lundi 11 mai 2009

Biodiversité 1 - La vie endémique des Canaries

J'ai eu la chance, il y a plus d'une année, de passer une semaine de vacances sur la Grande Canarie, grande île de l'archipel des Iles Canaries, au large du Maroc. Une période trop courte, surtout si l'on désire explorer les moindres recoins de l'île... et un moment de frustration, pour le passionné des volcans que je suis, de ne pas avoir l'occasion de réaliser son rêve d'enfant : gravir un volcan actif. Qu'à cela ne tienne! En plus d'une semaine de détente avec ma petite famille, j'ai eu l'occasion d'assouvir ma curiosité naturaliste à plusieurs reprises. Il faut dire que les îles de l'archipel, malgré un tourisme quelque peu "envahissant", reste un bon exemple pour mieux comprendre l'écologie et ses enjeux.

On se console comme on peut : par le hublot de l'avion, je suis tout excité à la vue de la morphologie de l'île. La Grande Canarie n'est rien d'autre qu'un vieux volcan, éteint depuis des millions d'années. Les volcanologues appellent ce type d'édifice un volcan-bouclier, montagne aux pentes douces, signe d'une activité essentiellement effusive (comme Hawaï). Aujourd'hui, ce volcan endormi culmine à près de 2000 mètres d'altitude ; il a été profondément attaqué par l'érosion mais il subsiste encore quelques traces assez fraiches de son passé tumultueux (divers cônes adventifs, dont la caldeira de Bandema, cratère de 200 mètres de profondeur et de 1 kilomètre de diamètre). Mais au-delà de l'aspect géologique, cette physionomie particulière offre, encore aujourd'hui (mais pour combien de temps) un refuge à une biodiversité particulière, où certaines espèces ne se trouvent que dans l'archipel (et nul part ailleurs dans le monde).

Ile de Grande Canarie. Les pentes douces de la montagne trahissent ses origines, une accumulation de lave très fluide qui, au fil des temps, a édifié ce volcan. L'érosion, assez active sous ce climat subtropical, a sapé l'édifice, en creusant de profondes vallées (visibles au centre) appelées barrancos.

Contrastes étonnants : l'autoroute terne et noire, reliant l'aéroport à Maspalomas, dans le sud de l'île, longe des coulées de lave rougeâtres que la végétation égaie d'une multitude de couleurs, vertes, mauves et jaunes. Premier contact avec la flore du pays, j'observe les Euphorbes des Canaries (Euphorbia canariensis). Ces plantes, qui ressemblent à des cactus (mais qui n'en sont pas), sont endémiques de l'archipel, à l'instar du dattier des Canaries (Phoenix canariensis), c'est-à-dire qu'on ne trouve ces espèces, à l'état naturel, qu'aux Canaries. Du reste, la Grande Canarie dénombre près de 600 espèces de plantes, dont 101 sont endémiques à l'archipel (parmi elle, le pin canarien Pinus canariensis) et 95 à l'île elle-même. Cette richesse végétale, à laquelle je ne suis, en bon Européen, pas habitué, dissipe quelque peu mes "frustrations" de volcanologue amateur...

Vipérine arbustive (Echium decaisnei), espèce de vipérine originaire des iles Canaries.

Du côté du règne animal, là non plus, on ne reste pas longtemps sur sa faim sur l'île de la Grande Canarie. Une simple promenade à Maspalomas et l'œil du touriste européen est vite attiré par le vol rapide d'oiseaux aux belles couleurs vertes inhabituelles. Ce sont des perruches à collier (Psittacula krameri), espèce à l'aire de répartition très vaste (Afrique subsaharienne).

Perruche à collier (Psittacula krameri).

Dans les marais bordant les célèbres dunes de Maspalomas, une faune à la fois familière et à la fois très spéciale attend le visiteur curieux. En effet, j'y retrouve la foulque et le héron cendré (Ardea cinerea), majestueux échassier discret que l'on croise également dans la région genevoise.

Héron cendré (Ardea cinerea).

Couple de goélands leucophée (Larus michahellis). Espèce quasiment disparue au début du 20ème siècle, sa population a véritablement explosé depuis, profitant des activités humaines (rejets des pêcheries intensives, déchets urbains, etc.). Du reste, certaines espèces de goélands sont considérées comme envahissantes, tant leur nombre est important et tant la pression qu'elles exercent sur d'autres espèces animales, parfois de grande taille, commence à poser problème ; en Patagonie, le goéland Larus dominicanus s'en prend aux baleines franches australes (Eubalaena australis), les blaissant pour manger leur peau et leur graisse. Ce comportement, apparu récemment, est attribué aux effets des activités humaines et illustre bien les déséquilibres que l'Homme, volontairement ou non, entraîne sur son environnement.

L'île compte quelques 48 espèces d'oiseaux nicheurs. Je n'ai malheureusement pas eu la chance d'observer le pinson bleu de Grande Canarie (Fringilla teydea sp polatzeki), espèce typique de l'île. Cette espèce se trouve sur la liste rouge de l'UICN. Il s'agit d'un cas classique concernant une espèce endémique : les populations de pinson bleu étant peu élevées, ayant décrues ses dix dernières années, ainsi que leur aire de répartition très limitée (une sous-espèce à la Grande Canarie, une autre à Tenerife), l'UICN les a classé comme espèces quasi menacées.

Mais, en terme de vertébrés endémiques, ce qui surprend le plus, ce sont les espèces de reptiles qui vivent sur l'archipel canarien. Aucun serpent (sauf erreur), mais plusieurs espèces de lézards... et quels lézards! Les îles Canaries comptent en effet les plus grands lézards d'Espagne et d'Europe ; alors que le lézard vert (Lacerta viridis), que l'on peut voir dans le Canton de Genève, fait à peine 30 centimètres de long, la petite île de la Gomera possède un lézard géant, le très rare Gallotia gomerana, identifié seulement en 1999, dont la taille dépasse le demi-mètre. La Grande Canarie n'est pas en reste en matière de lézard géant : le lézard géant de Grande Canarie (Gallotia stehlini), espèce omnivore endémique à l'île, peut atteindre près de 80 centimètres du bout du nez à l'extrémité de la queue.

Lézard géant de Grande Canarie (Gallotia stehlini), photographié "par hasard" alors que j'étudiais une strate de lave dans le nord de l'île. Noter la queue "dédoublée" ; suite probablement à un combat avec un congénère ou une attaque d'un prédateur, celui-ci a perdu un bout de queue, qui a repoussé à double.

Ce bref inventaire de la biodiversité de l'île de la Grande Canarie n'est, bien sûr, pas exhaustif, ce d'autant plus que, ne faisant pas de plongée sous-marine (à mon très grand regret...), l'autre aspect de sa biodiversité - la vie marine - m'est complètement inconnu. Un bref saut sur Internet permet toutefois de vite s'apercevoir que la vie marine y est très riche. Avis à tous les plongeurs!!!

Les îles Canaries, et celle de la Grande Canarie, sont des exemples typiques de biodiversité élevée, liée à un contexte donné (insularité, climat subtropical, etc.), avec un taux relativement élevé d'endémisme (plus de 15% des espèces végétales endémiques à la Grande Canarie). Le plus remarquable, c'est que cette biodiversité se retrouve sur des surfaces très petites (1'560 km2 pour la Grande Canarie). Cet endémisme coïncide souvent avec des populations relativement peu élevée en nombre ; avec l'extrême adaptation au milieu, le nombre d'individus d'une espèce endémique est un des facteurs clé pour comprendre à quel point celle-ci peut être sensible aux perturbations de l'Homme. Dans un contexte fortement touristique et dégradé (la ville de Las Palmas étouffe dans un trafic qui n'a rien à envier à celui de Genève), j'espère donc que la biodiversité de Grande Canarie, avec ses lézards et ses reliques de forêts primitives, ne s'en trouvera pas plus menacée qu'elle ne l'est déjà. Espérons que son inscription comme réserve de biosphère par l'UNESCO protégera ce trésor unique de manière durable!

Sandro

Série "biodiversité", chapitre précédent : Biodiversité, une grande énigme, une source inépuisable d'émerveillement.


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Photos : Sandro Loi

Sources :
UNESCO, The MAB Biosphere Reserves Directory.
IUCN.
Tourisme et nature, Espagne.

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