La France, une politique bien compliquée…
Le monde politique, en général, est un univers parfois consternant et, malheureusement, aucun pays n’est épargné par ce constat (italien, je sais de quoi je parle). De plus, les systèmes sont si divergents qu’il peut être assez difficile de suivre les événements politiques d’un pays à un autre, ce qui peut ajouter à la consternation. Du reste, pour l’habitant de la Suisse que je suis, habitué au système des initiatives, référendums populaires et aux méthodes électorales en cours dans la Confédération, la campagne présidentielle française à de quoi décontenancer. Mais, l’écologiste que je suis ne pouvait pas ignorer les événements politiques chez notre grand voisin, notamment la récente désignation d’Eva Joly aux primaires d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), en vue des élections présidentielles de 2012.
Je ne reviendrai pas sur la défaite de Nicolas Hulot, l’autre prétendant principal. Ce qui m’intéresse plus particulièrement, c’est le lien entre l’écologisme et la société française en cette période « post-primaires » écologistes. Et je dois dire que l’actualité du 14 juillet dernier est tristement révélatrice…
L’idée qui a fait scandale : démilitariser le défilé du 14 juillet !
Eva Joly, ancienne juge d’instruction, a mené sa campagne sur la notion du « changement ». Ouah, le scoop, me direz-vous, tous les politiciens « prônent » le changement. Sauf que Madame Joly n’est pas à proprement parler issue de la politique. Au long de sa carrière de juge, elle s’est souvent attaquée à ce système politique (affaire Elf, affaire des frégates taïwanaises), en montrant une droiture et une indépendance d’esprit malheureusement trop rare en politique. Elle transpose donc son franc parlé (j’avoue n’avoir pas toujours partagé ce franc parlé dans la campagne des primaires contre Nicolas Hulot mais bon…) et son indépendance dans la campagne présidentielle. Elle compte donc s’attaquer « politiquement », sans concession, à la corruption et aux divers liens d’intérêts qui sclérosent le monde politique français, et n’a pas peur de s’attaquer aux dogmes de la Vème République.
Et dans cette droite ligne, ce 14 juillet, reprenant une idée de longue date des écologistes français, Madame Joly a émis le souhait de « modifier » le défilé du 14 juillet, une parade trop militaire et guerrière qui ne colle pas à l’image d’une France démocratique et pacifique, selon elle. L’écologiste franco-norvégienne, député européenne EELV et candidate à la présidentielle pour 2012, souhaiterait que la société civile y soit plus mise en avant, notamment avec les enfants, les écoles, les associations et les divers acteurs civils qui font la France d’aujourd’hui. Ce n’était pas un coup politique, et cela n’avait rien à voir avec la présidentielle… Mais médiatiquement, grand mal lui en a pris…
Des réactions surprenantes, en nombre et en virulence, où transpirent la déraison et des idées nauséabondes...
Car les réactions courroucées n’ont pas manquées. La presse en ligne et les forums sur Internet débordent de commentaires – politiques ou d’anonymes – allant du propos scandalisé – manque de respect face aux militaires tombés pour la Patrie – jusqu’aux remarques sur la double nationalité de Madame Joly – la Norvégienne, française par alliance, ne connaîtrait pas, de ce fait, les traditions hexagonales – frisant parfois la xénophobie primaire. Ecœurant !
Mais passons sur les commentaires des forums – chacun sait que derrière un écran, il est facile de se lâcher et de dire n’importe quoi. Mais il est choquant, et (presque) plus écœurant encore, de retrouver, en copie, des propos de mêmes acabits dans la bouche d’élu(e)s de tout bord. Si les mots aux relents xénophobes du Front National ne sont pas surprenants, l’UMP de Nicolas Sarkosy montre par cette occasion qu’il marche bien, sans complexe, sur les platebandes des lepenistes : ainsi le député Lionel Tardy lançait sur Twitter, à l’adresse d’Eva Joly, qu’il est temps pour elle de retourner en Norvège. Couplet largement repris ensuite par le parti du président Nicolas Sarkosy, le premier ministre Fillion en tête. Woao, quel style républicain, c’est de grande classe, la référence aux origines nationales dans une France multiculturelle ! Quelle hypocrisie ! Digne du temps de l’affaire Dreyfus, comme le relève Melissa Bounoua sur le site du Nouvel Observateur.
D’une manière générale, ces réactions de la classe politique française, de gauche comme de droite, sont symptomatiques d’une société figée, fossilisée, ayant une peur viscérale du changement même quand celui-ci est positif au plus grand nombre (protection de la nature, pacifisme, mise en avant de la société civile, etc.). Changement positif que pourtant, si l’on se dit sensible à l’écologie, on se devrait de défendre.
L’écologisme, et tout ce qu’il implique, reste bien confus aux yeux de nos « élites ». Il faut se rappeler que les scientifiques, qui ont, depuis des lustres, travaillé sur l’écologie, ont aussi depuis plusieurs décennies déjà intégré l’espèce humaine dans leurs raisonnements. L’écologisme, pendant sociétal et idéologique de l’écologie, se doit donc de comprendre l’humain et les relations entre les populations dans ses fondements les plus forts. De ce fait, une vision humaniste et pacifiste de la société est parfaitement intrinsèque à tout projet écologiste de qualité, quelque soit le nom ou l’appellation que l’on y accole. Soustraire cela à l’objet « écologisme » (comme essayer bêtement de le concilier avec le capitalisme que nous connaissons aujourd’hui), c’est le vider de son sens : la biosphère comprend l’ensemble du vivant, et on ne peut dès lors faire un tri dans la notion du respect de ce même vivant.
Ainsi, les références militaristes, tout comme celles des nationalités, doivent être confrontées à la question suivante : comment pourrions respecter l’ensemble des formes de vie habitant notre planète, ainsi que les générations futures, si nous n’arrivons pas à respecter nos semblables, que ce soit des personnes issues d’autres classes sociales – comme celles dans le besoin, défavorisées et d’habitude complètement reniées – ou provenant d’autres pays ?
Mais que vient donc faire le défilé du 14 juillet dans cette question ? Et bien, on ne peut pas dire que l’armée s’inscrive dans la notion du respect de la Vie. Un fusil mitrailleur est fait pour tuer, non ? Caractéristique partagée par de nombreux pays dictatoriaux (Chine, Corée du Nord, etc.), les défilés militaires – honorant donc, par définition, l’armée – s’inscrivent certes dans une tradition, mais sont aussi, ne nous le cachons pas, l’occasion de « montrer ses muscles ». D’ailleurs, l’origine du défilé du 14 juillet est bien là : à partir de 1881, le député Benjamin Raspail transforma la fête de la Fédération (Fête de la Réconciliation et de l’Unité), fête populaire, en une fête militaire, pour montrer au peuple français mais aussi aux pays voisins la « force militaire » de la France (on est une dizaine d’année après la défaite napoléonienne contre la Prusse, en 1870).
Les défilés militaires représentent ainsi des « vitrines commerciales » pour l’industrie militaire, où le « nec plus ultra » de la technologie nationale est exhibé, d’abord au peuple (fierté nationale et soutien populaire au système politique), mais aussi au reste du monde. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’on considère la chose du point de vue des médias. En France, le groupe Lagardère, actionnaire du groupe EADS (aéronautique civil et militaire) contrôle également des pans entiers des médias français (Europe 1, Journal du Dimanche, Naville, etc.). Le groupe Dassault, quant à lui, dont la célèbre filiale aéronautique fabrique les avions de combat Mirages et autres Rafales, possède également le journal Le Figaro. Et la mainmise du président Sarkosy sur les principales chaînes radios et télévisées sont bien connues. On soigne donc bien ici des aspects comm’.
Ainsi, si le défilé du 14 juillet ne se traduisait que par une tradition innocente, en mémoire des combattants tombés pour la liberté depuis la Révolution, on a de la peine à voir la nécessité de faire tout le tapage médiatique habituellement fait autour de cet événement. La mémoire aux anciens combattants serait bien mieux entretenue par le biais de l’enseignement donné auprès des jeunes générations plutôt qu’avec un défilé militaire, n’en déplaise à Ségolène Royale et au premier secrétaire du PS français Harlem Desir. Il y a bien « autre chose » dans cette coutume militaire, et cette « chose » n’est pas aussi innocente qu’une simple et saine tradition de commémoration.
Les réactions aux propos de Madame Joly sont révélatrices d’une triste réalité : la France politique n’est pas prête au changement.
De nombreux pays européens ne procèdent pas ou plus aux défilés militaires pour fêter la nation. Même en Suisse, ces défilés n’existent pas, ceci alors que le pays est de tradition militaire forte – de part la constitution fédérale, on y pratique l’armée de milice, et jusqu’à peu, tout citoyen se devait de se présenter sous les drapeaux.
Si la mémoire des anciens combattants et des victimes de la guerre, de toute époque, doit être commémorée, l’emploi de cette méthode archaïque qu’est la parade militaire me semble assez hypocrite et incomparablement moins efficace que l’enseignement de l’histoire aux jeunes. C’est sûr, sur ce dernier point, il semble plus facile pour l’Elysée de débloquer des fonds pour la Défense Nationale que pour l’Education Nationale.
Si rendre hommage aux militaires tombés au champ d’honneur est une chose importante, penser aux milliers d’ouvriers, de fonctionnaires, de petites gens qui ont fait et font encore la France a aussi tout son sens : que doit-on dire des mineurs qui perdent la vie dans les chantiers autoroutiers et ferroviaires, des ouvriers anonymes malades ou morts, notamment pour des grands projets comme celui du réacteur nucléaire EPR de Flamanville, des pompiers qui sauvent des gens chaque jour, les enseignants qui craquent face aux violences physiques et verbales endurées quotidiennement sur fond de manques de moyens chroniques… Eux aussi auraient besoin qu’on leur rende hommage, pourquoi pas le jour de la fête nationale !
Quant aux respects des traditions… Les traditions changent, et celle du 14 juillet aussi : elle s’est déjà transformée en 1881 sous l’impulsion du député Raspail, ne l’oublions pas. En outre, dans un pays colonialiste, le rappel de députés de tout bord sur le respect des tradition me laisse songeur. On demandera aux habitants des Départements d’Outre-Mer, notamment en Polynésie, ce qu’ils pensent du respect des traditions par l’Etat français. Il y a traditions et traditions apparemment, mais c’est sûrement un autre débat…
En demandant une modification du défilé du 14 juillet – et non sa suppression comme le suggèrent certains médias français, on se demande bien pourquoi – en y intégrant la société civile – enfants, associations, etc. –, Eva Joly, que je ne défendais jusque là pas particulièrement faute de la connaître suffisamment, me semble ici montrer un courage politique presque jamais vu en France, digne de tout représentant du « vrai changement », ce fameux changement écologiste et social que le peuple français appelle pourtant de ces vœux. Un tel courage n’est pas de trop lorsque, d’une part, il faudra passer aux actes dans la protection de l’environnement (fini les Grenelles de l’Environnement de pacotille), mais aussi lorsqu’il faudra réformer la société – française en l’occurrence – pour la recentrer sur l’humain, non plus sur l’unique capital et la seule économie.
Les réponses irrationnelles – et entretenues par le pouvoir en place – suscitées par cette modeste proposition de la candidate d’EELV à la présidentielle montrent que la France politique et médiatique – et par le fait même l’ensemble de la société – ne semblent pas prêtes au changement, soit à la modification du capitalisme comme le dit Hervé Kempf. C’est bien dommage, le pays des Lumières aurait pu, une nouvelle fois, montrer la voie. Le conservatisme et la xénophobie en ont fait autrement. Une simple idée, pas nouvelle et depuis longtemps portée par les Verts en France, tourne aux délires sur l’identité nationale et sur le « 100% français » comme unique valeur permettant l’accès au gouvernement et, surtout, la prise de position publique.
J’espère ainsi que, à l’instar des primaires d’EELV, Eva Joly fera mentir les sondages et marquera au moins de sa griffe la campagne des présidentielles françaises, qui risquent fort, comme d’habitude, de se solder par le status quo institutionnel.
Mais qu’on ne prenne pas mes critiques contre la classe politique française comme des critiques faciles d’un habitant de Suisse. Chez nous aussi, le virage du changement de société n’est pas encore prêt à être franchi. Nos « indignés », à la différence de la France et de l’Espagne, sont encore discrets, étouffés sans doute par le poids de l’économie de marché et de la folie financière dont la Suisse – pétrole, banques – est une plaque tournante incontournable. Et nous avons aussi nos conservateurs, militaristes de surcroit, refusant toute réforme sur l’armement (comme l’initiative populaire "Pour la protection face à la violence des armes" en 2010), l’arme militaire de service tranquillement placée dans l’armoire de la chambre... Comme je l’ai dit, aucun pays n’échappe aux politiques et aux idéologies consternantes !
Et en tant que pacifiste, j’honore ici la mémoire de mon grand-père maternel (1921-1995), résistant dans la Belgique occupée et militaire de carrière, qui me disait, en toute connaissance de cause : « où l’armée commence, la raison s’arrête ».
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