mardi 14 avril 2009

Des algues, du fer et des Hommes.

Il était une fois, il y a très longtemps de cela, une planète monotone, désertique. Des continents brulés par le soleil émergeaient de vastes océans apparemment stériles. A la surface de ses terres, seul régnait le silence, parfois interrompu par le vent, les orages ou les explosions des volcans. Sinon, il n'y avait rien, rien du tout. Un monde minéral.

A cette époque, il y a plus de deux milliards d'années, notre Terre devait ressembler à cela : un monde de silence, morne, sans vie. Sans vie? Pas exactement. Cela faisait probablement déjà plus d'un milliard d'année qu'elle existait, cachée dans les océans. Ces débuts étaient peut-être timides, il est vrai. Rien de plus que des microbes. Mais une révolution, un "miracle", était en train de se produire dans cet univers monotone séparé de nous par plus de deux milliards de rotations de la Terre autour de son Soleil. Une bactérie, particulière, venait d'apparaître au hasard de l'évolution et des mutations génétiques : une algue. Qu'avait-elle de si particulier, cette bactérie? Et bien, à l'instar des plantes dont elle représente leur ancêtre, cette algue avait la capacité prodigieuse de produire elle-même sa nourriture, grâce à la photosynthèse, cette réaction chimique permettant de transformer la lumière du soleil en sucres... Bon! Tant mieux pour elle, penseriez-vous? Pas besoin d'aller engloutir la première bestiole à porter de bouche pour survivre, il suffit de se dorer la pilule au soleil pour avoir à manger!

Bien sûr! Mais ce serait oublier que cette algue, non contente d'avoir développer un système automatique de création de nourriture embarqué, rejetait en retour... de l'oxygène. Ah! Voilà qui est intéressant! Pour la première fois dans l'histoire de la Terre, des êtres vivants allaient modifier profondément la composition de l'atmosphère terrestre, jusqu'ici réglée par les émissions des innombrables éruptions volcaniques. Cette modification allait entraîner, beaucoup plus tard, le développement de la Vie, d'abord dans les mers, puis sur la terre ferme ; les végétaux allaient rendre l'atmosphère terrestre respirable. En tout cas, c'est ce à quoi nous pensons de prime abord. Mais cette histoire que je vous conte ici possède également une face plus méconnue, mais tout aussi magique!

Revenons à notre algue, dégageant de l'oxygène dans l'océan tout en se repentant, la gourmande, des sucres qu'elle a synthétisé en captant les rayons de l'astre du jour. Mais cette océan primordial contenait notamment une grande quantité de fer dissout (lors de la formation de notre planète, il y a 4,5 milliards d'années, d'énormes quantités de fer ont plongé au cœur de la Terre en fusion, mais une partie, restée en surface, s'est retrouvée ensuite mélangée à l'eau lors de la formation des océans). Et devinez ce qui se produit lorsque du fer se retrouve en contact avec de l'oxygène? Il rouille! Le fer dissout s'est oxydé, colorant de rouge tous les littoraux des océans de cette époque ; lentement, tout cet oxyde s'est déposé sur les fonds marins.

Mais qu'est-ce que cette "rouille" peut-elle avoir de "magique" à nos yeux (l'auteur de ce blog aurait-il trop fumé des descendants végétaux de cette algue primitive contenant des substances hallucinogènes)? Voici ce qu'est devenue cette "rouille", deux milliards d'années plus tard :


Cette pierre a été trouvé en Australie, à Hamersley, dans un type de formation que les géologues appellent banded iron formation ou BIF. On y voit une succession de couches claires et foncées, de moins d'un millimètre, chacune correspondant à une saison (hiver, été) de l'année. En été, le rayonnement solaire étant plus intense, les algues ont émis plus d'oxygène, oxydant plus de fer, alors qu'en hiver, cette oxydation était moins importante. Ce morceau de roche représente donc, à l'instar des cercles de croissance d'un tronc d'arbre, un "instant" d'Histoire de notre planète : à Hamersley, un mètre de cette formation (de plusieurs centaines de mètres d'épaisseur) équivaut à 7000 ans de cette Histoire! Mais au-delà de cette "fenêtre" sur un passé lointain de la Terre, cette formation rocheuse n'est en fait rien d'autre qu'un gisement de fer exploitable.

Et notre race humaine s'est développée grâce au fer. La maîtrise des techniques permettant la conception d'outils et de pièces en fer a représenté un bond très important dans l'évolution d'Homo sapiens. Des pointes de flèche de certaines tribus premières jusqu'aux alliages ultramodernes employés dans les secteurs de la médecine ou de l'aérospatial, le fer tient un rôle prépondérant. Mais rien de tout cela n'aurait été possible si, deux milliards d'années auparavant, des algues primitives et microscopiques n'avaient pas oxydé ce fer dissout dans les océans, le transformant ainsi sous une forme exploitable ultérieurement, tout le fer restant étant concentré au cœur de la Terre, irrémédiablement inaccessible! En effet, dans le monde, les gisements principaux de fer correspondent à d'anciens fonds marins, fonds sur lesquels le fer oxydé s'est déposé suite à l'action des premières formes de vie végétales.

Il est donc merveilleux, et quelque part émouvant, de constater à quel point nous et nos civilisations sommes reliés, à plus d'un titre, à notre environnement et à son histoire. N'est-il pas "magique" le fait qu'un aussi petit organisme telle qu'une algue unicellulaire, à l'aube des temps, ait pu avoir autant d'impact sur l'avenir d'une planète entière : modifier durablement son atmosphère, favoriser l'apparition du vivant tel que nous le connaissons, modeler nos propres civilisations! La conclusion de cette histoire, écrite par la Vie et adressée à l'attention de la race humaine, est que, aussi bien à petite qu'à grande échelle, aussi bien dans l'espace que dans le temps, notre espèce est tributaire des autres formes vivantes peuplant la Terre. Notre destin n'est et n'a jamais été dissociable de celle de l'ensemble de la biosphère. Une leçon d'humilité et une invitation à l'émerveillement que cette histoire d'une algue unicellulaire minuscule! Une ode à la complexité de l'Histoire du vivant... et du vivant lui-même.

Et l'algue vécut heureuse et eut des milliards et des milliards d'enfants...

Sandro

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