mercredi 21 août 2013

Le vélo n'est pas écolo!

Un assembleur de vélos de récupération à la pêche aux infos.

Comme j'ai monté quelques vélos à partir de pièces d'occasion et de récupération - dont mon Scapin Blato VD6 acier, un bijou de VTT - j'aime, de temps à autre, me tenir un peu au courant de la mécanique de nos bicyclettes. Cela peut aider, n'étant moi-même pas mécanicien vélo! Du coup, chose rare, je jette mon dévolu en kiosque sur le numéro d'août de Vélo Vert, un magazine français de VTT. Comme je m'étais inscrit sur leur forum technique il y a quelques années et que j'y avais trouvé une foule d'information intéressante, pourquoi pas après tout...

Lorsque j'avais monté mon VTT d’entraînement - mon Scapin Blato - j'avais cherché à ne prendre que du matériel construit en Europe, d'éviter autant que possible les productions asiatiques et à défaut, ne prendre que des pièces de récupération et d'occasion. Non que j'ai une dent contre les chinois ou les taïwanais, mais je doute que nombre d’entre nous aimerions travaillé dans les conditions que les ouvriers des chaînes de production de cadres de vélos en Asie travaillent ; pourquoi donc justifier ces conditions en achetant Made in China ou Made in Taïwan? Une position d'éthique sociale et écologiste, en somme. Lors de cette expérience, j'ai cependant pu constater à quel point il était difficile d'assembler un vélo écologique et socialement responsable, tant les pièces faites en Suisse ou en Europe voisine sont difficiles à trouver, quand cela est juste possible. Je ne suis pas un spécialiste, mais quand même! Pour mon Scapin, le cadre (d'occasion) est l'une des dernières productions artisanales de VTT faites à la main en Italie ; ma selle a la même origine transalpine ; ma chaîne, neuve, est fabriquée au Portugal. L'origine des freins est douteuse ("Design in UK" signifiant très probablement une fabrication asiatique). Quant au reste des pièces (toutes d'occasion au moins) - transmission, roues, etc.), on y trouve, en cherchant, très souvent une origine taïwanaise. Bref, comme je l'ai écrit, je ne suis pas un spécialiste, mais il m'a été très difficile de trouver une configuration possible de matériel typé VTT sportif, dont les origines et la production pouvaient satisfaire mes exigences écologiques et sociales. Bon, il fallait essayer et, au moins, ai-je fait grandement usage de matériel d'occasion. Sauf que, faire usage de matériel d'occasion justement, cela risque d'être encore plus difficile à l'avenir...

Business as usual

Il a existé nombre de dimensions de roues dans l'histoire de la bicyclette. Deux dimensions ont cependant percé dans le monde entier : le 26'' (pouces) et le 28'' (pouces), le premier essentiellement pour les vélos de type VTT, le second pour les vélos de route (course, etc.). C'est schématique, mais jusqu'à nos jours, c'était plus ou moins l'idée. Les voyageurs à vélo vous le diront : où que vous soyez sur la planète, vous trouverez un mécano capable de vous réparer ou vous fournir une roue de 26'' ou de 28''. Les tailles des roues déterminent les dimensions du cadre et de la fourche ; sur votre VTT, vous ne pourriez pas mettre des roues de 28'', comme il sera mal aisé de mettre des roues de 26'' sur un vélo de course (pas impossible dans ce sens, mais il faudrait bricoler). Bref, vous l'avez compris, la roue détermine le cadre.

Or, nous apprend Vélo Vert (n°258, août 2013), le 26'' (l'une des dimensions les plus courantes, donc) est "mort" (du moins, c'est l'avis du champion suisse de VTT Thomas Frischknecht, représentant la marque Scott). Ces dernières années, les fabricants, américains en premier lieu, ont rivalisé d'ingéniosité marketing pour imposer un nouveau standard, le 29'' ; roues plus grandes permettant le franchissement plus aisé, mais surtout nouveaux cadres et nouvelles fourches. Mais, puisqu'au final, ces grandes roues n'ont apparemment pas contenté tout le monde, ces mêmes fabricants nous ont sorti... un deuxième standard, le 27.5'' : roues moins grandes que le 29'', en théorie devant mêler la réactivité des 26'' aux avantages des 29''... mais également nouvelles fourches et nouveaux cadres spécifiques! Une constante cependant : hormis quelques marchés de niche, tous les constructeurs s'accordent sur la volonté de faire disparaître la dimension de roues de 26''! Et ils l'ont déjà fait sur leur catalogue, pour la majorité d'entre eux. Ainsi, il risque de devenir de plus en plus difficile d'entretenir nos machines ayant le malheur d'être équipées de roues de 26'' (que le rédacteur en chef de Vélo Vert Sébastien Corradini qualifie dans son édito "d'objets désuets"). Un vélo, désuet? Une taille de roue mondialement répendue, morte, et avec elle les cadres qui vont avec?

Et bien oui, le vélo, c'est pour certain un objet de consommation, un business. Comme le vélo, par essence, n'est pas un objet jetable comme l'est devenu le téléphone portable ou l'ordinateur (pas d'électronique, pas de mécanisme horriblement compliqué), on a trouvé des moyens marketing pour qu'il le devienne. Par cette simple entrée en force des standards 29'' et 27.5'', les fabricants ont réussi à diversifier leurs offres, tout en n'apportant aucune réelle innovation (écarts dynamiques pas énorme entre les vélos 26'' et 27.5'', de l'aveu même de professionnels comme Thierry Vouilloz en page 81 de Vélo Vert). En revanche, corollaire de l'arrivée de ces deux dimensions de roues et de la disparition programmée des 26'', tous les anciens cadres (VTT, vélos de route en 26'', vélos électriques en 26''), vont devenir "obsolètes" et plus difficile à maintenir : plus de roues 26'' costaudes (on croise les doigts que les rayonneurs artisanaux maintiennent le plus longtemps possible leurs stocks), plus de fourches compatibles 26'', des cadres VTT en ordre de marche qu'on ne pourra plus réutiliser faute de matériel. La mode du jetable touche le vélo (VTT du moins) de plein fouet.

Théorie du complot... ou bon sens critique?

Je n'ai pas été surpris de voir les constructeurs user de pareils stratagèmes pour assurer leur survie ; avouons-le, la concurrence avec les constructeurs asiatiques a fait des ravages, notamment dans l'industrie européenne du vélo ; à titre d'information, d'ailleurs, il est à noter qu'à ma connaissance, on ne fabrique pas de cadre carbone en Europe (en plus, grande demandeuse de résine, la technologie n'est pas vraiment écolo). Je n'ai pas non plus été estomaqué de lire des "slogans publicitaires" sortir de la bouche de sportifs professionnels du VTT (Frischknecht est chez Scott, Vouilloz est chez Lapierre, etc. on l'aura compris). Ce qui m'a choqué (mais est-ce que cela aurait dû?) et fait rire de mépris après coup, c'est de lire des articles de gens, se prétendant être passionnés de vélo ET journalistes (la bonne blague), aussi complaisant face au marché et aussi ironique (voire insultant) envers les gens résistant à son marketing. Ainsi peut-on lire Sébastien Corradini, toujours dans son éditorial d'août 2013 : "Le <<26 est="" mort="">>, c'est Thomas Frischknecht qui le dit ; et on peut difficilement mettre en doute les convictions de cette légende du VTT [...]. A moins qu'il ne soit guidé par les sombres exigences du marketing de ce monde pervers. Ah! La théorie du complot...". Y-a-t-il besoin de prendre les "aficionados" (sic) du 26'' (c'est une secte?) pour des abrutis réactionnaires s'en remettant aux simples spéculations sans fondement, soit à la théorie du complot, alors que justement, tous les pros du circuit tournent parce qu'ils courent pour un team représentant, plus ou moins directement, une marque, et qu'il serait mal aisé de venir chicaner celui qui paie le salaire sur un enjeu aussi crucial financièrement que l'instauration d'une nouvelle dimension de roue? Est-ce vraiment si invraisemblable, si inconcevable, que le monde actuel du VTT, à l'instar d'autres disciplines sportives, ne soit pas à ce point gangrené par le fric et le poids des sponsors? Et est-ce que cette ultra-minorité - les coureurs pros, aussi "convaincus" et fins connaisseurs qu'ils puissent être -, n'a-t-elle pas un poids démesuré lorsque l’écrasante majorité - les sportifs amateurs, les vélo-taffeurs, les VTTistes du dimanche, etc. -, de plus en plus sensibles à l'écologisme, veulent aussi du matériel qui dure (et donc pas des standards aussi fondamentaux qui changent coup sur coup)? 

Tout le journal est ainsi parsemé de petites piques envers les prétendus adeptes du 26'' (comme le titre "Chêne ou hêtre?" en page 76, décrivant le choix du type de bois à utiliser pour le cercueil des 26'', on voit le niveau de ce torchon). Tant de puérilité, dans un journal à destination d'adultes me fait rire, mais m'agace en même temps : pour la presse mainstream, être réactionnaire, c'est s'opposer aux changements dictés par la loi du marché ; en revanche, lorsque l'on demande un changement dans les habitudes de consommation - par exemple dans le vélo, une production écologique et éthique - on est has been ou, comme c'est écrit, "aficionados" d'objets "désuets". Ainsi, Vélo Vert (ah, le greenwashing dans toute sa splendeur), glorifie le changement marketing ("Le 29 a ouvert les esprits et la voie...", Sebastien Corradini), mais passe sous silence l'ABSENCE de changement quant aux aspects écologiques, éthiques et sociaux liés intrinsèquement aux belles machines qui couvrent ses pages (cadres alu ou carbone fait en Asie, impacts environnementaux et sociaux, etc.). Faut pas fâcher les annonceurs... Pourtant, par exemple dans la presse spécialisée de photographie que je lis aussi, il arrive que certains ne s'en privent pas, de froisser les constructeurs...

Le vélo, pas toujours si écolo!

Bref! Pratiquer le vélo, c'est bon pour la santé et écologique (pourvu que l'on exige pas de lourdes infrastructures en montagne pour la pratique extrême) ; je n'ai pas tourné ma veste avec mon titre provocateur. Ce que je voulais souligner, c'est que le vélo, en tant qu'objet, peut être très loin de l'idéal écologique qu'on lui prête habituellement (énergie grise, délocalisations, marketing agressif et politique du court terme).

Mon expérience obtenue avec mon projet "Scapin Blato" de vélo "responsable" m'a appris que la traçabilité des pièces et composants était parfois aléatoire (pas facile de savoir d'où ils proviennent, et dans quelles conditions ils ont été produits). Le recours aux pièces de récupération, qu'on peut trouver facilement dans les fourrières (à Genève : http://www.fourriere-velo-ge.ch/) ou sur les sites d'enchères ou de petites annonces, permet en parti de se défaire du poids de la société de consommation, tout en se montant un vélo "haut de gamme" qu'on ne voit pas partout (comme mon Scapin). Mais l'arrivée de nouveaux standards de roues qui, dans l'immédiat, pourrait être une aubaine pour trouver du matériel compatible 26'', risque de rendre sur le long terme difficile l'entretien et la maintenance de nos VTT et autres vélos 26'' "désuets". Elle illustre aussi que même un moyen de locomotion et un sport a priori aussi écologique que le vélo n'échappe pas à "l'obsolescence", fusse-t-elle, par le truchement du marketing, artificiellement "programmée".

Soyez donc prudents, aussi bien si vous vous mettez au merveilleux sport qu'est le vélo, que si vous vous mettez au "vélotaf" : ne tombez pas dans le piège du marketing!!!

Sandro Loi




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