lundi 1 octobre 2012

Biodiversité 8 - Grande pieuvre, petit panda, monde complexe!

Grande pieuvre, grande pieuvre, nage, nage, naaaageeee…

Il était une fois, une dame pieuvre géante, nageant dans les eaux froides du Pacifique Nord-Est, près des côtes canadiennes. La miss, répondant au doux nom d’Enteroctopus dofleini, ne s’offusque guère de l’image négative et repoussante qu’elle provoque chez les grands singes bipèdes sans poil qui peuplent les terres émergées. Être pacifique aux (trois) cœurs tendres – sauf pour ses proies – elle nage, nage, nage, comme le dit la petite comptine d’enfants humains, ne manifestant souvent que curiosité et volonté de jouer envers les plongeurs-singes sans poil qui, occasionnellement, surmontent leur préjugés pour aller à sa rencontre. 

Mais, les hormones aidant, cette demoiselle, aux huit tentacules de plus de 3 mètres, quitte son train-train quotidien de prédateur et se lance gaillardement en quête d’un Jules. Un Jules pieuvre qu’elle trouve enfin. C’est que le temps presse ; l’intellectuelle des céphalopodes n’a que quelques années pour perpétuer l’espèce. 

L’acte amoureux se produit. Est-il passionné ? Il faut le demander à notre dame pieuvre géante, son Jules, après avoir transmis sa semence, s’étant écarté pour mieux passer l’arme à gauche. La future mère, déjà veuve donc, s’est retirée dans une petite anfractuosité, où elle va pondre ses œufs en toute tranquillité. 

Survient alors une garde de 150 jours, pendant lesquels la mère pieuvre surveille avec une attention sans pareil sa progéniture, pendue en grappes d’œufs à la voûte de sa petite caverne. C’est que bon nombre de prédateurs se feraient un plaisir de manger une petite omelette d’œufs de pieuvre ! 

Elle les nettoie aussi, patiemment, les ventilant de ces huit bras. Car c’est une maniaque de la propreté, toute souillure risquant de contaminer les œufs. A un tel point qu’elle ne se nourrira pas une seule fois jusqu’à l’éclosion des œufs. 150 jours d’un jeûne mortel… 

Et au bout de ces cinq mois, bébé pieuvre sort de sa gangue protectrice. Le courant l’emporte, lui et ses sœurs et frères, vers le large et ses dangers. Leur mère, dame pieuvre géante, n’est plus qu’un cadavre pâle. Elle ne veillera plus sur sa progéniture, zooplancton exposé aux caprices des lois de la Nature. Mais son dévouement protecteur aura réussi à triompher des prédateurs oophages et des autres dangers. Dame pieuvre s’est sacrifiée pour donner la vie. 

Aller au-delà des idées reçues !

Cette petite histoire mélange peut-être, pour certains d’entre nous, dégoût (aspect de la pieuvre) et émotion (fin tragique d’un animal mystérieux). Mais elle n’a, comme simple but, que de montrer notre relation parfois ambiguë entre nous et la biodiversité ; certains animaux, par exemple, ont un fort capital de sympathie, et d’autres non. Cela peut venir de leur aspect – familier ou étrange, attirant ou effrayant – ou de leur comportement, mais aussi de croyances colportées depuis le fond des âges. Bien souvent, par simple ignorance… 

Qui n’aime pas le dauphin, avec sa frimousse donnant l’impression de toujours sourire ? Avec le concours d’écologistes passionnés et engagés, la sympathie du grand public a certainement aidé dans la prise de conscience des menaces pesant sur les cétacés (baleines, dauphins, orques, etc.), et des mesures ont pu être prises (mais, malgré le sauvetage notable des baleines à bosse, la lutte pour la protection des cétacés est encore très loin d’être gagnée). Le panda, emblème de la protection de l’environnement, extrêmement menacé par la destruction de son habitat, charme le public avec sa tête craquante ; cela ne le sauvera peut-être pas, mais au-moins en parle-t-on, et engage-t-on des programmes de sauvegarde de l’espèce. 

Mais, qu’en est-il des loups (se traînant l’image du mangeur du Petit-Chaperon-Rouge), des lamantins, des anchois (pilier de la chaîne alimentaire marine, surexploités dans certaines régions du monde), des requins, des pieuvres géantes, des guêpes, des thons, des guépards, des alouettes des champs, des rhinocéros de Sumatra, des lynx, des condors, etc. Tous ces animaux, parfois peu menacés ou parfois au bord de l’extinction, parfois « anonymes » ou parfois souffrants de préjugés infondés (ignorance ou méconnaissance) ou basés sur leur seul aspect, ont une place importante dans une biodiversité saine. Tout autant que les dauphins, les baleines ou les pandas. 

Car quand on « creuse », on se rend compte, très souvent, que ce qui est en apparence laid, effrayant ou insignifiant, peut aussi être fascinant, émouvant, magnifique et beau. On se rend compte que la « répugnante » et prétendue agressive pieuvre géante est en fait un animal extrêmement intelligent, doux et pacifique. On se rend compte que le gorille des montagnes, grosse « bête » de muscle pouvant faire plus de 200 kg, et un grand timide, qui rit, prend soin de son bébé avec tendresse ou pleure comme le ferait un humain, ceci sans que l’on tombe dans l’anthropomorphisme. On se rend compte que le « banal » anchois sert de nourriture de base à toute l’avifaune marine des côtes sud-américaines ; qu’une surpêche ou un événement El-Niño déciment les stocks halieutiques, et les populations de Fous de Bassan ou de Manchots de Humboldt (ainsi que de nombreux mammifères marins) succombent en masse. On se rend compte que le grand requin blanc n’est pas si agressif que cela, et que sans lui et ses cousins squales, l’océan serait un dépotoir d’animaux malades, et une étendue saline en proie à des déséquilibres d’espèces inquiétants. On se rend compte que le « méchant » loup en fait de même que le requin, mais sur les terres fermes… Et on se rend compte de la complexité de la biosphère, de l’imbrication essentielle du vivant autour du globe et de notre propre méconnaissance de la Nature ! 

La biodiversité, un tout indivisible ! 

Attention, je ne dis pas que s’émerveiller devant les dauphins et s’engager pour leur protection est faux ou futile. C’est tout le contraire même (certaines espèces de dauphins sont très menacées). Je dis juste que notre intérêt pour la sauvegarde de la faune et la flore ne doit pas s’en tenir à des aspects esthétiques ou au capital sympathie que leur seule vue pourrait susciter en nous. Les terribles crocodiles de l’Orénoque – qui ont goûter à la chaire humaine à plusieurs reprises – ont tout autant le droit de vivre que le paisible lamantin de Floride, que le sautillant dauphin en Méditerranée ou que le mignon ours panda dans sa forêt chinoise. 

L’emblématique dauphin ne saurait ainsi survivre si son écosystème – plancton, poissons – et son environnement direct et indirect ne sont pas sains et préservés. C’est le cas de l’ensemble des formes de vie sur notre planète, des forêts continentales nord-américaines qui profitent des éléments apportés par les migrations de salmonidés, jusqu’aux poissons et mollusques des profondeurs des océans, peut-être laids et effrayant pour le standard humain, mais qui recyclent les matériaux tombés depuis les couches plus en surface, et dont les sous-produits seront remontés bien plus tard par le truchement des courants océaniques et de la rotation terrestre, nourrissant la faune qui vit en surface (et, en fin de chaîne, les humains). Même les colonies isolées d’êtres vivants bizarres, ayant comme domicile les évents hydrothermaux des abysses océaniques, ont leur raison d’être. 

Ne limitons donc pas notre souci de la biodiversité à quelques espèces, aussi symboliques soient-elles. Car, pour les protéger au mieux, c’est bien l’ENSEMBLE de la biodiversité qu’il faut sauvegarder !

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