mardi 17 janvier 2012

Biodiversité 6 - Sagesse naturelle

Merveilleuse nature! C'est ce qui me vient à l'esprit lorsque je pense aux équilibres complexes qui définissent notre environnement. On a parfois de la peine à imaginer cela, mais la Nature que nous connaissons est loin d'être immuable. Des changements, parfois brutaux, arrivent, contraignant plantes et animaux à s'adapter, à migrer... ou à disparaître. D'autres changements sont plus diffus, comme la colonisation des îles océaniques par les plantes, puis les animaux (oiseaux, insectes, parfois mammifères et reptiles). Et à chaque fois, un équilibre est trouvé : trouvez-moi un endroit sur Terre qui n'a pas au moins sa colonie de microbes!

C'est là qu'on apprécie cette "sagesse" naturelle, lorsque ces équilibres s'établissent. Pour illustrer mon propos, faisons un petit voyage au Kamchatka. Cette péninsule de l'extrême-orient russe est le paradis des naturalistes. Avec près de 300 volcans, dont un dixième sont actifs, c'est aussi un haut lieu du volcanisme mondial, situé sur la célèbre ceinture de feu du Pacifique. Les volcans du Kamchatka ont d'ailleurs été classés en 1996 au Patrimoine Mondial de l'UNESCO.

Parmi ces volcans, le Kronotsky (3528 mètres) est peut-être l'un des plus beaux volcans du monde.

Le Mont Kronotsky, avec ses pentes douces, s'élève au-dessus de la Réserve de Biosphère du Kronotsky (photo : Yuri Doubik (Institute of Volcanology, Petropavlovsk), Global Volcanism Program (www.volcano.si.edu)).

Une rivière coule à ses pieds, où vient frayer une espèce de saumon, le saumon rouge Oncorhynchus nerka. Cet intrépide poisson, après quatre ans de vie dans l'océan, revient dans sa rivière natale pour se reproduire... et mourir.

Mais, lors d'une grosse éruption du Kronotsky survenue durant l'Holocène (il y a environ 10'000 ans), une coulée de lave s'écoula vers la rivière, et en interrompit le cours, formant ce qui allait devenir le Lac Kronotsky ; les saumons, prisonniers en amont, ne purent plus gagner l'océan.

Confinés dans un environnement clôt, les saumons n'avaient pas d'autres solutions que de s'adapter à la situation, notamment à la disponibilité des ressources alimentaires (moindres dans un lac que dans l'océan). Et c'est là que, à travers les millénaires, la "sagesse" naturelle a opéré : alors qu'un saumon atteint une bonne taille lorsqu'il vit dans l'océan, les saumons rouges du Kronotsky ont une taille adulte beaucoup plus petite. Cela leur a permis de survivre dans un environnement où les ressources sont plus limitées, leur taille plus faible étant consécutive à leur adaptation à ce milieu.

A terme, ce phénomène peut conduire à ce que l'on appelle la spéciation, c'est-à-dire la naissance d'une nouvelle espèce. Lorsque, pour une raison ou une autre, une forme vivante "attérit" dans un nouvel environnement et qu'elle arrive à survivre, l'évolution va pérenniser, en quelque sorte, les adaptations subies et une nouvelle espèce, parfois sensiblement différente de l'originale, apparaîtra, parfaitement adaptée à son habitat.

On observe ce phénomène dans les îles océaniques où, éloignées parfois de plusieurs milliers de kilomètres de toutes terres, elles ont développé une faune et une flore qui, souvent, leur sont propres (endémisme). On compte ainsi qu'il faut 30'000 ans pour qu'une nouvelle espèce puisse s'établir sur une île comme Hawai'i. Celle-ci peut y arriver par hasard (un oiseau détourné de son cap par une tempête, des graines portées par le vent, etc.). On comprend d'autant plus la fragilité de ces milieux naturels.

Mais que ce soit par "colonialisme" d'un nouvel environnement (espèces pionnières) ou à cause d'un changement climatique ou géographique (dans le cas des saumons du Kronotsky) perturbant les écosystèmes, la nature retrouve un équilibre, par les biais de l'évolution et de la spéciation. "L'intelligence", si l'on peut dire, de la machine Nature réside dans sa capacité à concilier les espèces avec les ressources présentes et les conditions régnant dans leurs environnements. Qu'une espèce d'insecte se retrouve coincée au fin fond d'une grotte, si la survie y est possible, il naîtra peut-être, des milliers d'années plus tard, une nouvelle espèce cavernicole, certainement dépigmentée et aveugle. Qu'à travers les caprices de la Terre (éruptions volcaniques, dérive des continents, etc.), un animal se retrouve isolé dans un espace plus réduit (île), et naîtra peut-être une espèce naine (comme l'éléphant nain de Sardaigne et de Sicile Elephas falconeri, disparu aujourd'hui).

D'innombrables espèces ont réussi, à travers les âges, à s'adapter à leur milieu changeant. Et Homo sapiens alors? Dans sa course éperdue à l'accumulation de richesses, celui-ci pille ces ressources à une vitesse "grand V". Pourtant, à l'instar du saumon rouge du Kronotsky et de son lac, notre environnement aussi est limité. Ainsi, il est amusant de constater qu'à ce titre, l'espèce humaine montre moins de sagesse que notre petit saumon.

Aurons-nous l'intelligence, non pas de "réduire notre taille pour devenir moins gourmand", mais de réduire notre "gourmandise" en ressources et rendre notre société plus responsable, humaine et écologique? On peut parfois en douter. Pourtant, l'adaptation aux réalités physiques de notre Terre - sa finitude notamment, et nos liens avec l'ensemble du vivant qui constitue notre biosphère - est autre que la clé de notre survie!

Sandro Loi

Série "Biodiversité", billet précédent :
Biodiversité 5 - Humain et animal, une relation à revoir dans le calme et la séreinité.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire