vendredi 29 mai 2009

Climat : un débat biaisé et un scepticisme méprisant pour les sciences

Réchauffement climatique, un débat de société

En France, Claude Allègre est pressenti pour revenir au gouvernement. Célèbre géophysicien, auteur de nombreux articles scientifiques, il était aussi membre du parti socialiste français. Rien de bien particulier jusque là sauf... qu'il est aussi un très médiatique opposant à la théorie du réchauffement climatique d'origine humaine. Il n'est pas le seul ; il est, en quelque sorte, le fer de lance d'une vague assez remuante en France de "sceptiques", où l'on trouve par exemple le philosophe Luc Ferry. Et les médias, friands de polémiques et de débats (c'est leur job) en font l'écho. Le monde politique aussi, à l'instar de l'UDC en Suisse, qui fonde son "argumentaire environnemental" sur ce scepticisme. Et au milieu, le public, pas toujours au fait de toutes les circonvolutions du raisonnement scientifique, commence à ne plus savoir "qui croire". Dans une période où l'urgence environnementale ne laisse plus place aux tergiversations, il est bon d'amener un peu d'ordre dans ce débat - climat et rôle de l'espèce humaine dans le dérèglement de la biosphère -, débat que je qualifie de biaisé. Voyons pourquoi!

Comprendre le débat est essentiel

Regardons, dans un premier temps, ce qui se passe du côté de la science. La Science n'est, en fin de compte, qu'un ensemble de chercheurs, qui argumentent autour de théories diverses. C'est donc une "communauté" de discussions et de débats : des théories sont attaquées ou défendues, mais le but n'est pas d'obtenir une quelconque "vérité", cette dernière notion étant plus du domaine de la "croyance".

Le débat en science est donc naturel ; il s'agit même du moteur de la recherche. Or, lorsque l'on transpose un débat scientifique dans un contexte public, le cadre change évidemment. Le grand public comprend ce genre de débat de manière plus tranchée, un peu comme cela : la théorie de base est contestée, alors c'est qu'elle est fausse ; l'argumentation de défense de la théorie de base, démontant la contestation, n'est rien d'autre qu'une tentative de sensure, etc. Or, ce n'est pas le cas. Souvent, il s'agit d'une remise en cause d'une méthode de travail, de marges d'erreur ou de postulats de départ trop optimistes ou trop pessimistes. Il n'y a pas forcément une remise en cause du problème global. Par exemple, la théorie du Big-Bang sur la naissance de l'Univers a été, et est toujours, sujète à nombres d'attaques rationnelles, obligeant les scientifiques à parfaire leurs travaux. Mais cet état de fait, et les diverses modifications à la théorie générale de l'évolution de l'univers qu'il a suscité, n'ont pourtant pas donné un quelconque crédit supplémentaire à la vision d'un univers éternel et immuable que l'astrophysicien Fred Hoyle, opposant de la première heure à la théorie du Big-Bang, a défendu durant toute sa vie. Autre exemple caractéristique : celui de l'évolution de la vie. Des scientifiques, comme Charles Darwin, ont brisé le dogme religieux en vigueur à l'époque et émis l'hypothèse que toutes les formes de vie ont évolué, lentement et de manière continue, à partir d'une forme primitive et fondamentale. Depuis lors, de nombreux mystères restent encore à percer. Cependant, une grosse remise en question de l'évolution "darwiniste" s'est produite au 20ème siècle. Alors que l'on pensait que l'évolution se faisait de manière lente, avec une progression de la biodiversité, des découvertes géologiques ont montré plus ou moins l'inverse. L'évolution globale a connu des bonds prodigieux et rapides, suivis de périodes plus lentes ; des extinctions de masse se sont produites, dans des temps géologiques très courts ; la biodiversité n'était pas spécialement plus faible que maintenant, bien au contraire, car à certaines époques, on dénombrait, par exemple, plus de types différents d'invertébrés qu'actuellement (voir la faune cambrienne d'Ediacara et celle des Schistes de Burgess). Mais, pour autant, ces modifications très importantes de la vision purement darwinienne de l'évolution n'ont pas entraîné la résurgence du créationnisme!

Ces quelques exemples montrent que, pour bien comprendre le débat qui subsiste au sein des climatologues, il faut aussi prendre en compte le contexte scientifique du dit débat. Evidemment, surtout quand on connaît un peu l'histoire des sciences, il faut garder à l'esprit que les scientifiques sont aussi des êtres humains, qui peuvent être pris au piège par un dogme.

Le doute, une chose très seine en science mais qu'il faut mener jusqu'au bout

En effet, certains sceptiques parlent de dogme en ce qui concerne le réchauffement climatique d'origine humaine. Sachant que les scientifiques ne sont pas à l'abri du dogmatisme, c'est peut-être leur meilleur argument. Sauf qu'ici, il devient difficile de considérer une telle éventualité dans le cas de l'écologie, tant la pluralité des spécialités engagées est élevée (des dogmes scientifiques ont, par le passé, touché une spécialité ou une autre, mais jamais un ensemble aussi vaste de domaines qui compose la prise de conscience écologique).

C'est évident, le doute et la remise en question sont des choses très importantes, surtout en science. Le problème, c'est que le doute des "sceptiques" ne va pas assez loin et, de ce fait, ressemble plus à une façade masquant un profond souhait d'immobilisme, une "pseudo remise en cause" pour essayer de faire oublier notre civilisation consumériste et les conséquences qu'elle entraîne.

En effet, les "sceptiques" force le débat général à ce rétressir au seul problème climatique. C'est oublier que l'espèce humaine menace la biosphère de plus d'une manière, entre guerres, pollutions, pillage des ressources et réduction de biodiversité. Le trou dans la couche d'ozone, lui aussi contesté par une armada de sceptiques, était finalement bien réel. Il a prouvé que les activités humaines pouvaient favoriser des déséquibres physiques et menacer la vie sur Terre. Il a aussi démontré que des mesures correctrices mettaient un certain temps pour prendre effet (l'alerte a été donné en 1985 ; en 2006, la superficie du trou au-dessus de l'Antarctique a atteint son record...).

Mais, résonons par l'absurde. Admettons que, contrairement au trou d'ozone, le réchauffement climatique d'origine humaine ne soit qu'un dogme scientifique. Mais l'érosion de la biodiversité est bien réel. Il n'est pas seulement imputtable au réchauffement climatique. En effet, le climat de la Terre n'a jamais été stable ; notre planète a été complétement prise par les glaces, il y a 2,2 milliards d'années et il y a 800 millions d'années, alors qu'elle était très aride au Trias, entre 250 et 200 millions d'années avant notre ère. Certaines de ces fluctuations ont conduit à des extinctions, mais les écosystèmes se sont modifiés en conséquence, car, hormis des obstacles géographiques, rien d'autre ne s'opposait aux "migrations" biologiques. La Vie a ainsi survécu. Aujourd'hui, l'urbanisation sans compensation, les pillages des ressources naturelles, le braconnage, les pollutions et la réduction des divers habitats naturels font que cette réorganisation écologique (migrations d'espèces), en réponse au réchauffement, est plus difficile, voire même impossible. Ces fléaux fragilisent les écosystèmes existants (y compris l'espèce humaine), sabordant les chaînons d'un ensemble de systèmes - la biosphère - qui s'est pourtant maintenu depuis plus de 3,5 milliards d'années. Ainsi, le taux d'extinction actuel est 100 à 1000 fois supérieur au taux moyen depuis l'apparition de la vie sur notre planète, et sa rapidité serait de 10 à 100 fois plus forte que pour les cinq grandes extinctions de masse que la Terre ait connu depuis sa formation (J.H. Lawton et R.M. May, Extinction rates, Oxford University Press, Oxford).

Alors oui, le doute est une bonne chose, messieurs les sceptiques. Mais pour qu'ils ne soient pas perverti, ce doute et cette remise en question doivent aller plus loin, et englober le problème dans son ensemble, à savoir l'impact de l'espèce humaine sur son environnement. Le climat n'est, au fond, qu'une partie du problème (certes importante). Mais, comme la climatologie n'est qu'une science parmi tant d'autres, la biosphère intègre aussi d'autres paramètres que celui du climat, comme par exemple la biodiversité. Et les activités produisant de forts dégagements de CO2 sont souvent très dommageables pour la biodiversité. Sans parler des impacts humains (troubles géopolitiques, etc.). On le voit donc : les sceptiques simplifient (à dessein sans doute) le débat et, par leur négligence de l'importance du problème, montrent également leur véritable but : maintenir la désinformation pour maintenir l'immobilisme (ou leurs acquis).

Une remise en question de l'impact humain sur l'environnement, portée par des gens non qualifiés

Car, que penser d'un "scientifique" comme M. Allègre, lorsque celui-ci, à ce titre, intitule un livre "Ma vérité sur la planète"? Un scientifique qui parle de vérité et de mensonge... C'est un comble! Que penser d'un Luc Ferry, se permettant de critiquer des théories dont il n'a de toute évidence pas les compétences pour juger, tout cela sur fond de négationisme écologique? En effet, notre cher philisophe doit encore penser que la science ne se résume qu'à l'économie ; signe de son ignorance, il semble ne pas savoir que l'écologie est une science à part entière. Que penser de la presse de boulevard, où les journalistes, peu entraînés à l'argumentation scientifique sans doute, reprennent ce scepticisme dogmatique, simplement pour faire du "chiffre", sans prendre le temps de renseigner le public sur les caractéristiques propres au débat scientifique?

Que penser de tout cela? Et bien, sur le fond, il ne s'agit que d'une manifestation de ce que j'appelle, certes de manière provocatrice, le dogme créationniste : la vision d'une "Nature et d'une Terre faites pour la seule convenance de l'Homme, dont leur capacité à absorber tous ses excès est infinie". Il n'est nullement besoin d'être physicien pour comprendre qu'une telle vision est éronnée. Et pourtant, certains sceptiques se qualifient de rationnels... tout en remettant sans cesse en cause cette capacité de notre espèce à épuiser la biosphère, et donc à nuire sur son environnement. Elle est pourtant là, et les exemples sont multiples : espèces envahissantes introduites par négligence ou ignorance, déforestation abusive, crise climatique, pollution et non respect des lois, etc.

D'autre part, les sceptiques provenant du monde de la science sont , parfois, de "mauvais scientifiques", pour la simple et bonne raison qu'ils ne tiennent souvent compte que de leur "spécialité". Sous prétexte qu'ils sont opposés à la théorie du réchauffement climatique d'origine humaine, ils font du tapage médiatique en critiquant les mesures de réduction d'émission de CO2, tout en ignorant les conclusions d'autres spécialités, comme les écologues, les biologistes ou encore les ethnologues, qui pointent du doigt les conséquences écologiques, géopolitiques et humanitaires qu'impliquent les filiaires conduisant à ces émissions (filiaires de l'extraction du pétrole, par exemple). Cette étroitesse d'esprit est profondément irrationnelle, et n'a vraiment pas lieu d'être chez des scientifiques se disant pourtant libres et n'étant pas sous "pressions économiques".

Il n'est plus temps de perdre du temps

Le débat scientifique doit donc se poursuivre, sans entrave. Il est un aspect normal de la science, et les médias doivent intégrer cette donnée avant d'émettre des spéculations sans fondement, uniquement parce que les polémiques font vendre. Une retranscription honnête de ce qui caractérise la climatologie comme les autres sciences permettrait au débat public d'être plus clair et empêcherait un rattrapage populiste. Par exemple, les sceptiques prétendent, en climatologie, subir des "pressions" pour les crédits de recherches. C'est oublié que cela touche toute la science, surtout celle fondamentale, celle que je qualifie "sans retour sur investissements économiques rapides". Que doivent dire les scientifiques de terrains, zoologues, écologues, ethnologues et autres, qui, sans doute parce qu'indirectement ils remettent (réellement) en cause certaines idées reçues de notre civilisation occidentale, ne touchent presque rien!

Il faut donc que le grand public puisse comprendre qu'un débat scientifique sur une question scientifique est parfaitement normal et n'implique pas forcément une remise en question totale du problème de départ : l'impact négatif de l'Homme sur l'environnement. Cette compréhension lui permettrait de ne pas tomber dans le piège tendu par certains "sceptiques" : au-delà de toutes réserves que l'on peut avoir vis-à-vis des travaux du GIEC, il est clair que la lutte contre les émissions de CO2 est positive à plus d'un titre, directement ou indirectement. Le changement de politique énergétique mondiale, censé remplacer les ressources fossiles par des ressources renouvelables, est un espoir concret pour les pays du Tiers-Monde et, en outre, un formidable tremplin technologique, dont la Science en sortira grandie (nouvelles connaissances en efficacité énergétique, en urbanisme, en science des matériaux, en sciences naturelles, etc.). La lutte contre les émissions de CO2 a donc plus d'un avantage, n'en déplaise aux sceptiques.

Car le temps presse. L'exode climatique de populations entières est déjà en marche. Les ressources naturelles se raréfient. Les forêts primaires, poumons de la planète et réserve incroyable pour la recherche médicale, se rétrécissent à vue d'œil. La Science, indirectement, tire la sonnette d'alarme et secoue les consciences, car sa vocation, n'en déplaise aux sceptiques, n'est pas de conforter notre civilisation et son idéologie dominante. On a déjà perdu beaucoup de temps. Renvoyons les sceptiques à la définition de la Science : "Ensemble cohérent de connaissances relatives à certaines catégories de faits, d'objets ou de phénomènes obéissant à des lois et vérifiées par des méthodes expérimentales" (Le Petit Larousse Illustré, 2004) ; on parle bien d'ensemble de connaissances (pas seulement celle de l'économie par exemple) et de théories régies par des lois et vérifiées expérimentalement (les sciences naturelles entrent bien dans cette définition). Il serait bon, donc, que les sceptiques soient aussi sensibles aux conclusions des écologues, des biologistes, des anthropologues, des ethnologues, etc. Là, il pourront vraiement juger si réduire les émissions de CO2 est ridicule ou non.

Sandro

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