29] ou fiscale [30], le "Cavaliere" a pourtant toujours réussi à rester proche du pouvoir, même dans ses moments de décadence. Aujourd'hui, l'Italie paie son héritage berlusconien, tant économiquement que du point de vue sociétal ; alors que le pays était plutôt ouvert sur le monde (les italiens ont eux-mêmes bénéficié de l'accueil de nombreuses autres nations, et ont vécu, à l'instar d'autres communautés migrantes, l'exclusion et la xénophobie), la mémoire collective s'est tarie, la sagesse populaire disparue, et aujourd'hui, il "fait bon être raciste en Italie" et, inversement, "pas bon être étranger", encore pire si l'on est de couleur (être intégré n'y change rien) [31].

Maître Carlo Alberto Brusa, répondant aux questions de 20 Minutes [24], parlait de propos dignes de ceux d'une Marine Le Pen se généralisant dans la bouche des Italiens. Ceci va de paire avec une montée du pessimisme dans la péninsule, selon l'avocat. Bref, l'Histoire n'a pas dû être bien apprise en Italie (où l'état du système éducatif, sans surprise, n'est pas à la hauteur de ce qu'il devrait être au pays de la Renaissance et des plus vieilles universités du monde) et les leçons du fascisme et de ses dégâts, oubliées. Un homme au pouvoir aussi pitoyable, humainement parlant, que Silvio Berlusconi ; une xénophobie qui s'étend ; un système éducatif en perdition : lien de cause à effet? En partie, c'est certain...

Et la Suisse...

Autriche (actualité oblige), Grèce, France, Italie... voilà les pays dont les dérives d'extrême droite sont particulièrement frappantes. On pourrait aussi en ajouter d'autres en Europe, comme l'Allemagne, les Pays Bas, la Belgique, la Finlande, etc. En fait, pays riches comme pays pauvres, profiteurs de la crise (comme l'Allemagne) ou victimes de celle-ci (comme la Grèce), l'extrême droite monte en puissance partout. Même les États-Unis, avec leur Tea Party, illustrent sous une autre forme la force d'une droite dure, intolérante et irresponsable, aux relents d'une époque que l'on croyait révolue.

Et la Suisse dans tout cela? Elle suit la tendance, étant, bien malgré elle, très européenne sur ce niveau-là. Alors que l'UDC - parti très à droite de l'échiquier politique suisse - est le premier parti du pays, alors que ce même parti dicte l'agenda politique à toutes les autres formations (donnant même un concours, à droite, de qui sera plus "UDC" que l'UDC, jeu où le Parti Libéral-Radical (PLR) "s'éclate" visiblement mais perd des plumes), la Suisse suit la droitisation générale.

Genève, ville internationale dont la prospérité repose aussi sur les banques et leurs délits fiscaux à l'étranger (appauvrissant ces pays) et au commerce de matières premières (pillage en règle des pays du Sud [32]), voit depuis 8 ans un parti d'extrême droite prospérer. Le Mouvement Citoyen Genevois (MCG) fait au niveau cantonal ce que l'UDC fait au niveau national. Le 6 octobre prochain, les électrices et électeurs genevois renouvellent la députation au Grand conseil, l'organe législatif du canton, et les observateurs tablent sur un raz-de-marée du parti populiste d'extrême droite, ceci malgré un bilan peu flatteur. 

En effet, les adeptes MCG du slogan "tous pourris", en droite ligne d'un Léon Legrelle, père du rexisme dans les années 30, ont un bilan nul, mais un palmarès de dérapages révélateurs : du racisme anti-roms à celui anti-frontaliers, de l'homophobie [33] aux chemises noires typiques que les cadres du MCG revêtent comme dans un étrange remake de 39-45, des sympathies douteuses de certains élus [34] jusqu'aux comportements pour le moins irrespectueux envers les femmes d'autres de ces élus [35], des mensonges à répétition du chef suprême du parti [36] jusqu'à ses implications dans les affaires de sociétés-écran, dont leur rôle dans l'évasion fiscale et, ainsi, dans la crise qui assomme les populations, est pourtant évident [37], prouvant l'aspect élitiste du MCG. Enfin, vous vous rappelez du parti grec Aube dorée, dont son étreinte sur les forces de police est connue et pose des problèmes. Et bien, devinez quel département le MCG a bien infiltré depuis des années [38]?

L'extrême droite, amie de l'élitisme financier et fausse amie des populations

Il est ainsi intéressant qu'en parallèle aux discours haineux, xénophobes, voire ouvertement violents, les différents mouvements d'extrême droite européens ont aussi ceci en commun qu'ils ont, à un moment ou à un autre, été proches des milieux - financiers, bancaires - qu'ils prétendent combattre ; le FPÖ, en Autriche, ne remet pas en cause la société de consommation vecteur de pauvreté dans le monde, Aube dorée n'a pas voulu taxer les armateurs grecs, le Front National laisse faire les patrons parce que "l’État n'est pas là pour secourir les entreprises". Les cadres du MCG ont aidé de grosses fortunes à échapper à leurs devoirs civiques fiscaux, prônant le libéralisme triomphant, mais une fois élus (au Grand conseil genevois notamment), ces mêmes personnes coupent dans les budgets publics (réduction des encadrements dans la petite enfance, dans la formation ou dans la santé), pour mieux fustiger, par la suite, les étrangers et frontaliers profiteurs. La récupération de la crise et des frustrations des gens par ces mouvements extrémistes est donc basée sur une tromperie, ici comme ailleurs. 

Reste qu'à la différence d'il y a quatre ans, je reste dubitatif quant à notre capacité à nous affranchir, dans les plus brefs délais, de ce cancer brun. Alors que les questions environnementales et climatiques ont à nouveau pris une tournure négative, soulignant une urgence trop longtemps ignorée, alors que les crises sociales se succèdent, alors que le modèle libéral de la croissance sans fin est en pleine décadence, le brouillard médiatique d'une presse au contre-pouvoir défaillant voire absent ne permet pas à tout à chacun, aliénés par cette société débilitante, d'y voir clair. On a l'impression qu'à l'instar d'Eric Stauffer au MCG à Genève, c'est celui qui a la plus grande gueule sans toucher à l'oligarchie économique qui gagne des voies politiques, et tant pis si, intellectuellement comme idéologiquement, les propos sont vides de sens. On n'est pas sorti de la vague brune!

Sandro Loi


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Sources :

[1] La coalition droite-gauche déjà en place conserve le pouvoir en Autriche,
agences/lgr, 30 septembre 2013, http://www.rts.ch/info/monde/5251022-la-coalition-droite-gauche-deja-en-place-conserve-le-pouvoir-en-autriche.html

[2] En Autriche, la coalition se maintient malgré la pression croissante de l'extrême droite, Joëlle Stolz, Le Monde, 30 septembre 2013, http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/09/30/en-autriche-la-coalition-se-maintient-malgre-la-pression-croissante-de-l-extreme-droite_3487118_3214.html

[3] Aube dorée (Grèce), Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Aube_dor%C3%A9e_%28Gr%C3%A8ce%29

[4] Grèce: liaisons dangereuses entre pouvoir et néonazis, Emmanuel Haddad, Le Courrier, 10 août 2013, http://www.lecourrier.ch/112673/grece_liaisons_dangereuses_entre_pouvoir_et_neonazis

[5] Peur et haine dans les rues d’Athènes, IRIN (Agence du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU), Le Courrier, 18 octobre 2012, http://www.lecourrier.ch/102597/peur_et_haine_dans_les_rues_d_athenes

[6] Greece - Amnesty International Report 2008, http://www.amnesty.org/en/region/greece/report-2008

[7] Greek police face investigation after protest violence, Helena Smith, The Guardian, 1er juillet 2011, http://www.theguardian.com/world/2011/jul/01/greek-police-investigation-protest-violence

[8] Greek anti-fascist protesters 'tortured by police' after Golden Dawn clash, Maria Margaronis, The Guardian, 9 octobre 2012, http://www.theguardian.com/world/2012/oct/09/greek-antifascist-protesters-torture-police

[9] Grèce : vague d’indignation après le meurtre d’un militant anti-fasciste, Euronews, 18 septembre 2013, http://fr.euronews.com/2013/09/18/grece-vague-dindignation-apres-le-meurtre-dun-militant-anti-fasciste/

[10] La Grèce dévoile les "actions criminelles" d'Aube dorée, AFP avec Reuters, Le Monde, 30 septembre 2013, http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/09/30/la-justice-grecque-devoile-les-actions-criminelles-d-aube-doree_3487110_3214.html

[11] Les crimes d'Aube dorée pousse Athènes à sévir, ATS, 30 septembre 2013, La Côte, http://www.lacote.ch/fr/monde/les-crimes-d-aube-doree-poussent-athenes-a-sevir-604-1221800

[12] Jean-Marie Le Pen définitivement condamné pour ses propos sur l'Occupation, Le Monde, 19 juin 2013, http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/06/19/jean-marie-le-pen-definitivement-condamne-pour-ses-propos-sur-l-occupation_3432858_3224.html
Les crimes d'Aube dorée poussent Athènes à sévir
Les crimes d'Aube dorée poussent Athènes à sévir

[13] Le Pen et la torture en Algérie: le doute que l'on fait toujours planer, Gregory Marin, L'Humanité, 15 novembre 2012, http://www.humanite.fr/politique/le-pen-et-la-torture-en-algerie-le-doute-que-lon-fait-toujours-planer-508749

[14] Front national (parti français), Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Front_national_%28parti_fran%C3%A7ais%29

[15] Que feront les candidats FN s’ils sont élus députés ?, Sophie Chapelle, Basta!, 7 juin 2012, http://www.bastamag.net/article2454.html

[16] Non, le FN n’a pas changé, Ivan Le Roy, Basta!, 22 mars 2007, http://www.bastamag.net/article160.html

[17] Le FN et la violence : les liaisons dangereuses, Rita Santourian, 29 février 2012, Planet.fr, http://www.planet.fr/dossiers-de-la-redaction-le-fn-et-violence-les-liaisons-dangereuses.172336.1466.html

[18] Liste des condamnations et mises en examen du FN, Eddy Trivulce, No Pasaram FM, 3 juin 2012, http://nopasaranvoxpopuli.over-blog.com/article-liste-des-condamnations-et-mises-en-examen-du-fn-106292912.html

[19] Le "nouveau FN" de Marine Le Pen, Caroline Monnot et Abel Mestre, Le Monde, 6 septembre 2011, http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2011/09/06/le-nouveau-fn-de-marine-le-pen_1568382_1471069.html

[20] Le GUD Nancy affiche sa haine des homos, Est Républicain, 31 mai 2013, http://www.estrepublicain.fr/actualite/2013/05/31/le-gud-nancy-affiche-sa-haine-des-homos 

[21] Le Parlement européen lève l'immunité de Marine Le Pen, Le Monde avec AFP et Reuters, 2 juillet 2013, http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/07/02/le-parlement-europeen-leve-l-immunite-de-marine-le-pen_3440481_823448.html

[22] Mort de Clément Méric : nouvelle mise en examen, Le Monde avec AFP, 10 septembre 2013, http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/09/10/mort-de-clement-meric-nouvelle-mise-en-examen_3473867_3224.html

[23] Dissolution de l'Oeuvre française et des Jeunesses nationalistes, L'Humanité, 24 juillet 2013, http://www.humanite.fr/politique/dissolution-de-loeuvre-francaise-et-des-jeunesses-546461

[24] Italie: «Le Cavaliere était perçu comme un clown de la politique, ce n’est pas le cas», interview de Maître Carlo Alberto Brusa recueilli par Faustine Vincent, 20 Minutes, 29 septembre 2013, http://www.20minutes.fr/monde/1229445-20130929-crise-politique-italie-le-pays-pourrait-basculer

[25] Ruby, celle par qui le nouveau scandale sexuel de Berlusconi est arrivé, France24, 1er novembre 2010, http://www.france24.com/fr/20101101-ruby-nouveau-scandale-sexuel-berlusconi-arcore-bunga-karima-keyek-italie

[26] La gauche italienne accuse Berlusconi de racisme, Le Nouvel Observateur, 11 mai 2009, http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20090511.OBS6341/la-gauche-italienne-accuse-berlusconi-de-racisme.html

[27] Près de 70 blessés dans les violences racistes en Calabre, AFP, 9 janvier 2010, http://www.france24.com/fr/20100109-pr-s-70-bless-s-violences-racistes-calabre

[28] Italie : Le gouvernement doit agir rapidement pour mettre fin à la violence raciste, Human Rights Watch, 21 mars 2011, http://www.hrw.org/fr/news/2011/03/21/italie-le-gouvernement-doit-agir-rapidement-pour-mettre-fin-la-violence-raciste

[29] Berlusconi : un dérapage homophobe pour répondre au scandale, Le Parisien, 2 novembre 2010, http://www.leparisien.fr/international/berlusconi-un-derapage-homophobe-pour-repondre-au-scandale-02-11-2010-1133004.php

[30] Silvio Berlusconi est condamné à la prison pour fraude fiscale au terme de huit années de procédure, RTS, 2 août 2013, http://www.rts.ch/video/info/journal-19h30/5110073-silvio-berlusconi-est-condamne-a-la-prison-pour-fraude-fiscale-au-terme-de-huit-annees-de-procedure.html

[31] L'Italie, ce pays où il fait bon être raciste, Gad Lerner, La Reppublica, 29 juillet 2013, http://www.courrierinternational.com/article/2013/07/29/l-italie-ce-pays-ou-il-fait-bon-etre-raciste

[32] Swiss Trading SA. La Suisse, le négoce et la malédiction des matières premières. Déclaration de Berne (éd.), Editions d'en bas, 2e édition, 359 pages, Lausanne, avril 2012.

[33] Semaine contre l’homophobie: un élu du MCG dérape, 360°, 16 mai 2013, http://360.ch/blog/magazine/2013/05/semaine-contre-lhomophobie-un-elu-du-mcg-derape-22123/

[34] Un élu du MCG amateur de vêtements néo-nazis, Alain Tribolet, Gauchebdo, 12 mars 2010, http://www.gauchebdo.ch/spip.php?article1772

[35] Mit der Pornofreundin auf Stimmenfang, Christoph Bernet, 25 septembre 2013, 20 Minuten, http://www.20min.ch/schweiz/news/story/11960659

[36] Le candidat MCG Eric Stauffer aurait menti dans son dossier de candidature, RTS, 31 mai 2012, http://www.rts.ch/info/regions/geneve/4031139-le-candidat-mcg-eric-stauffer-aurait-menti-dans-son-dossier-de-candidature.html

[37] Eric Stauffer: «J’ai créé des centaines de sociétés offshore!», Mario Togni, Le Courrier, 11 avril 2013, 
http://www.lecourrier.ch/107721/eric_stauffer_j_ai_cree_des_centaines_de_societes_offshore

[38] Le numéro 2 de la police rejoint le MCG, Christiane Pasteure, Le Courrier, 2 février 2013, 
http://www.lecourrier.ch/105667/le_numero_2_de_la_police_rejoint_le_mcg

mercredi 21 août 2013

Le vélo n'est pas écolo!

Un assembleur de vélos de récupération à la pêche aux infos.

Comme j'ai monté quelques vélos à partir de pièces d'occasion et de récupération - dont mon Scapin Blato VD6 acier, un bijou de VTT - j'aime, de temps à autre, me tenir un peu au courant de la mécanique de nos bicyclettes. Cela peut aider, n'étant moi-même pas mécanicien vélo! Du coup, chose rare, je jette mon dévolu en kiosque sur le numéro d'août de Vélo Vert, un magazine français de VTT. Comme je m'étais inscrit sur leur forum technique il y a quelques années et que j'y avais trouvé une foule d'information intéressante, pourquoi pas après tout...

Lorsque j'avais monté mon VTT d’entraînement - mon Scapin Blato - j'avais cherché à ne prendre que du matériel construit en Europe, d'éviter autant que possible les productions asiatiques et à défaut, ne prendre que des pièces de récupération et d'occasion. Non que j'ai une dent contre les chinois ou les taïwanais, mais je doute que nombre d’entre nous aimerions travaillé dans les conditions que les ouvriers des chaînes de production de cadres de vélos en Asie travaillent ; pourquoi donc justifier ces conditions en achetant Made in China ou Made in Taïwan? Une position d'éthique sociale et écologiste, en somme. Lors de cette expérience, j'ai cependant pu constater à quel point il était difficile d'assembler un vélo écologique et socialement responsable, tant les pièces faites en Suisse ou en Europe voisine sont difficiles à trouver, quand cela est juste possible. Je ne suis pas un spécialiste, mais quand même! Pour mon Scapin, le cadre (d'occasion) est l'une des dernières productions artisanales de VTT faites à la main en Italie ; ma selle a la même origine transalpine ; ma chaîne, neuve, est fabriquée au Portugal. L'origine des freins est douteuse ("Design in UK" signifiant très probablement une fabrication asiatique). Quant au reste des pièces (toutes d'occasion au moins) - transmission, roues, etc.), on y trouve, en cherchant, très souvent une origine taïwanaise. Bref, comme je l'ai écrit, je ne suis pas un spécialiste, mais il m'a été très difficile de trouver une configuration possible de matériel typé VTT sportif, dont les origines et la production pouvaient satisfaire mes exigences écologiques et sociales. Bon, il fallait essayer et, au moins, ai-je fait grandement usage de matériel d'occasion. Sauf que, faire usage de matériel d'occasion justement, cela risque d'être encore plus difficile à l'avenir...

Business as usual

Il a existé nombre de dimensions de roues dans l'histoire de la bicyclette. Deux dimensions ont cependant percé dans le monde entier : le 26'' (pouces) et le 28'' (pouces), le premier essentiellement pour les vélos de type VTT, le second pour les vélos de route (course, etc.). C'est schématique, mais jusqu'à nos jours, c'était plus ou moins l'idée. Les voyageurs à vélo vous le diront : où que vous soyez sur la planète, vous trouverez un mécano capable de vous réparer ou vous fournir une roue de 26'' ou de 28''. Les tailles des roues déterminent les dimensions du cadre et de la fourche ; sur votre VTT, vous ne pourriez pas mettre des roues de 28'', comme il sera mal aisé de mettre des roues de 26'' sur un vélo de course (pas impossible dans ce sens, mais il faudrait bricoler). Bref, vous l'avez compris, la roue détermine le cadre.

Or, nous apprend Vélo Vert (n°258, août 2013), le 26'' (l'une des dimensions les plus courantes, donc) est "mort" (du moins, c'est l'avis du champion suisse de VTT Thomas Frischknecht, représentant la marque Scott). Ces dernières années, les fabricants, américains en premier lieu, ont rivalisé d'ingéniosité marketing pour imposer un nouveau standard, le 29'' ; roues plus grandes permettant le franchissement plus aisé, mais surtout nouveaux cadres et nouvelles fourches. Mais, puisqu'au final, ces grandes roues n'ont apparemment pas contenté tout le monde, ces mêmes fabricants nous ont sorti... un deuxième standard, le 27.5'' : roues moins grandes que le 29'', en théorie devant mêler la réactivité des 26'' aux avantages des 29''... mais également nouvelles fourches et nouveaux cadres spécifiques! Une constante cependant : hormis quelques marchés de niche, tous les constructeurs s'accordent sur la volonté de faire disparaître la dimension de roues de 26''! Et ils l'ont déjà fait sur leur catalogue, pour la majorité d'entre eux. Ainsi, il risque de devenir de plus en plus difficile d'entretenir nos machines ayant le malheur d'être équipées de roues de 26'' (que le rédacteur en chef de Vélo Vert Sébastien Corradini qualifie dans son édito "d'objets désuets"). Un vélo, désuet? Une taille de roue mondialement répendue, morte, et avec elle les cadres qui vont avec?

Et bien oui, le vélo, c'est pour certain un objet de consommation, un business. Comme le vélo, par essence, n'est pas un objet jetable comme l'est devenu le téléphone portable ou l'ordinateur (pas d'électronique, pas de mécanisme horriblement compliqué), on a trouvé des moyens marketing pour qu'il le devienne. Par cette simple entrée en force des standards 29'' et 27.5'', les fabricants ont réussi à diversifier leurs offres, tout en n'apportant aucune réelle innovation (écarts dynamiques pas énorme entre les vélos 26'' et 27.5'', de l'aveu même de professionnels comme Thierry Vouilloz en page 81 de Vélo Vert). En revanche, corollaire de l'arrivée de ces deux dimensions de roues et de la disparition programmée des 26'', tous les anciens cadres (VTT, vélos de route en 26'', vélos électriques en 26''), vont devenir "obsolètes" et plus difficile à maintenir : plus de roues 26'' costaudes (on croise les doigts que les rayonneurs artisanaux maintiennent le plus longtemps possible leurs stocks), plus de fourches compatibles 26'', des cadres VTT en ordre de marche qu'on ne pourra plus réutiliser faute de matériel. La mode du jetable touche le vélo (VTT du moins) de plein fouet.

Théorie du complot... ou bon sens critique?

Je n'ai pas été surpris de voir les constructeurs user de pareils stratagèmes pour assurer leur survie ; avouons-le, la concurrence avec les constructeurs asiatiques a fait des ravages, notamment dans l'industrie européenne du vélo ; à titre d'information, d'ailleurs, il est à noter qu'à ma connaissance, on ne fabrique pas de cadre carbone en Europe (en plus, grande demandeuse de résine, la technologie n'est pas vraiment écolo). Je n'ai pas non plus été estomaqué de lire des "slogans publicitaires" sortir de la bouche de sportifs professionnels du VTT (Frischknecht est chez Scott, Vouilloz est chez Lapierre, etc. on l'aura compris). Ce qui m'a choqué (mais est-ce que cela aurait dû?) et fait rire de mépris après coup, c'est de lire des articles de gens, se prétendant être passionnés de vélo ET journalistes (la bonne blague), aussi complaisant face au marché et aussi ironique (voire insultant) envers les gens résistant à son marketing. Ainsi peut-on lire Sébastien Corradini, toujours dans son éditorial d'août 2013 : "Le <<26 est="" mort="">>, c'est Thomas Frischknecht qui le dit ; et on peut difficilement mettre en doute les convictions de cette légende du VTT [...]. A moins qu'il ne soit guidé par les sombres exigences du marketing de ce monde pervers. Ah! La théorie du complot...". Y-a-t-il besoin de prendre les "aficionados" (sic) du 26'' (c'est une secte?) pour des abrutis réactionnaires s'en remettant aux simples spéculations sans fondement, soit à la théorie du complot, alors que justement, tous les pros du circuit tournent parce qu'ils courent pour un team représentant, plus ou moins directement, une marque, et qu'il serait mal aisé de venir chicaner celui qui paie le salaire sur un enjeu aussi crucial financièrement que l'instauration d'une nouvelle dimension de roue? Est-ce vraiment si invraisemblable, si inconcevable, que le monde actuel du VTT, à l'instar d'autres disciplines sportives, ne soit pas à ce point gangrené par le fric et le poids des sponsors? Et est-ce que cette ultra-minorité - les coureurs pros, aussi "convaincus" et fins connaisseurs qu'ils puissent être -, n'a-t-elle pas un poids démesuré lorsque l’écrasante majorité - les sportifs amateurs, les vélo-taffeurs, les VTTistes du dimanche, etc. -, de plus en plus sensibles à l'écologisme, veulent aussi du matériel qui dure (et donc pas des standards aussi fondamentaux qui changent coup sur coup)? 

Tout le journal est ainsi parsemé de petites piques envers les prétendus adeptes du 26'' (comme le titre "Chêne ou hêtre?" en page 76, décrivant le choix du type de bois à utiliser pour le cercueil des 26'', on voit le niveau de ce torchon). Tant de puérilité, dans un journal à destination d'adultes me fait rire, mais m'agace en même temps : pour la presse mainstream, être réactionnaire, c'est s'opposer aux changements dictés par la loi du marché ; en revanche, lorsque l'on demande un changement dans les habitudes de consommation - par exemple dans le vélo, une production écologique et éthique - on est has been ou, comme c'est écrit, "aficionados" d'objets "désuets". Ainsi, Vélo Vert (ah, le greenwashing dans toute sa splendeur), glorifie le changement marketing ("Le 29 a ouvert les esprits et la voie...", Sebastien Corradini), mais passe sous silence l'ABSENCE de changement quant aux aspects écologiques, éthiques et sociaux liés intrinsèquement aux belles machines qui couvrent ses pages (cadres alu ou carbone fait en Asie, impacts environnementaux et sociaux, etc.). Faut pas fâcher les annonceurs... Pourtant, par exemple dans la presse spécialisée de photographie que je lis aussi, il arrive que certains ne s'en privent pas, de froisser les constructeurs...

Le vélo, pas toujours si écolo!

Bref! Pratiquer le vélo, c'est bon pour la santé et écologique (pourvu que l'on exige pas de lourdes infrastructures en montagne pour la pratique extrême) ; je n'ai pas tourné ma veste avec mon titre provocateur. Ce que je voulais souligner, c'est que le vélo, en tant qu'objet, peut être très loin de l'idéal écologique qu'on lui prête habituellement (énergie grise, délocalisations, marketing agressif et politique du court terme).

Mon expérience obtenue avec mon projet "Scapin Blato" de vélo "responsable" m'a appris que la traçabilité des pièces et composants était parfois aléatoire (pas facile de savoir d'où ils proviennent, et dans quelles conditions ils ont été produits). Le recours aux pièces de récupération, qu'on peut trouver facilement dans les fourrières (à Genève : http://www.fourriere-velo-ge.ch/) ou sur les sites d'enchères ou de petites annonces, permet en parti de se défaire du poids de la société de consommation, tout en se montant un vélo "haut de gamme" qu'on ne voit pas partout (comme mon Scapin). Mais l'arrivée de nouveaux standards de roues qui, dans l'immédiat, pourrait être une aubaine pour trouver du matériel compatible 26'', risque de rendre sur le long terme difficile l'entretien et la maintenance de nos VTT et autres vélos 26'' "désuets". Elle illustre aussi que même un moyen de locomotion et un sport a priori aussi écologique que le vélo n'échappe pas à "l'obsolescence", fusse-t-elle, par le truchement du marketing, artificiellement "programmée".

Soyez donc prudents, aussi bien si vous vous mettez au merveilleux sport qu'est le vélo, que si vous vous mettez au "vélotaf" : ne tombez pas dans le piège du marketing!!!

Sandro Loi




Biodiversité 10 - Aut Nilus, aut nihil

Un Conseiller d’État vaudois, visiblement mal informé sur les questions énergétiques...

Il y a quelques mois, j'écoutais le Conseiller d’État vaudois socialiste Pierre-Yves Maillard à la radio La Première de la RTS [1]. Durant l'interview, le sujet s'est tourné sur les questions d'énergie et la transition énergétique, dans le contexte de la sortie du nucléaire initiée par le gouvernement suisse. La position du Conseiller d’État m'a pour le moins "surpris". Il y avait un certain "dogmatisme" sur la forme, plus que sur le fond, qui m'a fait réfléchir sur la manière dont le débat général sur la transition énergétique était posé dans les médias helvètes. Pour résumer, il est tout simplement mal posé. Je suis un fervent défenseur des technologies "vertes" (éolien, solaire, géothermie, etc.). Mais poser l'argument technologique de manière centrale, comme le fait le ministre vaudois en balayant du revers de la main, "entre les lignes", les recours d'organisations écologistes, c'est poser le problème à l'envers! Avant de nous demander COMMENT produire de l'énergie, il faut avant tout nous demander POURQUOI! Est-ce que la progression annuelle de consommation d'énergie électrique - en gros de 2% en Suisse avant la crise financière de 2007 - se justifie-t-elle? Ne devrions-nous pas réduire d'abord notre consommation insatiable, de mettre ce point comme POINT CENTRAL du débat, avant de recourir à la seule technologie - technologie qui, aussi "verte" soit elle, n'en demande pas moins de ressources, comme les terres rares [2] et autres ressources minières?

C'est là, en repensant aux "barrages" et autres "rehaussements de hauteur de retenue", que je me suis rappelé un travail d'économie que j'avais réalisé durant mes études de maturité professionnelle, vers 1998-1999 je crois. Passionné par l'Afrique, je m'étais intéressé au Nil, ce grand fleuve qui a déchaîné les passions depuis l'Antiquité, véritable cordon de vie, humaine notamment, au réseau hydrographique extrêmement complexe. Le Nil est aussi, d'un point de vue "énergétique", un "cas d'école" qui, sans y voir de comparaison forte avec nos problèmes occidentaux ni même un plaidoyer contre l'énergie hydraulique, devrait appeler les décideurs à, au moins, une certaine réserve.

Le Nil, ce gigantesque "cas d'école"!

Le Nil, c'est un fleuve immense d'environ 6'700 kilomètres. Ses sources sont le Nil Blanc et le Nil Bleu. Le premier s'écoule depuis les contrées du Burundi, récoltant au passage les eaux de fonte des glaciers des Monts Rwenzori. Après avoir traversé, plus au Nord, le marais du Sudd - l'une des plus grandes zones humides du monde [3] - les eaux du Nil Blanc rencontrent celles du Nil Bleu à Khartoum au Soudan, venues du Lac Tana en Éthiopie. Le Nil poursuit ensuite sa course vers le Nord et l'Égypte, fort de cette contribution "éthiopienne" (le Nil Bleu apporte la majorité de l'eau du Nil, et presque la quasi-totalité des sédiments). Durant ce parcours, le fleuve traverse le plus grand désert de la planète - le Sahara - et forme un véritable cordon vert, berceau de nombreuses civilisations à travers les temps - les civilisations et cultures nilotiques, des fameux pharaons de l'Égypte antique jusqu'aux dynasties moins connues de l'Empire de Nubie (Soudan) et aux innombrables peuples habitant les environs immédiats du Nil. Du reste, une image de la région prise de l'espace montre à quel point le proverbe Aut Nilus, aut nihil - Ou le Nil, ou le néant - est de rigueur.


Le Nil. Photo : Nasa (Wikipedia)

Des milliers d'années de crues ont en effet permis d'apporter, sur les rives et les plaines du Nil, des limons fertiles, arrachés aux terres volcaniques du sud et des hauts-plateaux éthiopiens. Les régions traversées en aval, autrement stériles et désolées, ont pu ainsi être cultivées, et cet état de fait n'est sans doute pas étranger à la prospérité des différents peuples qui se sont succédés au cours des âges, tout au long du grand fleuve. Ainsi, la région du delta du Nil, tout au nord (en haut de l'image ci-dessus), est la plus fertile de toute l’Égypte, et un véritable grenier historique.

De nos jours pourtant, les agriculteurs égyptiens ont recours massivement à des engrais (par hectare de terres arables, l'Égypte était en 2009 l'un des dix plus gros consommateurs d'engrais au monde, juste après la Chine [4]). L'eau peine à irriguer les terres et une pénurie est annoncée dans les prochaines années [5]. Un comble, pourrait-on dire, lorsqu'on parle du Nil? Malheureusement, non.

Depuis des décennies, le cours du Nil a été modifié. Tout au long de son parcours, des barrages ont été édifiés. C'est que la région et son développement requièrent de l'électricité, mais aussi de plus en plus d'eau pour l'irrigation et un contrôle des crues, autrefois dramatiques (8 mètres de montée des eaux). L'apogée, si l'on peut dire, est survenue lors de la construction, en Égypte, du haut-barrage d'Assouan [6], lancée par le président Nasser et achevée en 1970, avec le concours de l'Union Soviétique. Véritable chef-d’œuvre d'ingénierie civile, ce barrage, avec ses 2.1 GW de puissance, alimente tout le pays, et a permis de limiter les dégâts de crues exceptionnelles ainsi que des sécheresses.

Cependant, comme souvent à l'époque, aucune étude d'impact environnemental n'a été faite. On connaît, bien sûr, le fantastique "déménagement" du temple d'Abou Simbel, sauvé des eaux du gigantesque lac de retenue, le lac Nasser - 6'200 km2, soit plus de 10 fois la superficie du Lac Léman. Mais de nombreux autres sites ont disparu, et des gens ont perdu leur maison. De plus, l'effet prédominant des barrages d'Assouan s'est ajouté, au fur et à mesure des constructions, aux autres ouvrages hydroélectriques le long de Nil, tant en Égypte qu'au Soudan ou en Éthiopie. Crues et sécheresses ont pu être atténuées, et l'agriculture industrielle a pu recevoir l'eau dont elle avait besoin. Mais les sédiments, autrefois apportés par le Nil, sont retenus au fond des lacs de barrages et n'arrivent plus dans les champs cultivés. Ce manque est tel qu'à la fin des années 70, l'équipe Cousteau [7] relevait que le delta du Nil, cette zone autrefois très fertile par l'apport de limon, cédait littéralement le pas à la Mer Méditerranée ; en quelques années, l'érosion et la progression de la mer à l'intérieur des terres étaient saisissantes - de plusieurs dizaines de mètres - et l'eau salée s'infiltrait déjà dans les cultures. Et la sur-irrigation des terres permise par les barrages (Assouan, Jebel Aulia), doublée de la forte évaporation se produisant dans les lacs de retenue, ont considérablement diminué le débit du Nil à son embouchure dans la mer.

Et aujourd'hui?

Cette "crise moderne" du Nil, si elle mélange bonnes intentions et stratégies industrielles ou géopolitiques, n'est donc pas nouvelle, et se poursuit de nos jours. Si les impacts sociaux, historiques, culturelles ou écologiques, ont pesé bien peu par le passé, force est de reconnaître que c'est toujours le cas aujourd'hui.

Certes, et il est très important de le souligner avec vigueur, les défis dans ce coin d'Afrique sont titanesques, et il n'est pas question de jouer au moralisateur, une position que nous ne pouvons décemment pas tenir. La croissance de la population dans ce gigantesque bassin hydrographique, incluant des pays à l'histoire douloureuse - Soudan, Soudan du Sud, Éthiopie, Égypte - et les défis qu'impose la (notre) mondialisation, obligent les gouvernements à étudier notamment des projets hydroélectriques, et les problèmes d'accès à l'eau potable, comme par exemple à Nyala au Darfour, sont dramatiques.

Ainsi, le Nil Bleu, le principal pourvoyeur d'eau et de sédiments du Nil, voit les projets gigantesques se succéder (nous ne parlerons pas ici du barrage éthiopien Gibe III, touchant lui le fleuve Omo, mais voici des liens sur ce projet controversé et révélateur [8] [9]). Ce n'est rien d'autre que le deuxième plus grand barrage d'Afrique qui contrariera le cours du Nil Bleu. Le barrage "Renaissance", auquel le groupe français Alstom va fournir les turbines, doit être livré en 2014 [10]. Mais il est source de discorde pour le Soudan et surtout l’Égypte, dont la pénurie prochaine en eau et ses propres précédents liés aux barrages égyptiens, poussent à craindre les effets supplémentaires induits par le gigantesque barrage éthiopien. Une crise géopolitique autour de l'eau - cette denrée plus rare et précieuse que certains semblent le croire (comme le dégoûtant Peter Brabeck de Nestlé [11]) - qui illustre toute la difficulté qu'un projet, a priori "écolo-compatible" aux yeux de nombreux décideurs politiques, peut entraîné s'il est déconnecté de toute réalité environnementale - humaine comprise.

Conclusion : et si nous commencions à nous poser les bonnes questions?

Nous vivons une époque pour le moins complexe. Dans le maelström médiatique qui caractérise nos sociétés, il n'est pas toujours facile de savoir "quoi penser" de telle ou telle prise de position. En Suisse existe une habitude - certains diraient une maladie populaire - se nommant la "recourite aiguë", consistant à s'opposer par des moyens démocratiques à tout projet qui pourrait déranger. Parfois, c'est justifié ; d'autres fois, ce n'est pas le cas. Dans les deux cas, cela agace, et des médias, ayant rejeter l'exercice du contre-pouvoir au profit de la poepolisation, ne jouent plus leur rôle de filtre, ne creuse plus les sujets.

Du coup, on a tendance à mettre tous les opposants dans "le même panier". Un raccourcis un peu rapide... En terme d'environnement, et ironie de l'Histoire contre l'avis du peuple, une certaine frange de la politique suisse a toujours voulu saper les droits de recours des organisations écologistes. A l'heure d'une trop tardive transition énergétique vers une sortie définitive du nucléaire, cette même frange, pourtant responsable de ce retard, a beau jeu de fustiger ces organisations lorsque celles-ci s'opposent ou émettent des réserves sur des projets hydroélectriques.

L'exemple du Nil nous montre que des projets, aussi bien intentionnés puissent-ils avoir été, ont eu des conséquences sur le long terme, non seulement sur la nature, mais aussi sur les habitants de cet immense réseau hydrographique, ainsi que sur les caisses de tous les états concernés, déjà passablement vides. Ainsi, en bons technophiles que nous sommes, mettre une foi quasi aveugle sur une énergie alternative, en la considérant automatiquement comme prioritaire sur l'environnement (dont l'humain en fait partie), et en ignorant, de manière tout aussi automatique, les avertissements des écologistes, c'est répéter, mais cette fois-ci sciemment, les erreurs du passé. Du reste, si l'exemple africain ne vous convainc pas, d'autres réalisations "modernes" de barrages hydroélectriques complètement catastrophiques en termes humains et écologiques abondent de part le monde : Belo Monte au Brésil, barrage des Trois Gorges en Chine, etc.

A Monsieur le Conseiller d’État socialiste vaudois Pierre-Yves Maillard, et à tout ceux qui fustigent sans arrêt les organisations écologistes de s'opposer à tout, prenez conscience, avant de juger, que votre postulat de départ (car ce n'est que cela, un postulat) est faux : on commence D'ABORD à réduire notre consommation d'énergie et on y met LA PRIORITÉ ABSOLUE, en se demandant si éclairer toujours plus de magasins, ouverts toujours plus longtemps, est juste et nécessaire, ou encore en se demandant si les prix dégressifs du kWh (plus on consomme, moins on paie) ne sont pas, après tout, qu'une sorte d'anachronisme délirant... Cette question posée, de manière fondamentale, on pourra ensuite passer à celle de "comment produire l'énergie". On ne va pas continuer à consommer comme avant, en prenant une TV écran plat de 2 mètres de diagonale tous les ans en se disant que c'est écolo puisque c'est à LED, et passer en même temps aux énergies renouvelables ; elles aussi, entre impact sur l'environnement ou besoins en ressources, ne sont pas "neutres"! Il serait donc bon de descendre, M. Maillard and co, de vos petits nuages verts d'illusion, et de commencer votre autocritique.

Tiens, en parlant d'autocritique, et si on commençait par réfléchir sur le dogme de la croissance infinie dans un monde fini, M. Maillard?


Sandro Loi

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Sources

[1] Emission Forum de la RTS, http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/forum/


[2] Les lanthanides ou terres rares, Quels impacts?, Ecoloinfo, CNRS, http://ecoinfo-oldweb.grenoble.cnrs.fr/spip.php?article172

[3] The Annotated Ramsar List : South Sudan, 26 juin 2013, http://www.ramsar.org/cda/fr/ramsar-documents-list-anno-south-sudan/main/ramsar/1-31-218%5E26221_4000_1__

[4] Consommation d’engrais (kilogrammes par hectare de terres arables), Banque mondiale, http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/AG.CON.FERT.ZS

[5] L'Egypte peut souffrir d’une pénurie d’eau d’ici 10 ans, Nile TV International, 8 décembre 2012, http://www.nileinternational.net/fr/full_story.php?ID=68799

[6] Haut-barrage d'Assouan, Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Haut_barrage_d%27Assouan

[7] Le Nil, Expédition Cousteau, 1979, http://fr.cousteau.org/expeditions/nile

[8] Barrage hydroélectrique de Gibe III : une "catastrophe" imminente en Éthiopie, Survival-International, Notre-Planète-Info 15 avril 2013, http://www.notre-planete.info/actualites/actu_3705_barrage_hydroelectrique_Ethiopie_autochtones.php


[9] Éthiopie : tensions et passions autour du barrage Gibe 3, Nefertiti Gaye, Les Afriques, http://www.lesafriques.com/energies/ethiopie-tensions-et-passions-autour-du-barrage-gibe-3.html?Itemid=308

[10] Éthiopie, des barrages titanesques, Pierre Boisselet, Jeune Afrique, 29 août 2012, http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/JA2692p024-039.xml20/ethiopie-energie-hydroelectricite-projetthiopie-des-barrages-titanesques.html

[11] Peter Brabeck, l’homme qui aimait l’eau..., Marguerite Contat Hickel, Présidente de l'Association SWISSAID Genève, SWISSAID, http://www.swissaid.ch/fr/Peter-Brabeck-homme-qui-aimait-eau




 



lundi 7 janvier 2013

L'épidémie du siècle

Près d'un enfant sur cinq serait touché, en Suisse, par des problèmes de sur-poids. Ce phénomène concerne près de 50 millions d'enfants dans le monde. Dans le 12h30 de la Première de la RTS, la doctoresse Nathalie Farpourt-Lambert, des Hôpitaux Universitaires de Genève, était invitée pour parler de ce qui est considéré comme une véritable épidémie (non infectieuse) [1].

La praticienne aborde les habituelles causes du sur-poids chez les jeunes : inactivité et manque d'exercice physique, mal-bouffe. Mais elle souligne aussi le lien entre cette épidémie et les crises économiques ; à chaque trouble de l'économie mondiale survient une augmentation des cas de sur-poids, notamment chez les enfants. Comme toujours, les plus faibles d’entre nous restent les plus exposés aux errances de notre société si peu encline à l'autocritique.

Hasard de l'actualité, un parallèle troublant - et affligeant - peut d'ailleurs se faire entre les questions de santé publique (en l’occurrence liées à l'obésité des plus jeunes) et le monde de la finance ; d'un côté, peu de lois et d'exigence de transparence existent pour contraindre les industriels à ne plus empoisonner impunément nos enfants et à interdire la publicité de produits alimentaires visant les plus jeunes, et de l'autre, les règles pour contrôler une finance bancaire délirante sont sans cesse amoindries et assouplies [2] [3]. Deux facettes d'une même tendance, celle propre à une société décadente qui, pour fuir ses responsabilités, se cache derrière ses dogmes, et avance pour se faire les principes, aussi ridicules que désuets, du "laisser-faire" ou de la "main invisible". Et tant pis si, au passage, nos enfants en font les frais.

Car, la litanie est toujours la même, que ce soit pour les banques et la finance ou pour l'industrie agro-alimentaire : non intervention de l’État démocratique, concurrence libre et pouvoir total aux marchés. Dès lors, pour la question de l'alimentation, le vide juridique, que la Dr. Farpourt-Lambert affirme, à juste titre, comme étant le corollaire aux gigantesques intérêts économiques en jeu, n'est pas prêt de se combler avec des règles contraignantes et efficaces. A quand une interdiction pure et simple de la publicité de la "mal-bouffe", qui cible fortement les enfants? A quand des règles d’étiquetage encore plus strictes, et des contraintes plus fortes auprès des distributeurs et fabricants - il y aurait, en Suisse, pourtant de quoi faire, entre le duopole de la distribution Coop-Migros, ou des géants de l'agro-business comme Nestlé? A quand une réforme en profondeur du commerce des denrées alimentaires, pour qu'il s'axe d'avantage sur la qualité, la responsabilité sociale et écologique, et la santé publique, que sur la seule quête du profit?

La réponse est évidente, et me met dans une profonde colère : ce ne sera pas de si tôt, surtout avec les politiques et l'idéologie en place. Et, alors que les parents continueront à trimer pour financer l'oligarchie dominante, entre privatisations, loyers astronomiques et temps de travail en hausse, leurs enfants vont continuer à mal s'alimenter. La crise économique n'est d'ailleurs pas prête de s'estomper, tant les requins de la finance se voient régulièrement confortés dans leurs actions. Partant, le désarroi de la population va perdurer, touchant aussi les enfants et les jeunes. Un terreau propice à l'augmentation des cas d'obésité, comme le relève la Dr Farpourt-Lambert.

La spécialiste insiste : le traitement des problèmes de poids chez l'enfant doit se prendre le plus tôt possible. Il est complexe, et va plus loin que "manger cinq fruits et légumes par jour"... Pris trop tard, il est long à résoudre, difficile et coûteux. En ces temps de recherche maladive (et dogmatique) aux économies à tout va, il serait temps de faire de vraies économies, et d'attaquer le problème à la racine! Ce serait plus efficace...

Les exemples de déviances de notre société sont légions. Les banques sont d'inépuisables sources de scandales. Mais les conséquences nous sont parfois trop éloignées pour qu'elles nous touchent. La hausse des niveaux des océans ou la désertification des sols, cela ne nous concerne pas, c'est sûr (tout au plus en période de canicule estivale)! Qui se soucient, de plus, des malheurs de la Grèce (il paraît, d'après nos "penseurs", victime de l'État-providence...), ou, plus loin encore, des craintes des paysans du Tiers-monde face aux OGM ou des miniers africains travaillant pour un grand groupe suisse des matières premières? Mais, la crise ayant de multiples facettes, nous faut-il attendre qu'elle touche nos enfants pour qu'enfin nous réagissions? Le sur-poids des enfants, avec les risques qu'il entraîne plus tard, est pourtant un signe flagrant que la Suisse n'est pas un îlot isolé, protégé des tumultes du monde... de surcroît lorsqu'elle y contribue!

Dès lors, il nous faut prendre nos responsabilités, de parents mais aussi de citoyens! Le "laisser-faire" commence à marquer au fer rouge nos générations futures. Il serait temps de mettre notre fierté et nos certitudes de côté, et de voir si la santé de nos enfants, en l'occurrence, vaut moins que le dogme libéral, cher à nos politiciens.

Pour cela, rien de tel que l'information et la connaissance du problème. Ainsi, pour en savoir plus sur l'épidémie de sur-poids qui touche les enfants, les causes et les moyens à mettre en place, je ne peux donc que vous conseiller, si vous êtes près de Genève le mercredi 9 janvier 2013, de vous rendre à la conférence scientifique organisée par l'Université de Genève et Culture-et-Rencontre à ce sujet [4] :

Obésité de l'enfant : que faire pour lutter contre l'épidémie ?
Mercredi 9 janvier 2013 | 20hAula du collège de Saussure
Vieux chemin d'Onex 9 - 1213 Petit-Lancy
Entrée libre

Parce que les enfants valent mieux que nos dogmes de société! 

Sandro

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Sources et liens :


[2] Les banques saluent l'assouplissement des règles prudentielles de Bâle III, Le Monde et AFP, 6 janvier 2013, http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/01/06/le-comite-de-bale-assouplit-les-regles-de-liquidite-applicables-aux-banques_1813391_3234.html

[3] Réserves bancaires, le Comité de Bâle assouplit son agenda, La Première, RTS, 7 janvier 2013, http://www.rts.ch/audio/la-1ere/programmes/le-12h30/4542858-reserves-bancaires-le-comite-de-bale-assouplit-son-agenda-07-01-2013.html

[4] Obésité de l'enfant : que faire pour lutter contre l'épidémie ?, conférences «Les grands soirs», Hôpitaux Universitaires de Genève, http://www.hug-ge.ch/evenement/obesite-de-lenfant-que-faire-pour-lutter-contre