lundi 12 décembre 2011

Nouvelles lignes des Transports Publics Genevois : accès de grogne chronique d’une société qui se cache de ses responsabilités.

Genève grincheuse quand il s’agit de transports publics ?

Genève est connue pour être la capitale mondiale du trading des matières premières. C’est aussi une place forte au niveau des banques, mais également des grandes institutions internationales comme l’ONU ou l’OMC. Mais la « ville du bout du lac » est aussi connue en Suisse pour être la capitale des râleurs (en tout cas il paraît). Vu comme arrogant, le genevois aurait la propension de se croire mieux que tout le monde, et se plaindrait d’événements qui, pour le commun des mortels, reviendraient à des broutilles. Certes, le genevois râle aussi contre des choses concrètes, comme le manque de logements ou encore les primes maladies trop élevées.

Mais, dans la ville du « tout-voiture » qu’est depuis longtemps Genève, le moindre remous en termes de transports publics y va de son lot de mécontents, allégrement relayés sans aucun contrôle par une presse très peu diversifiée – gratuits (20 Minutes, le très populiste GHI et le journal de droite « Tout l’immobilier »), les clones Tribune de Genève et le Matin – plus en quête de sensationnalisme que d’information de fond. Et quand il s’agit d’un des plus grands « chambardements » de ces dernières années à Genève qu’ont connu les TPG (Transports Publics Genevois), les commentaires acides y vont bon train…

« Mécontentement à la place Bel-Air », pouvait-on lire dans la Tribune de Genève ce matin. Le nouveau réseau vient à peine de démarrer que déjà, ça grogne sec à Genève. On n’a même pas attendu le jour J pour cela ; depuis quelques semaines déjà, le mot « chaos » est souvent revenu dans les médias. C’est que les TPG, en plus d’inaugurer une nouvelle ligne de tram (Bernex-Onex-Gare Cornavin), ont simplifié les réseaux. Des lignes de bus ont changé de numéro, quelques trajets ont été réajustés et, plus fondamental, le réseau de tram a été simplifié, passant de six lignes à trois. Plus de cadence, mais plus de transbordements, ont annoncé les TPG dans leur tout-ménage et dans la presse. A la même occasion, les TPG ont procédé à une hausse du prix du billet : la course d’une heure passe de 3 CHF à 3.50 CHF par exemple. Ajouté à cela le temps pluvieux de ce lundi matin 12 décembre, et le cocktail propice à la grimace calviniste était prêt.

Avec un tel tableau, le lecteur extérieur peut avoir, à raison, une certaine sympathie à l’égard des usagers genevois. Loin les idées de Genferei ! Mais ce serait aller trop vite dans la simplification. Car le genevois, rapide quand il s’agit de râler, se voit nettement plus mou à la réflexion lorsqu’il s’agit de prendre ses responsabilités, tant citoyennes que personnelles, rejoignant de façon presque hypnotique le dogme libérale du « c’est la faute aux autres, c’est la faute à l’Etat ». Constat d’autant plus facile à faire que je suis genevois de naissance, usager régulier des transports publics et de prime abord sceptique sur les modifications opérées par les TPG, père d’une fille qu’il faut aller chercher à l’école à moins d’une heure de mon lieu de travail, et que j’essaie de suivre un tantinet la politique locale.

Prix du billet trop cher, mais impôts en baisse : faut prendre ses responsabilités !

Ainsi, selon les médias locaux, le genevois se plaint du prix trop élevé du billet de bus. Celui-ci, à l’instar des prix des titres de transports publics au niveau national comme ceux du train, ne cesse de s’élever. Et ce n’est qu’un début, selon l’ATE. Autant dire que le genevois n’a pas fini de se plaindre du prix du ticket. Mais, lorsqu’il y a quelques années, le peuple genevois a pu se prononcer sur la gratuité des TPG, celui-ci a voté « non ».

Bien sûr, certains pourraient rétorquer que la gratuité n’est pas la panacée et présente des risques qualitatifs – on voit le résultat sur la presse gratuite, où l’on est à des années-lumière de l’information de qualité. Mais à voir tout le bruit que fait cette hausse du prix, justifiant à elle seule l’usage de la voiture, « moins chère » (mais bon, selon PISA, statistique érigée comme vérité ultime pour classer les écoles, les genevois sont des cancres en math ; cela explique cette vision des choses, sans doute), on aurait pu attendre autre chose de l’issue de ce vote.

Ensuite, le genevois grincheux ne doit pas oublier que le transport public est un service… public. Celui-ci se finance, d’une part, par la billetterie et, d’autre part, par les subventions étatiques. Faisons un petit exercice de math (non les genevois, ne partez pas…). Prenons un volume, que nous qualifierons au départ d’incompressible et d’inextensible, et que nous appellerons « offre transports publics » ; subdivisons ce volume en deux sous-volumes égaux que nous nommerons « billetterie » et « subventions » (50/50, je n’ai pas les chiffres exacts pour les proportions, mais c’est pour illustrer). Aucun « vide » n’est permis. En gardant à l’esprit l’idée de départ que le volume « offre TP » reste constant, que devient le volume « billetterie » si le volume « subventions » diminue ? Ben « billetterie » augmente ! Augmente d’autant plus conséquente si, en plus, le volume « offre TP » n’est plus constant mais augmente lui aussi.

Certes, c’est une vision un peu simpliste. Les revenus publicitaires comblent sans doute un peu les augmentations (mais voir comme solution la transformation des véhicules en simples pancartes publicitaires n’a rien de réjouissant). Et des sources d’économies, sans pressions supplémentaires sur les employés, peuvent sans doute être trouvées. Mais les baisses d’impôts tout azimut, prônées et votées par la droite majoritaire depuis des décennies à Genève, trouvent bien un corollaire quelque part. Ici des places en crèches qui manquent, là-bas des classes d’écoles en sur-effectif… et, dans une société prônant l’économie avant l’être humain, des infrastructures de transports publics en constant développement, mais en manque de moyens autres que ceux de la billetterie. Car c’est bien connu, ce ne sont pas ces députés et élus, chaudement logés à Cologny ou au septième étage d’un immeuble à Plainpalais qui, d’une part, utilisent les transports publics et, d’autre part, souffrent du prix du titre de transport.

Au niveau suisse, nous verrons si l’initiative fédérale de l’Association Transport et Environnement (ATE) « Pour les transports publics », permettant entre autres une meilleure répartition des coûts entre la route et le rail, sera acceptée par le peuple. Ce serait déjà plus cohérent, et, en ce sens, je serai curieux du résultat à Genève. Mais au niveau du canton, quand la question du prix des transports publics (on pense par exemple à la gratuité pour les jeunes et les seniors, à mon avis largement jouable au niveau politique si le financement est bien chiffré) OU des investissements publics (baisses d’impôts non réfléchies) seront à nouveau sur le tapis des votations, il faudra voir si le genevois râleur sera cohérent, ou bien, ce que je pense être le cas en partie, que ce mécontentement n’est qu’une façon de masquer sa « paresse » et de maintenir sa soumission à la voiture. Je me questionne... La Fédération des Entreprises Romandes et le TCS ne s’étaient pas montrés favorables à la gratuité des transports publics…

L’Homo geneveticus est très frileux du changement… quand il s’applique à lui-même.

Autre grogne, le « changement ». Dans un monde où flexibilité, concurrence et progrès techniques sont érigés au rang vérité suprême, je m’étonne du bruit que peut faire ces changements de lignes de transports publics, sensés augmentés les cadences. Je pense qu’un habitant de Paris, New-York ou Bruxelles (ville que je connais bien) doit bien rigoler en apprenant que les genevois râlent parce qu’ils ne peuvent pas rester d’un bout à l’autre de leur déplacement dans le même véhicule. Ma foi, on désire « croître », « s’étendre »… Cela exige de s’adapter, non ? Une petite incohérence ? Bon, au vu de l’état de notre société libérale, ce ne serait pas la première…

Ben oui, les caissières peuvent bien s’adapter pour gérer leurs familles et travailler pour des horaires d’ouverture de magasins étendus. Mais lorsqu’il s’agit de Monsieur Tout-le-monde (forcément représentatif d’un plus grand public), l’adaptation n’est plus de mise.

Attendons pour juger du nouveau réseau, et jugeons de manière correcte et avec responsabilité.

A mes yeux donc, que les coûts ou les adaptations des infrastructures soient justifiés ou non, les genevois ont une grande part de responsabilité, par exemple sur le coût du billet, notamment par leur choix politique. On ne peut pas penser que la croissance économique que nous prônons à grands frais ne puisse pas nous impacter dans notre vie courante, notamment en se passant d’une infrastructure de transports publics qui puisse « suivre le rythme ». Et dans ces conditions, on ne peut pas imaginer que les baisses d’impôts, profitant surtout à ceux qui ont les moyens de se passer des services de l’Etat, puissent bénéficier automatiquement à la classe faible et moyenne, dépendante de ces services qu’il faut bien financer. Le transport public en Suisse en est un exemple symptomatique. Se plaindre que la vie est chère, puis voter comme des moutons libéraux, c’est une sorte d’oxymore politique !

Ce que j’aurais aimé entendre, comme plaintes (et c’est là que je salue la veille de l’ATE à ce sujet), c’est notamment ce qu’en pensent les personnes à mobilité réduite de ces transbordements apparemment plus nombreux. Si les simulations des TPG se révéleront inexactes, et si la situation s’est péjorée pour les seniors et les personnes à mobilité réduite, alors là oui, il y aura de quoi critiquer (de manière constructive) la politique de « standardisation » du réseau des TPG. C’est cela, entre autres, qui me paraît le plus important. Que M. Truc-muche mette cinq minutes de plus à se rendre à son boulot parce que, ô catastrophe, il doit changer de tram (dès aujourd’hui, c’est également mon cas en passant), que M. Machin soit perdu parce qu’il n’a pas pris la peine de lire les indications ni poser la question au personnel présent sur place pour aider le public, ou que les joints d’étanchéité des abris-bus place Bel-Air n’ont d’étanche que le nom… passez-moi l’expression, mais on s’en fout ! Combien de gens, qui ont pris la peine de se renseigner, de lire tout-ménage et autre affiche aux arrêts, ont pu prendre en compte les modifications, anticiper et s’affranchir facilement des « désagréments » inévitables en cas de modifications de réseau ?

Société individualiste, peuple qui pense que tout lui est dû, que tout doit être à portée de la main (comme un arrêt de tram devant SA porte) sans effort et surtout sans solidarité, la liberté sans la responsabilité : l’exemple des transports publics, à chaque fois, illustre peut-être cet état de fait. Aux adeptes du mécontentement chronique passifs et qui ne prennent de toute manière pas le bus (ceux que je connais ont d’ailleurs un porte-monnaie bien garni), je préfère la voix des laissés-pour-compte qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois et pour qui le prix des titres de transport pèse réellement (pendant près de deux ans, j’ai dû me passer d’abonnement et faire du vélo, pour le plus grand bien de mes mollets – le véloTAF, c’est le pied –, mais tout le monde n’a pas la possibilité pour le faire), aux personnes à mobilité réduite, aux séniors et aux pères et mères de famille, et à tout ceux qui se battent, chacun à leur façon et parfois de manière contradictoire, pour une mobilité plus respectueuse de l’être humain et de l’environnement.

Mais ce souci de parole n’est pas trop vendeur pour les médias à sensation et les partis politiques de la pensée unique et du populisme. Ben oui, imaginez : il faudrait briser le dogme et, pire, réfléchir !!!

Sandro Loi