dimanche 23 octobre 2011

Une société adolescente, 2ème partie

Nos civilisations, en pleine adolescence : en cas de dépression et d’overdose populiste, attention au risque de suicide !

On peut voir, dans ces décennies d’inquiétudes économiques, comme une période adolescente de notre société « moderne ». C’est, je le conçois, une vision assez amusante lorsque l’on pense à notre certitude de vivre une époque mature, signe de progrès constant… adulte, en somme ! Le pendant sociétal de l’ancienne vision religieuse qui, dans l’histoire des sciences, a tenté d’imposer jusqu’au XXème siècle, si ce n’est le créationnisme, au moins l’idée du « cône de complexité », illustrant une montée dans la perfection et la diversité au fil des âges pour aboutir au dessein ultime, l’Homme (idée pleinement contredite par la science au siècle passé [17] [18]).

Rien de bien méchant dans mon image d’une société moderne en âge de l’adolescence : tout être humain, sauf accident malheureux, passera par cette période, synonyme de troubles existentiels parfois importants, mais aussi de remise en question, cette remise en question qui devrait, en principe, ouvrir les portes du monde « adulte ». Les réponses trouvées ne seront pas forcément les bonnes, pas immédiates, pas « prêtes à l’emploi ». Mais l’exercice de la remise en question de soi, de la prise de recul, que, inconsciemment, nous faisons tous à l’adolescence avec plus ou moins de succès, est capital.

Le parallèle avec notre société adolescente est intéressant, à plus d’un titre. Les troubles qui nous touchent ne sont pas si différents de ceux, à l’échelle de l’individu, qui touchent la personne adolescente.

Les fameuses remises en question se sont déjà posées, en partie du moins, des fondements de la démocratie jusqu’à la remise en cause de l’omnipotence des religions et la condamnation du racisme. Certaines remises en questions commencent timidement à faire leur chemin, comme la place de la femme dans notre société ou encore les problèmes environnementaux. Et d’autres questions arrivent enfin dans le débat public, malgré les dogmes puissamment implantés dans notre conscience par des décennies de rêves consuméristes : le développement économique infini est-il possible dans un monde fini, où n’est-ce qu’un écran de fumée idéologique ? Est-ce que le capitalisme sauvage que nous connaissons (tout comme le communisme autrefois), incapable de se remettre en cause ni, par le fait même, d’apprendre de ses erreurs, est-il un modèle qui, entre autre, nous procure du bonheur et du plaisir de vivre ? Est-ce que l’accumulation de biens matériels chez nous est une fin en soi incontournable, justifie-t-elle n’importe quoi et conduit-elle obligatoirement en la diminution de la pauvreté, ici comme ailleurs ?

De la même manière que pour l’éveil de l’écologisme dans les années 50, ces bribes de prise de conscience ont au moins fait que la notion de décroissance, pourtant pas très récente, revienne sur le devant de la scène en ce début du XXIème siècle [19]. Ce retour est perceptible, à des degrés divers, notamment dans la très capitaliste Genève, où des politiciens comme Julien Cart [20] des Jeunes Verts ou même la conseillère administrative socialiste en charge des finances de la Ville de Genève Sandrine Salerno [21], osent questionner publiquement le système, avec il faut le dire, un certain courage (on n’est pas dans le pays des banques pour rien). Le mouvement des indignés genevois, questionnant frontalement le problème de « l’économie passée avant l’être humain », en est le pendant citoyen et apolitique de cette prise de conscience, stimulé par l’actualité et par la variété d’opinion que le caractérise. C’est heureux, on se réveille !

Adolescence dit aussi succomber aux tentations, aux voies faciles et rapides, au rejet des « contraintes » de la vie d’adulte, sans tri ni nuance. Cela peut être positif : garder un esprit d’enfant signifie maintenir ce côté ouvert, apte à l’apprentissage, qui caractérise les tous jeunes. Et la curiosité, comme le prétendent certains adultes, n’est pas forcément un vilain défaut (science, culture, aller vers « l’autre », etc.). Mais cette quête de facilité, cette paraisse, qui peut caractériser certains choix de notre adolescence (je sais, pas pour tout le monde, on s’entend), on la retrouve dans la société, où les populistes (MCG à Genève) profitent de ce manque de repère illustrant ces années économiquement fumeuses pour distiller propos faciles et nauséabonds sans aucun fondement ni idée concrète. Un peu comme les mauvaises fréquentations qui vont profiter de l’adolescent en détresse pour arriver à leurs fins.

A cela s’ajoutent la peur du changement et la peur de grandir, naturelles chez les jeunes mais qui, en société, peuvent parfois se résumer au maintien d’archaïsmes idéologiques. En économie, cela a consisté, on l’a vu, au maintien des vieilles habitudes libérales : oublier les belles paroles au lendemain des scandales UBS et autres, on fait toujours allégeance au monde bancaire et financier qui, au-delà des démocraties, font leur loi (en témoigne la toute puissance sur les gouvernements des agences privées de notation comme Moody’s, Standard & Poor's et Fitch Ratings). Les bonus sont repartis de plus belle, et récemment, après avoir été sauvé par les pouvoirs publics, voilà que cette même UBS claque 2 milliards sur des fonds à risque via un trader de la City de Londres, héritage tatchériste en plus (tout un symbole) [22].

Et du point de vue économique, les prétendus efforts de transparence ne sont que des vœux pieux, pour ne pas dire autre chose ; en témoigne l’opacité qui entoure pourtant l’une des premières forces économiques de Genève et de la Suisse : le négoce de matières premières [21]. Opacité dénoncée notamment par l’ONG la Déclaration de Berne et le livre Swiss Trading SA [23], ceci alors que, comme le soulignait Sandrine Salerno, « ces firmes s’implantent pour payer moins d’impôts mais aussi pour éviter d’être soumises aux régulations européennes plus drastiques que les nôtres » [21] ; le peuple souverain (en théorie), genevois en l’occurrence, serait au moins en droit de savoir pourquoi et pour qui il doit se serrer la ceinture en termes de prestations publiques et de logements ! La pathétique et révélatrice réplique des milieux économiques, courroucés par les questions pourtant fondées de la magistrate socialiste [24], font bien penser à ces caprices de jeunes adolescents pourris-gâtés, refusant les responsabilités de leurs actes lorsque ceux-ci sont pointés du doigt, révélés au grand jour et contestables.

Mais c’est avec ces gesticulations des populistes et des responsables des crises actuelles, accrochés désespérément et égoïstement à leur gagne-pain défiscalisé, que ce parallèle « adolescence et société » a de quoi inquiéter. Le suicide des jeunes est une réalité dans de nombreux pays, signe d’un désespoir dont notre société même, avec ces exigences et ces pressions (« t’es un winner ou un looser ! »), a une part de responsabilité. Cette triste réalité humaine pourrait-elle avoir son reflet dans l’évolution de la société ? Bien sûr, comparaison n’est pas raison : mon parallèle et mes propos sur une société à l’adolescence compliquée a peut-être ces limites.

La Guerre Froide et la course démente à l’armement nucléaire au XXème siècle faisait pourtant penser, physiquement, au pistolet qu’une personne suicidaire songe à pointer sur sa tempe. Aujourd’hui, le don de notre espèce à annihiler son environnement et ces semblables – homogénéisation culturelle, conflits motivés plus par l’appât du gain que par des questions humanitaires (la France et d’autres en Lybie, les USA en Iraq) – est une autre manifestation physique de cette tendance suicidaire de notre civilisation. La déshumanisation de notre société, par l’application bête et dogmatique des pensées de Hayek et d’autres penseurs ultralibéraux, représente l’aspect moral de cette même tendance. Au même titre qu’une personne souhaitant mettre fin à ses jours à cause d’une situation générale (matérielle, humaine, relationnelle, émotionnelle, etc.) affectant son moral (dépression, suicide)…

A force de mettre la pression sur les peuples, l’économie globalisée s’est profondément déshumanisée, et le moral des gens s’en trouve affecté ; jusqu’où poussera-t-elle encore le bouchon ?

Aider notre espèce à grandir, c’est la rendre plus respectueuse avec son environnement… et avec elle-même !

A l’instar de l’aide que nous devons porter aux autres, dans les petites tracasseries quotidiennes comme dans les malheurs plus profonds, plus sourds qui peuvent mener à l’irréparable, nous devons aider notre société, et au demeurant, notre espèce entière, à surmonter les défis évolutifs et intellectuels qui se profilent. Souhaitons-nous continuer dans cette voie irresponsable socialement et écologiquement que nous tracent les ultralibéraux ? Souhaitons-nous nous voiler la face en écoutant les paroles envoutantes des populistes qui, à l’instar des slogans publicitaires et du marketing à outrance qui plongent les jeunes dans les dettes abyssales, mènent l’humanité vers une impasse intellectuelle ? Où souhaitons-nous faire un pas vers une métamorphose adulte, pas vers le robot légaliste que les Pères de la Rigueurs et autres prôneurs de la « peur du flic » souhaiteraient nous voir transformer, mais en une société plus sage, respectueuse des autres et consciente que ses individus vivent ensemble, parmi de nombreuses cultures et formes de vie, dans un ensemble fini mais d’une complexité telle qu’aucune idéologie ne pourrait jamais standardiser.

Cette aide passe obligatoirement par une remise en question de nos habitudes, de notre consommation ignorante et de nos rapports avec la politique. Tout n’est pas qu’une question de « marché », de « finance », de « pouvoir d’achat » ; il s’agit surtout de « citoyenneté », de « responsabilité sociale et écologique » et de « solidarité » avec les autres, les cultures et avec l’ensemble de la planète. Cela doit primer sur l’économie, afin de mettre l’humain et son environnement à la place qu’il leur revient, la première. L’économie peut être un outil, dont son maniement doit être bien appris, mais en aucun cas le « dieu » moderne qu’il est devenu aujourd’hui !

Cette remise en question de nos croyances et de nos certitudes, avec la sagesse qui doit permettre le maintien d’acquis sociaux arrachés de hautes luttes, c’est l’exercice intellectuel et l’action à entreprendre par l’adolescente qu’est notre espèce humaine. Loin du populisme primaire qui ne secoue rien durablement – ce n’est même pas son but – c’est cela qui pourra la métamorphoser, lentement mais surement, en quelque chose de mieux. Les indignés d’ici et d’ailleurs nous montre la voie, nous disent qu’une contestation est possible.

La voie de la sagesse, pour notre adolescente espèce, est encore longue et il faudra beaucoup d’effort pour la parcourir. A nous, citoyennes et citoyens, de l’aider dans cette tâche. Certaines communautés, de part le monde, au fin fond des forêts tropicales ou au beau milieu de déserts arides, ont déjà fait le pas, depuis très longtemps. D’autres sont en train de le faire. Et nous, que faisons-nous ?


Sandro Loi


Sources "deuxième partie" :

[17] Il était une fois nos ancêtres, une histoire de l'évolution, Richard Dawkins, Robert Laffont, 2007, ISBN 978-2-221-10505-4

[18] La vie est belle, Les surprises de l'évolution, Stephen Jay Gould, Editions du Seuil 1991, ISBN 2-02-035239-7

[19] La Décroissance, Une Idée Pour Demain - Une Alternative Au Capitalisme : Synthèse Des Mouvements, Timothée Duverger, Editions Sang de la Terre, ISBN 978-2-86985-257-0

[20] Le blog d’un Vert objecteur de croissance, Julien Cart, http://objectiondecroissance.blog.tdg.ch

[21] Vivre à Genève, numéro 42, septembre 2011, http://www.ville-geneve.ch/fileadmin/public/Departement_0/Publications/vivre-a-geneve-magazine-42.pdf

[22] UBS: Oswald Grübel démissionne, emporté par la fraude d'un trader, ATS, 26 septembre 2011, http://www.romandie.com/news/n/UBS_Oswald_Grubel_demissionne_emporte_par_la_fraude_d_un_trader260920110609.asp

[23] Swiss Trading SA. La Suisse, le négoce et la malédiction des matières premières. Déclaration de Berne (Éd.), Editions d'en bas, 368 pages, Lausanne, septembre 2011, ISBN 978-2-8290-0411-1

[24] Sandrine Salerno sous le feu nourri de la Genève économique, Mario Togni, Le Courrier, 4 octobre 2011.



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