lundi 3 janvier 2011

Biodiversité 5 - Humain et animal, une relation à revoir dans le calme et la séreinité.

Spécisme, un débat mal posé mais nécessaire, au lendemain de l'année de la biodiversité !

D’un côté, nous avons la communauté scientifique, contrariée par les barrières réglementaires de plus en plus contraignantes qui, selon elle, entravent la recherche, notamment dans le domaine médical. La revue Nature relaie d’ailleurs cette exaspération dans l’éditorial de son édition du 9 décembre 2010 (Vol. 468, No. 7325). De l’autre, nous avons des mouvements militants qui, sous prétexte de combattre la souffrance animale, commettent des actes délictueux et moralement répréhensibles – la profanation de tombes de défunts par exemple – pour mettre sous pression les industries bio-technologiques et certains chefs d’entreprises et chercheurs. Au milieu, nous avons des médias, une presse et un monde politique trop souvent peu aux faits soit de la Science (avec un grand S), soit des mouvements de protection animale, très souvent loin d’être des terroristes.

Une nouvelle fois, les fais divers traitant de l’éthique animale illustrent notre incapacité, à tous les échelons, de poser « le problème de base » de manière correcte, à l’instar des problèmes de mathématiques de notre enfance. Le présent article n’a pas pour but de dire « qui a raison, qui a tord » – je n’ai aucune compétence en biologie – mais va essayer, précisément, de poser le problème de façon à éclairer, non pas la problématique de la recherche animale ni celle de l’écoterrorisme, mais les fondements de la recherche scientifique, notre relation au monde du vivant et la question du spécisme. L'année officielle de la biodiversité venant de finir, la problématique de nos rapports avec le reste du monde animal est, à mes yeux, fondamentale.

Les scientifiques ne sont que des êtres humains !

Ingénieur de formation, j’ai appris à travailler avec des cahiers des charges. Listes de contraintes, parfois rationnelles, parfois « agaçantes », elles n’en demeurent pas moins la base de tout projet technique. L’art de l’ingénieur est ensuite de composer avec ces contraintes et d’aller au-delà. La « gestion des contraintes » est même devenue l’une de ses spécialités : la normalisation.

Aujourd’hui peut-être plus que jamais, la Science ne déroge pas à la règle. Les contraintes financières sont devenues inévitables dans une société où le mot « économie » est érigé comme pilier principal de son fonctionnement. Presque personne ne s’en émeu d’ailleurs. Pour preuve, allez demander à un responsable de recherche s’il passe plus de temps… à la recherche scientifique ou à la recherche de fonds !

Depuis quelques temps, des règles éthiques sont venues agrémenter le panel de contraintes à laquelle est soumise la communauté scientifique. Dans la recherche animale, la loi suisse est devenue l’une des plus strictes au monde. Aujourd’hui, je doute qu’il soit possible, facilement, d’effectuer des expériences qu'on trouvait normales il y a une trentaine d'années. Si elles peuvent paraître positives aux yeux des profanes sensibles comme moi, force est de reconnaître que ces lois sont lourdes à gérer pour les laboratoires. Certains scientifiques craignent que cette « course à la moralité » puisse constituer un véritable frein à leurs recherches, déjà fortement compromises par les coupes budgétaires.

Comme je l’ai dit plus haut, je n’ai pas les compétences pour décider des voies que devrait suivre la recherche animale dans le domaine médical. La réflexion que je propose ici est plutôt d’ordre… philosophique.

Considérons le progrès du savoir humain depuis l’aube de l’humanité. Ce progrès s’est fait, souvent, dans des contextes « négatifs » ou, tout du moins, difficiles : lutte pour la survie des premiers humains – taille de la pierre, feu, etc. –, désirs mégalomanes de quelques rois et tyrans – architecture, établissement de calendriers, etc. –, guerres et conquêtes coloniales – armement, techniques navales, etc. –, conflits géopolitiques – conquête spatiale, énergie, etc. D’un autre côté, le progrès a été la manifestation d’un élan solidement encré dans l’espèce humain : la curiosité, l’esprit de découverte. De Galileo à Hawking, de Darwin à Humbolt, de Descartes à Gould, les scientifiques du monde entier ont exploré à la fois les sentiers de la connaissance et les sentiers de la planète. Cet élan a changé, au cours des âges, notre de vision du monde et des autres.

On le voit, le progrès scientifique a des origines à la fois « positives » et « négatives ». Les deux sont indissociables. Bien sûr, les guerres, les conquêtes ou encore les expérimentations humaines sont inadmissibles, à n’importe quel prix que ce soit. Mais dans un autre registre, on peut supposer qu’un certain nombre de contraintes fort désagréables, voire de dangers – faiblesses anatomiques des êtres humains les prédisposant à des maladies (cancers), dangers géologiques (volcanisme, séisme), conscience écologique, etc. – aient en quelque sorte poussé la recherche scientifique. Si l’être humain n’était pas une espèce sociable, à quoi bon faire des efforts pour créer un réseau de communication planétaire ? Le progrès scientifique n’est qu’une manifestation de l’essence même de notre espèce, ceci qu’en bien même les contraintes ou les efforts à laquelle est soumise la communauté des chercheurs sont énormes.

La prise en compte des questions de souffrance animale et de spécisme ne déroge pas à la règle, n’en déplaise à certains. Elle provient même du monde scientifique qui a, au siècle passé, changé notre regard sur les animaux, en rendant beaucoup moins nette la « frontière » les séparant de nous, Homo sapiens.

  • Nous nous prétendions différents des animaux parce que nous étions les seuls à disposer du langage ; les études zoologiques du langage – la zoosémiotique – ont montré une multitude de modes de communication complexes, inconscientes et conscientes, ces dernières étant considérées comme une forme de langage, avec parfois une notion de dialecte (champs des baleines).

  • Nous nous prétendions différents des animaux parce que nous étions les seuls à disposer de la culture : les chimpanzés, tristement utilisés il n’y a pas si longtemps dans la recherche médicale, utilisent des techniques différentes qu’ils habitent dans une région d’Afrique ou une autre (emploi d’une tige pour « la pêche aux fourmis » par ici, d’outils sommaires par là), ce qui implique une transmission du savoir, localisée et assimilable à une forme de culture.

  • Nous nous prétendions différents des animaux parce que nous étions les seuls à avoir une conscience de soi ; les études en primatologie, comme dans l’éthologie de certains animaux comme les éléphants ou les cétacés, montrent que cette faculté, comme celles de la souffrance ou du rire, pourrait être partagée par plus d’une espèce (et oui, chatouillez un gorille – si vous osez – et il rira…).
Bien sûr, ces observations sont toujours soumises à analyses : entre anthropocentrisme et concept de l’humain supérieur, la balance doit être équilibrée ! Mais elle montre que notre vision, parfois désinvolte, du monde animal ne correspond pas forcément à la réalité. De ce fait, la prise en compte de cette souffrance infligée aux animaux de laboratoire, et la mise en œuvre de méthodes visant à limiter celle-ci, voire même, à terme, de supprimer toute expérimentation directe, ne font simplement qu’entrer dans la longue série de « contraintes », imposées ou allant de soi, qui ont jalonné toute l’histoire de la Science. D’éminents scientifiques ont souvent dit, par le passé, que certaines barrières physiques, sociales ou scientifiques, ne seraient jamais franchies. Le mur du son, l’atmosphère terrestre ou encore certains cancers ont été vaincus aux prix d’incommensurables efforts, où les contraintes de toutes sortes n’ont pas manqué. Sur ce constat, la prise de position sans équivoque avancée par le secteur biomédical – l’impossibilité de se passer des animaux dans la recherche médicale – si elle est compréhensible et fondée sur des faits actuels, semble par contre manquer de courage et prouver un certain conservatisme. Tout du moins, elle est à contre courant de l’élan fondamental de la Science et du progrès du savoir humain, qui veut repousser sans cesse les limites, ceci indépendamment des problèmes rencontrés.

Mais au fond, n’oublions pas que les scientifiques ne sont, finalement, que des êtres humains…

L’écoterrorisme, ou l’environnementalisme poussé à l’extrême.

Si la Science nous a montré que les animaux, du moins une partie d’entre eux, partageaient plusieurs facultés que nous autres Homo sapiens possédons – la tristesse, la joie, la douleur, la curiosité, le langage et la conscience de soi –, elle a aussi montré que, de ce fait, nous faisions partie intégrante de la biodiversité de notre planète. Notre espèce possède une variété de cultures, coutumes, langues, traditions, modes de vie ; c’est une richesse à préserver ! De plus, même si son intervention sur l’environnement est souvent destructrice et envahissante, elle a aussi créé de nouveaux biotopes et écosystèmes ; en témoignent les récentes recherches sur la biodiversité en ville.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire sur ce blog, notre espèce fait partie du monde des primates. C’est un grand singe anthropoïde – sa queue a disparu – à l’instar des chimpanzés et autres gorilles et orangs outans. De ce fait, séparer l’espèce humaine du reste de la Nature dans les réflexions sur la protection de l’environnement, comme le font les environnementalistes, est une erreur que la Science, depuis une trentaine d’années (écologie), a corrigée.

Depuis un certain temps, des mouvements, que la presse qualifie d’écoterroristes, dans la mouvance environnementaliste, se font entendre par des actes plus ou moins graves, souvent des dégâts matériels. Mais parfois, plus rarement, ils s’en prennent aux gens, par des menaces de mort envers des chercheurs notamment. Récemment, la tombe de la mère de M. Vasella, CEO de Novartis, a été profanée.

La question est la suivante : comment peut-on défendre la Vie en méprisant à ce point l’une de ses constituantes, aussi imparfaite et délirante soit-elle ? Après le spécisme lié à une vision supérieure de l’être humain que j’ai abordé précédemment, on a l’opposé : celle d’une vision où l’espèce humaine n’a, apparemment, pas sa place sur cette Terre. Certes, je partage le fait que notre société, découpée de plus en plus des réalités physiques et sociales de ce monde, trop concentrée à ne s’occuper que de la seule réalité économique au combien artificielle, court à sa perte. Certes, je me sens mieux seul dans une réserve naturelle qu’au beau milieu d’une réunion de travail ou, pire, d’un centre commercial bondé. Mais je n’en n’oublie pas la diversité qui constitue l’espèce humaine. Un joyau qu’il convient de remettre à sa place dans l’immensité de l’Univers, mais qu’il s’agit de ne pas oublier pour autant !

Dès lors, même si la cause animale est une cause juste et très importante, elle doit être défendue dans le respect de l’animal qu’est aussi Homo sapiens. Plutôt que de menacer les chercheurs qui se battent jour après jour pour percer les secrets du cancer ou du sida, il faut se battre pour leur offrir les cadres et les études nécessaires afin que, dans un proche avenir espérons-le, la recherche puisse se passer définitivement de l’expérimentation animale ; les progrès en simulation numérique nous offrent peut-être une piste, pas encore assez exploitée et pourtant riche en enseignements. Plutôt que de troubler la paix des morts, pourquoi ne pas dénoncer les dérives du système mercantile, notamment dans le domaine des cosmétiques et de l’alimentation, grands domaines où la souffrance animale est encore monnaie courante. Ces démarches commencent à sensibiliser le public, et les gens considèrent de plus en plus le végétarisme de manière positive. La pédagogie me semble plus constructive que la violence, pour preuve l’amalgame fait après les événements commis contre la famille Vasella entre extrémistes et mouvements écologistes.

Sortons du conservatisme et osons poser le problème correctement.

Mouvements de protections de la nature, mouvements sociaux et scientifiques indépendants des lobbys économiques doivent donc se mettre ensemble. Tous sont d’accord pour dire que les animaux doivent être considérés avec respect. Tous sont d’accord pour intégrer l’espèce humaine dans le reste de la biodiversité et, de ce fait, lui montrer autant d’égards. Pourtant, personne ne semble capable de poser les bases de réflexion. Une cause du poids sans cesse croissant de l’économie et des lobbys sur le monde de la recherche, d’un manque de compétence du monde politique, de simplifications intéressées des médias, toujours en quête du buzz et trop à la botte de l’idéologie ultralibérale ? Peut-être…

Humains et animaux ont une origine et un destin communs. Ils partagent plus de choses que nous le pensions jusqu’ici – des instincts primaires jusqu’à la conscience de soi et même à la culture. Dès lors, la Science au sens large doit mettre tout en œuvre pour que l’expérimentation animale puisse être, à l’avenir, réduite voire supprimée. Craindre les contraintes éthiques que cela amène, même sévères, c’est renié ce qui fait la Science : s’appuyer sur les contraintes pour faire reculer les limites de la connaissance, contraintes sans lesquelles cet élan vers l’inconnu ne pourrait trouver d’impulsion. Cela ne doit pas être tabou, surtout que ce pas vers plus d’éthique peut vraisemblablement se traduire pas des progrès scientifiques très importants. De leur côté, les mouvements écologistes doivent soutenir les scientifiques dans leurs démarches, non les montrer du doigt à la moindre occasion ; leurs travaux ont souvent permis, directement ou indirectement, de faire progresser la cause environnementale, ne serait-ce que sur la question de la biodiversité. Ils ne doivent pas oublier que l’espèce humaine fait partie de cette biodiversité et, qu’à ce titre, elle doit aussi être protégée, faute de quoi ils tomberont dans les travers des mouvements « verts libéraux ». Ils ne doivent pas oublier de souligner le rôle désastreux des secteurs agroalimentaires et cosmétiques sur la souffrance infligée aux animaux. Le travail est si gros qu’on ne peut perdre du temps en conflits stupides et en raccourcis sans issue.

A bientôt.

Sandro

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