Le populisme genevois se dévoile, mais les gens ne s’en rendent pas compte ?
Les récentes élections communales genevoises ont montrées une percée spectaculaire et inquiétante de l’extrême-droite. Si quelques points positifs sont à constater – maintien, voire légère progression, des Verts et des Socialistes, bonne tenue d’ « Ensemble à Gauche » en Ville de Genève, effritement général des partis tenant de l’idéologie dominante et faussement qualifiés de « centre-droit » – force est de constater que, surtout du point de vue médiatique, la percée du MCG fait sensation.
Ma colère et mon incompréhension, que j’exprimais lors d’un précédent billet, est bien sûr toujours présente. Le parti d’Eric Stauffer a cumulé, et cumule encore, nombres d’incohérences pourtant flagrantes, mais qui semblent être invisibles à une part sans cesse croissante de la population votante. Est-ce que l’alliance MCG-UDC pour les élections aux conseils administratifs, dernière incohérence en date, rendra plus visible aux électeurs du parti staufferien le fait que celui-ci est bien à droite et qu’il ment lorsqu’il s’affiche « ni de gauche, ni de droite » ? J’en arrive malheureusement à en douter.
Pourquoi ? Et bien parce que, dans toute démocratie, il existe non pas deux pouvoirs – le gouvernement et le peuple – mais trois : le contre-pouvoir formé par la presse. Et ce contre-pouvoir, même en Suisse, commence à fléchir sur l’autel du sensationnel, faisant, entre autre, le jeu des populistes. Les preuves sont très nombreuses, et ce fléchissement de la rigueur de nos journaux et médias est en parfaite corrélation avec la montée de partis comme le brunâtre MCG.
Loin de moi l’idée de dire que tel ou tel journal est mieux qu’un autre (sauf le triste cas GHI…). Globalement, tous sont plus ou moins touchés. Ce que je souhaite, c’est que ce modeste billet puisse éveiller un semblant de sens critique, à un moment où propagandes économico-guerrières et populisme crasseux inondent nos quotidiens, ici comme ailleurs.
Médias suisses, qualité en baisse
En août 2010, une dizaine de chercheurs de l’Université de Zürich, dont le sociologue Kurt Imhof, présentaient le résultat de leurs études. Ces chercheurs regrettent l’effet des gratuits sur la presse à abonnement, incitant cette dernière à se « boulvardiser » ; une place de plus en plus grande est faite à la publicité, aux faits divers ou à la presse poeple, au détriment d’une information détaillée et approfondie. Et bien souvent, les nouvelles internationales ne se composent plus que de dépêches d’agences.
La « culture du gratuit » a modifié quelque peu les médias traditionnels, contraints à riposter contre cette concurrence. Résultat : les grands thèmes de fond pâtissent souvent d’une ligne éditoriale toujours plus axée dans la mise en avant de faits divers, si possible à « scandale » (quand bien même cela puisse être au final un pétard mouillé en regard des tragédies qui zèbrent notre monde d’aujourd’hui). Ces thèmes de fond, importants pour la société – cela a été les votations sur les minarets en Suisse, ou encore le thème récurrent de la sécurité dans nos villes, les crises mondiales – ne sont plus traités que de manière séquentielle, selon l’étude. De ce fait, ce traitement ne comporterait plus les approfondissements suffisants et la mise en perspective nécessaire pour que ces thèmes puissent donner une idée claire aux lecteurs.
Bien sûr, l’étude a subi des critiques. Le président du conseil d’administration du groupe de presse Tamedia, Pietro Supino, s’était déjà opposé aux conclusions de cette étude zurichoise dans les lignes du Temps. D’autres commentaires suggèrent, non sans raison certainement, que le « journalisme glorieux » que regrettent les auteurs de l’étude n’a probablement jamais existé : les critiques, insultes et le sensationnalisme existaient déjà bien avant le début du 20ème siècle. Il n’empêche, lorsque l’on constate qu’en Suisse, comme en France ou en Italie, les médias se regroupent de plus en plus au sein de grands groupes, parfois proches du pouvoir, il est raisonnable de remettre en question l’indépendance idéologique de cette presse, qui n’a plus la possibilité, pour raison économique, de pousser une investigation le plus loin possible. Quand bien même l’étude serait allée un peu loin dans ces conclusions, le rôle de contre pouvoir attaché à la presse suisse est bel-et-bien remis en question. Et les conséquences sont là : la preuve avec le microcosme politico-médiatique genevois...
Le GHI : gratuit genevois et porte voie du populisme de tout bord
Dans le monde du gratuit, il existe une particularité bien genevoise se nommant le GHI (Genève Home Information). Pour ceux qui ne connaissent pas cette feuille de chou, il était autrefois essentiellement un support pour petites annonces. Malheureusement, grassement aidé par la publicité qui compose presque intégralement l’ensemble de ses pages, le GHI, gratuitement livré chez tous les Genevois, est devenu de facto le journal le plus lu à Genève. Facile, lorsque, si l’on ne désire pas recevoir ce journal, la seule et unique façon est de se rendre aux bureaux du GHI pour demander un petit autocollant ; mettre « GHI NON » sur votre boîte aux lettres ne vous dispensera pas de recevoir cette incohérence écologique qu’on appelle journal gratuit.
Bref, passons. Il y a une récurrence dans le GHI, que je ne pouvais que constater lorsque je le recevais chez moi : la thématique de l’Etat perpétuellement fautif, surtout si le département est dirigé par un politicien de gauche. Le GHI se fait volontiers le porte parole des gens qui se plaignent sans arrêt (sport cantonal à Genève), et surtout lorsqu’ils s’en prennent à l’école et au mauvais niveau des élèves, aux travaux qui perturbent la mobilité et la vie économique des commerçants, à l’insécurité en ville, aux amendes infligées aux automobilistes, aux propriétaires de villas menacés par la construction de logement, etc. Bref, quand on peut égratigner l’Etat, à tord ou à raison, le GHI en fait ses gros titres.
Mais une simple lecture de ce torchon montre, à l’instar de bon nombre de gratuits, bien souvent la vacuité des propos tenus, même si le problème de départ peut être fondé :
l’école (genevoise) est seule responsable du niveau des élèves, mais quid du désengagement (volontaire ou bien souvent involontaire) des parents du fait du train de vie très orienté « monde économique » ;
le développement important des transports publics à Genève, initié par le Vert Robert Cramer, est, par ce fait-même, une source intarissable de critiques et de termes haut en couleur sur les écologistes ; en revanche, c’est le silence radio sur le dogme du « tout-voiture » où l’on privilégie son confort personnel à la bonne fluidité des véhicules professionnels, et un vide abyssal sur l’énorme responsabilité des organes de promotion économique du Canton qui, au-lieu de dépenser plusieurs millions à attirer de nouvelles entreprises, devraient investir ces mêmes millions dans le maintien et la protection du tissu économique existant, surtout par ces temps de chantiers fleuves à Genève ;
l’insécurité est souvent alimentée par des faits divers, ceci malgré le fait que la statistique montre que les incivilités sont en baisse ; or, la prostitution est en augmentation, mais là, la population qui en profite n’étant pas la même, on est plus discret la dessus ;
ah, les amendes… où, comme pour l’UDC, comment exiger en même temps le respect des lois d’un côté (les étrangers, etc.) et faire preuve d’une touchante mansuétude de l’autre (code de la route, respect des autres) – électoralisme côté politique, marketing côté « presse », deux faces d’une même médaille ;
le cri du cœur des propriétaires de villas figurait sur une manchette du GHI ses derniers jours, mais même si le problème est très complexe et que l’on parle quand même de gens, de familles, et de maisons (au sens du « chez-soi »), force est de reconnaître que, loin de toute idéologie crypto-marxiste poussiéreuse, le propriétariat genevois et le lobby immobilier, qui se portent bien, n’aident pas la création de logements à prix décents et que, au moins, une densification de zones villas insérées dans un contexte urbain n’est pas une mauvaise chose (l’exemple des Vergers, à Meyrin, est révélateur du rôle des propriétaires, où le prix du m2 est passé de 100CHF à plus de 500CHF, avant qu’une médiation de l’Etat ne porte ce prix aux alentours de 450CHF).
Le GHI, par son sempiternel rejet des responsabilités des problèmes que connaît Genève sur le seul Etat est aussi une démonstration à peine caricaturée du paradoxe de l’idéologie libérale dominante : on prône la liberté et la responsabilité individuelle, mais lors des actes, bizarrement, la responsabilité a complètement changé de lieu…
Mais au-delà du contenu et de l’idéologie de ce gratuit, que constate-t-on ? Qu’entre deux faits divers parlant des élucubrations d’Eric Stauffer, les thèmes récurrents du GHI sont les mêmes que ceux du MCG : mobilité impossible, travaux envahissants, insécurité, frontaliers, institutions publiques pas à la hauteur, etc. Quant aux prix des terrains, le populaire MCG se tranforme, ô surprise, en défenseur des propriétaires, comme le GHI à ses heures : pour le prix des terrains à Meyrin (Lac des Vernes), il s'agit de rémunérer correctement les propriétaires...
Bien sûr, le GHI profite de l’aura qu’à la MCG aujourd’hui ; d’autres partis ont été chouchoutés avant par le journal au canard (faussement) vert. Mais on le voit aussi localement : la presse gratuite est bel-et-bien un support au populisme.
Les médias publics : orientation politique (trop) claire de la rédaction de la RSR
L’UDC attaque, au niveau national, la Radio Télévision Suisse (RTS). Qualifiée de trop à gauche, la RTS essuie depuis de nombreuses années les critiques du parti de Christoph Blocher, propriétaire de BlocherTV, et dont le journal la Weltwoche est quasiment un organe de presse udéciste. Mais on ne peut que sourire devant ces critiques, sachant ce qu’elles cachent en réalité. Car de gauche, la RTS ne l’est sûrement pas. Ni de droite d’ailleurs. C’est un média public.
En y regardant de plus près cependant, les choses sont - malheureusement - un peu plus tordues que cela. De tordu, la RSR en est un très bon exemple. Ses émissions satiriques (La soupe est pleine) s’attaquent à tout politicien. Certaines émissions, en heures creuses (?), traitent de la culture et des autres cultures. Les sciences sont traitées, l'environnement abordé, et les émissions Histoire Vivante restent très instructives. Mais, bizarrement, le service d’information de la RSR est… beaucoup moins critique et neutre idéologiquement. Le poids du monde financier représente même un exemple qui friserait la caricature, tant il peut être poussé à l’extrême.
Je relaie ici une remarque d’un lecteur du Courrier, parue le 23 mars, où celui-ci s’indignait contre le journal du matin de la RSR. Nous sommes le vendredi 11 mars. Au journal du matin, on apprend qu’un terrible tremblement de terre a secoué le Japon. Des victimes sont à craindre, et le tsunami s’est formé. L’interview, qui suit cette nouvelle, n’implique pas un géophysicien, ni un spécialiste des catastrophes naturelles… mais un financier! Celui-ci table sur des perturbations économiques (baisse des cours boursiers) mais également sur une baisse du coût du baril. Incroyable, ce cynisme journalistique qui règne à la rédaction du journal du matin de la RSR ; comme on dit : sans transition…
La RSR rempile l'avant dernière semaine de mars. Une information relate une manifestation à Genève contre les bombardements en Libye. Quelques femmes libyennes sont présentes avec des drapeaux français, remerciant la coalition internationale pour son intervention. L’information de la RSR, en droite ligne de celle de l’Agence Télégraphique Suisse (ATS) semble indiquer que les organisateurs refusent de donner la parole à ces femmes. Le journaliste ne donne la parole qu’à l’une d’entre elles, mais pas à Paolo Gilardi, l’un des organisateurs de cette manifestation pacifiste. Celui-ci s’explique, dans le Courrier, expliquant sa vision des faits.
Mais, alors que les pérégrinations xénophobes françaises ou belges d’un Oscar Freisinger sont largement médiatisées dans les journaux de la RSR – on lui donne bien le temps de s’expliquer et de cracher son fiel en compagnie de Marine Le Pen –, on ignore superbement les propos d’un activiste anti-guerre. Ce double poids se retrouve dans de nombreux cas sur la RSR, notamment avec le Forum de Davos, où de larges temps d’écoute lui sont consacrés, alors que le Forum Social Mondial n’a le droit qu’à quelques commentaires dans une édition d’information classique !
Et que doit-on dire du dogmatisme ignare manifesté par certains journalistes comme Simon Matthey-Doret qui, le matin du 23 mars dernier, comparait, dans le cadre d’une discussion sur les énergies alternatives avec son invité Daniele Oppizi (président du Pôle suisse de technologie solaire), les oppositions aux surélevements des barrages pour cause de protection de l’environnement avec du dogmatisme vert. "Aller, dites-le que vous [M. Oppizi] n'êtes pas aidé par les Verts", disait avec insistance le journaliste à son invité. Que M. Matthey-Doret n’aime pas les Verts et les écologistes, c’est son droit. Mais que cela oriente le débat, le focalise et enlève toute critique neutre de la discussion, là c’est un peu plus grave. Sans oublier que, après l’année internationale de la Biodiversité, le rôle de notre environnement aurait dû être moins confus et mieux compris dans l’esprit d’un homme sensé être bien informé comme M. Matthey-Doret.
Les médias, reflet de notre société consumériste et peu critique
Finalement, dans une société de consommation, la presse ne fait pas autre chose que ce que l'on attend d'elle : elle suit le marché. Que les gens se désintéressent des questions de fond au profit du mascarat de Paris Hilton, de la dernière grossiéreté d'Eric Stauffer ou de états d'âme autour de la défaite de l'équipe de Suisse de football, et les voilà servis!
Grand bien leur fasse! Si cette pipolisation ne venait pas polluer l'exercice politique, le respect d'autrui, des minorités et des libertés fondamentales, cela ne poserait aucun problème. Mais voilà, ce n'est pas le cas. Les populistes gagnent des voies, ne font rien (rappelons qu'à Genève, le MCG est fortement présent au Canton depuis 2009) mais sont quand même réélus...
J'espère que les gens se réveilleront un jour de leur léthargie intellectuelle. Je l'espère vraiment, pour nos générations futures.
Un premier pas : mettez l'autocollant officiel rouge pour dire "non au GHI"...
Bien à vous.
Sandro
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