Ma petite fille est une fana de Barbie. Comme peut-être beaucoup de parents, qui plus est pour leur premier enfant, je n’y ai au départ pas vu d’inconvénients. Quand je vois les jouets proposées aux petits garçons, assez laids et plutôt « guerrier » à mon goût, un peu de douceur et de « légèreté » ne me paraissait pas une mauvaise chose. Il est vrai que je suis parfois un peu naïf dans ce domaine (j’en suis resté aux jeux de société de mon enfance, lego, etc.) et les yeux brillants de mon poussin ont de quoi me désarmer. Mea culpa !
Mais une fois au contact du monde féérique et « tout en rose » de Barbie, une chose m’a frappé. Pardonnez-moi encore ma naïveté passée et mon ignorance dans ce domaine, mais je ne m’attendais pas à voir une image de la femme aussi dégradante (c’est flagrant dans certains films). D’où mon malaise, vacillant entre le souhait de faire plaisir à ma fille – en pleine période « princesses », elle qui n’a que cinq ans – et mes convictions, critiques envers la société de consommation et les préjugés sociaux qu’elle distille insidieusement.
En Suisse, ce mardi 14 juin, s’est tenue une grève des femmes, grève de revendication pour plus d’égalité salariale avec les hommes. Une saine revendication, malheureusement d’actualité, mais qui s’attaque à un empire dogmatique – l’image de la femme dans notre société – qui, bien au-delà du retard idéologique chronique des politiques et de l’économie face à la population (maintenue dans l’illusion à grand renfort de publicité), trouve aussi son encrage même au niveau des jouets d’enfants, Barbie en tête. Et elle n’est pas la seule, loin de là…
Le cas Barbie est symptomatique des incohérences du monde dans lequel nous vivons, mais surtout de la complexité incroyable des réseaux financiers, cartels et autres chaînes de production qui forment l’armature du marché capitaliste que nous côtoyons – et entretenons – tous les jours. Nous sommes que trop rarement conscients qu’un simple achat, innocent et plein de bonnes intentions, peut entrainer des conséquences fâcheuses, l’effet de masse aidant.
Car en plus de l’image négative d’une femme un peu « nunuche », le business Barbie a encore d’autres corollaires négatifs, monnaies courantes dans le monde du jouet : un impact social et un impact écologique parfois désastreux. Décidément, on en revient toujours aux mêmes problèmes…
Barbie et l’écologie
Récemment, Greenpeace a lancé une campagne choc, mettant en scène Barbie se faisant « jeter » par son compagnon Ken. La raison ? Ken ne veut pas d’une copine responsable de la déforestation des régions tropicales d’Indonésie.
Selon l’organisation écologiste, Mattel s’approvisionnerait en bois d’origines tropicales auprès de APP, filiale du géant Sinar Mas, déjà épinglé pour la déforestation liée au commerce de l’huile de palme pour le compte, notamment, de Nestlé. Une campagne similaire avait fait plier le géant suisse de l’agroalimentaire, qui a cessé de s’approvisionner auprès de Sinar Mas (mais chez qui s’approvisionne Nestlé maintenant, car ils recourent toujours à cette cochonnerie d’huile de palme dans certains de leurs produits ?).
C’est dans le style de Greenpeace. Mais cette campagne a rencontré un franc succès sur Internet. La réponse de Mattel n’a pas tardé. Après une phase de déni, et malgré les gesticulations d’APP, Mattel a finalement mis en place une enquête et, surtout, cessé ses approvisionnements durant les 6 mois que devront nécessiter ces investigations. Comme on dit dans le cinéma : « To be continued… »
Pour rappel, des pans entiers de forêts tropicales humides sont sacrifiés chaque année en Asie du Sud Est pour le compte de l’industrie de la pâte à papier et des cultures intensives de l’huile de palme. Les conséquences des déforestations sont déjà connues : perte de biodiversité, destruction des habitats conduisant à l’extinction d’espèces diverses. Mais il y a aussi les risques de disparition des peuples indigènes (comme à Sumatra), la désertification ou l’exposition majeure aux catastrophes naturelles. Ce dernier point a pourtant été illustré de manière dramatique lors des tempêtes en série qui ont dévasté Haïti durant l'année 2004 (l’absence quasi complète de forêt a exposé les terrains aux intempéries, causant des inondations catastrophiques), ou encore les effets du tsunami du 26 décembre 2004, qui ont touché l’Indonésie, la Thaïlande et les zones privées des mangroves protectrices, jusqu’à la lointaine Somalie, alors que les îles Nicobar et Andaman, pourtant très proches de l’épicentre, ont été plus épargnées grâce à leur manteau forestier maintenu.
Reste donc à voir ce que va donner la campagne de Greenpeace contre Mattel. Cependant, cela montre déjà qu’une fois de plus, la pression des populations et de simples ONG peut encore influencer les choses, même si la « lutte » n’est jamais terminée. Du travail reste à faire, mais la diligence avec laquelle des géants industriels comme Mattel se plient de plus en plus aux exigences de transparence et d’éthique, demandées par des groupements citoyens, prouve que leurs efforts ne sont pas toujours vains. Cela rappelle aussi aux populations du monde que la déforestation, loin d’être concentré en quelques régions du monde, est un problème grave qui continu de s’étendre. Cette prise de conscience et ces changements de politique industrielle sont encourageants… Mais de là à dire que l’on est proche de l’aboutissement vers une société plus humaine et responsable…
L’éducation, une arme décisive
La culpabilité est souvent vue comme quelque chose de néfaste dans les causes que certains défendent. Si je peux comprendre qu’elle puisse être paralysante, et qu’en termes de défense de l’environnement, il faut aller au-delà, elle a aussi la vertu, trop souvent masquée, de secouer durablement les consciences et de « faire bouger ». C’est en tout cas mon cas. Je ressens cette culpabilité lorsque je constate avoir exposé ma fille de plein fouet dans la société de consommation : Coca-Cola, Barbie, fièvre acheteuse…
Ce sentiment, qui ébranle les certitudes et doit pousser, au final, à la remise en question, est, à mon avis, un mal nécessaire, au moins dans certains cas, au moins au début. Du reste, en ce qui me concerne, il est l’occasion d’échanges entre ma fille et moi. Des discussions s’engagent, sur l’environnement, les déchets, la vie des enfants dans le monde, d’où proviennent les jouets qu’elle possède, qu’implique leur fabrication ou encore d’autres sujets comme l’image de la femme. A cinq ans, ma petite puce ne comprend pas tout. Ce n’est d’ailleurs pas le but, et loin de moi l’idée d’en faire un « singe savant », sachant les dégâts – risque d’exclusion sociale – que cela peut occasionner. Mais j’espère qu’elle acquerra l’habitude de l’écoute et du dialogue, et qu’à force, les notions de base – l’esprit critique et la réflexion – prendront corps dans son esprit. Avec douceur et patience, je ferai tout pour cela en tous les cas !
Et les Barbie que je lui ai déjà achetées ne deviendront plus aux yeux de ma petite fille que des poupées comme les autres, un jeu innocent sans risque collatéral.
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