samedi 16 avril 2011

3ème partie - Le réveil?

Le nucléaire et le dogme du « centralisme ».


Nous avons vu que le nucléaire ne peut être qualifié d’industrie propre, tant du point de vue environnemental (exploitation du minerai, raffinage, transport, déchets, etc.) que de celui inhérent aux aspects sociaux (sur les lieux d’extraction de l’uranium comme sur les conditions de travail au sein des centrales atomiques). Nous avons aussi vu que cette filière énergétique n’est pas une solution en termes d’indépendance énergétique. La Suisse, notamment, ne fabrique plus de réacteurs nucléaires depuis l’accident de Lucens en 1969. De plus, en Europe occidentale, il n’y a pas ou plus de gisement d’uranium économiquement exploitable. Donc, on le fait venir de contrées par des multinationales (Rio Tinito, Areva) pour lesquels, souvent, le bien-être des habitants locaux et de l’environnement est le cadet des soucis. Mais le nucléaire a aussi un autre défaut, à mon sens, qu’il est important de prendre en considération, tant il est absent des débats : celui de perpétuer le dogme du centralisme énergétique.


Le réseau électrique est interconnecté, formant une espèce de grande toile d'araignée. Mais cette toile n'est pas uniforme et répond à une structure logique : le réseau à très haute tension, à la maille grossière, apporte l'énergie au réseau moyenne tension, à la maille plus fine, qui la distribue au réseau basse tension plus dense et de plus courtes distances. Voilà pour le schéma de principe.


Jusqu'à peu, les centres de production ne pouvaient être que bien localisés bien sûr : une grosse centrale distribuait l'énergie à travers le réseau (très haute tension d’abord, puis réseau à moyenne tension et ainsi de suite). Ce concept allait bien jusqu'à ce que la demande sans cesse croissante conduise à une saturation progressive du réseau.


On touche ici aux limites du modèle du centralisme énergétique, basé pour l'essentiel sur une logique économique. Car lorsque le réseau est saturé, la moindre perturbation, a fortiori sur ces grandes artères que représentent les lignes très haute tension, peut provoquer, potentiellement, une panne généralisée, plongeant dans le noir des milliers, voire des centaines de milliers de personnes.


C'est ce qui s'est produit sur le réseau français lors des tempêtes des années 1999 ou, plus récemment, début 2009. Le réseau réputé le meilleur du monde n'a pas résisté aux caprices du temps. Les centrales atomiques, principales sources d'énergie en France, malgré leur puissance tant vantée, n'ont forcément pas été d'un grand secours lorsque les lignes de distribution ont été coupées par la tempête !


Bien sûr, ces lignes de transmission peuvent être enterrées. Cela entraîne un surcoût, bien que EDF soulignait récemment que celui-ci avait nettement baissé ces dernières années. Mais peut-on enfouir une centrale nucléaire, sujette, on l’a bien vu au Japon, elle aussi aux caprices de la Nature ? Et combien de temps prendrait l’enfouissement total de l’ensemble des lignes stratégiques de distribution d’électricité ? La question se justifie, dans le sens que, au mieux, comme en France, seules les nouvelles lignes électriques sont enfouies ; tant qu’il subsistera des lignes aériennes importantes, l’approvisionnement électrique, en plus de conserver sa vulnérabilité au niveau des centres de production, sera toujours susceptible d’être perturbé notamment par les aléas climatiques.


Dans le cadre de l’énergie nucléaire, le « dogme du centralisme » est ici exprimé de la plus éclatante des façons. On cherche toujours plus de puissance pour répondre à la demande d’énergie qui ne cesse de croître, alors que les risques de black out, inhérents à cette demande, sont également à chercher dans les infrastructures du réseau, forcément limitées et qui, à l’instar « de nombreuses choses dans l’Univers », ne sont pas extensibles à l’infini. Et qui dit « centralisation » dit, bien sûr, rationalisation des coûts, mais dit également augmentation de la vulnérabilité.


Les énergies renouvelables, tout du moins certaines d’entre elles – géothermie, micro-éolienne, solaire, etc. –, se prêtent mieux à une architecture en partie décentralisée. Celle-ci aurait l’avantage de prémunir partiellement le réseau des risques de coupure généralisée provenant soit d’une saturation du réseau (effet domino d’un black out), soit des effets de conditions climatiques exceptionnelles (tempêtes, chutes de neiges, etc.). Un « service minimum » pourrait donc, dans un premier temps, être assuré par ce système décentralisé ; si chaque immeuble disposait de ses propres panneaux solaires, les activités domestiques et de bureau pourraient être prioritairement maintenues lors d’un black out quelconque. Bien sûr, l’arrêt des freins systématiques à l’encouragement en R&D sur le renouvelable aiderait beaucoup à résoudre l’épineux problème, tant technique qu’environnemental, du stockage de l’énergie.


Une réflexion doit aussi être faite sur l’architecture même de la distribution d’énergie, et le lobby nucléaire a plutôt tendance à écarter cette question des débats (l’argument du black out n’est surtout utilisé que lorsqu’il est question de sortie du nucléaire).


Les centrales nucléaires ne sont donc pas une réponse suffisante au « problème » de saturation du réseau, contrairement à ce que prétend le lobby de l’atome. Elles écartent la population de la problématique propre à ce réseau et de ses limites intrinsèques. A ce sujet, elles donnent même un mauvais message, notamment sur l’argument majeur expliquant, avec les limites du réseau, ce potentiel risque de black out : notre boulimie énergétique !


Le nucléaire et le dogme des « 2% ».


C’est sûr, à quoi cela sert-il de réfléchir, d’un côté, sur notre propension à la surconsommation d’énergie quand on vous promet, de l’autre côté, via le nucléaire, des sources de production colossales et supposées inépuisables ? Ce message se retrouve sur une autre forme, lorsque l’arrêt des centrales nucléaires est demandé : « comment voulez-vous répondre à la hausse de consommation d’énergie si vous arrêtez les centrales atomiques ; cela va créer des black out et ruinerait l’économie », dixit le lobby nucléaire.


Une belle manifestation du dogme de la croissance infinie, lorsque la source du problème – la hausse continue de consommation – n’est même pas discutée !


Lorsque je travaillais dans le secteur de l’énergie, j’ai pu constater, de visu, cette hausse annuelle de l’énergie consommée ; pour de nombreuses PME, les courbes de charge – c'est-à-dire les graphiques de la consommation mesurée – augmentaient chaque année. Généralement, une hausse de 2% est observée d’après les spécialistes, certains secteurs progressant plus que d’autres.


La croissance économique en est, pour une part, la cause. Des « besoins » sans cesse croissants impliquent une « production » correspondante. A cet état de fait, le monde de l’économie a coutume de répondre que « la technologie saura relever le défi d’une consommation modérée ». Ce n’est que partiellement juste.


Par technologie, on définit, au fond, le rapport entre la « technique » et son application ; dire qu’un magnétoscope n’est pas technique est complètement faux, mais il n’est plus « technologiquement » à la pointe, en cette période de DVD et autres Blue Ray Disk. Le maître mot « qualitatif » est donc « l’application », autrement dit, ce que l’on en fait de la technique.


Prenons l’exemple des écrans plats de télévisions, aujourd’hui. Techniquement, ces systèmes – LCD, LED – sont bien plus efficaces que les anciens téléviseurs à écran cathodique ; mon écran LCD de 80cm consomme environ 60W (mode ECO activé !), contre plus de 100W pour un téléviseur à écran cathodique de 60cm de diagonale. Seulement voilà, le commerce ne s’est pas contenté de cela. Il en a profité pour vendre des écrans plus grands – et, comparativement, plus gourmands. Les dimensions des pièces d’appartements, en Suisse, ont-elles augmentées d’un même facteur, ce qui justifierait, le cas échéant, l’achat d’écrans plus grands ? Derrière la boutade et derrière ce simple exemple courant de la télévision, on voit bien que la technique, si elle peut bien sûr aider à résoudre des problèmes, reste surtout un « oreiller de paresse » pour justifier le status quo en matière énergétique, car son emploi et son application ne sont pas pris en compte dans le débat.


Un « oreiller de paresse » utile aux personnes qui voient, dans la hausse annuelle de consommation d’énergie, quelque chose d’intouchable, d’indiscutable, de corrélé avec une « hausse du bien-être », justifiant par la même occasion le maintien de « certains principes », comme le recours à l’énergie nucléaire. Car, même si cette hausse est due à une course effrénée pour attirer de nouvelles entreprises sur le territoire communal ou national (souvent au détriment des TPE et PME déjà implantées), une augmentation des temps de travail et de déplacements (heures d’ouverture des grands commerces, distance de plus en plus longue du domicile au lieu de travail), à la création de « besoins artificiels » (marketing autours du multimédia par exemple) et surtout au déficit d’information de la population et de règles claires permettant de consommer plus intelligemment, les lobbies nucléaire et économique voient plutôt une inéluctable course à plus de compétitivité, dont l’une des conséquences souhaitées est l’amélioration de notre vie quotidienne.


Constat « un peu simple », lorsque, après avoir pris en compte les aspects humains et environnementaux liés directement à notre demande en énergie, on prend aussi en compte les effets de cette « croissance inéluctable » qui, si elle a des effets positifs, possède également son lot d’effets pervers, malheureusement trop souvent minimisés et écartés des débats.


Et puis, jusqu’où cela va-t-il aller ? Sommes-nous naïfs à ce point pour ne pas oser se poser cette question, se demander à quoi peut bien rimer une croissance infinie, qu’elle soit économique ou, dans le cas qui nous intéresse ici, énergétique ? Le nucléaire, lié au dogme d’une croissance infinie, devrait nous inciter, par ces effets que l’on ne peut ignorer actuellement – triste Fukushima –, à nous méfier de cette idéologie dominante et à oser le changement de paradigme.


La suite, bientôt, dans la quatrième partie de cette série. A bientôt.

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